Ma réaction naturelle originale, assez commune chez les Juifs séfarades attachés à la tradition quelque soit leur niveau de pratique, était de ne pas comprendre l’existence même de ces courants. Si des Juifs ne veulent pas être pratiquants, aucun problème mais pourquoi vont-ils créer une nouvelle religion ? Le Judaïsme n’est pas à la carte, il n’y a qu’une seule Torah, une tradition vieille de milliers d’années, un seul peuple juif avec ses lois. C’est un tout !
Faut-il adapter le Judaïsme au monde moderne ou adapter le monde moderne au Judaïsme ? A force de céder à l’esprit du temps et aux modes intellectuelles, et à vouloir que le Judaïsme corresponde aux idéologies progressistes, on vide toute notre tradition de sa substance et de sa vérité, et il ne reste plus que du folklore, et encore.
De surcroît, les motivations des libéraux sont suspectes. L’origine du courant réformé se trouve en Allemagne, après la défaite de Napoléon. Il avait émancipé les Juifs qui vivaient dans la misère et l’absence de droits. Après sa défaite, les Allemands ont ré-institué les règles anciennes. C’est une chose de vivre sans droit quand on a toujours connu que ça, c’en est une autre après avoir connu la liberté. La situation est devenue absolument intolérable pour les Juifs. Certains se sont dits que la solution était de transformer les Juifs, de les réformer, et de montrer aux goyim qu’ils étaient comme eux, et ainsi peut-être ces derniers finiraient par les accepter. Le Judaïsme n’est donc pas une réforme de la religion comme la Réforme chrétienne pour revenir à un christianisme plus pur et proche des origines, mais avant tout une réforme des Juifs pour les rendre plus semblables aux goyim.
Evidemment en 200 ans beaucoup de choses ont changé, à un moment les réformés avaient même fait passer le Shabbat le dimanche, ils sont revenus dessus, et étaient parmi les antisionistes les plus virulents et même s’ils ont depuis les années 40 adopté le sionisme, ce dernier reste fondamentalement en contradiction avec la logique assimilationniste de leur mouvement.
Il y a aussi de grandes variations suivant les pays. Le Judaïsme libéral français est beaucoup plus modéré. Le minuscule Judaïsme progressiste israélien est nettement plus proche de la tradition par le simple fait d’être en Israel, de prier en hébreu et de vivre dans un pays juif.
Et je pense aussi que le Judaïsme, pas les Juifs, doit être réformé. La diaspora est terminée, nous sommes revenus chez nous, beaucoup de coutumes ridicules ont pris force de loi, il y a pas mal de ménage à faire et personne n’ose prendre de décision de peur de passer, justement, pour un réformé.
Le principal argument en faveur du Judaïsme libéral est qu’il permettrait de lutter contre l’assimilation. Dans notre monde moderne, l’archaïsme et le rigorisme de l’orthodoxie fait fuir beaucoup de Juifs et ils disparaîtraient complètement du peuple juif sans le Judaïsme libéral. Je suis assez dubitatif. Il se peut que cela soit vrai pour certaines personnes. Mais j’ai souvent vu l’inverse: le rigorisme et les certitudes qui attirent beaucoup de gens dans un monde où rien ne fait sens, tandis que le côté « tout se vaut » des réformés n’est pas très intéressant. Et dans les faits, les USA, où les réformés et les conservatives dominent ont la plus forte assimilation du monde juif: 55% de mariage mixte, plus de 70% chez les non-orthodoxes. Donc au minimum ça ne marche pas, et il est assez probable qu’en fait ils encouragent l’assimilation dans les faits.
Binyamin Lachkar
consultant indépendant
diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris