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Reconnaître la Palestine? Oui, mais laquelle?

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Une proposition de résolution socialiste invitant le gouvernement à reconnaître l’État palestinien est inscrite sur l’agenda de l’Assemblée nationale le 28 novembre. Ce vote interviendra quelques jours avant celui au Sénat, le 11 décembre, d’une résolution communiste sur le même sujet.Ces deux votes ne vaudront pas reconnaissance par le gouvernement mais auraient force de symbole après celui du Parlement britannique mi-octobre, de la décision prise par la Suède et alors que la nouvelle chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, plaide pour un Etat palestinien. Il y aura « à un moment – c’est une évidence – reconnaissance de l’Etat palestinien par la France », a déclaré samedi le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius. « La question, c’est quand et comment? Car il faut que cette reconnaissance soit utile aux efforts pour sortir de l’impasse et contribuer à un règlement définitif du conflit », a-t-il ajouté.

Tout est dans ce « comment » évoqué par le ministre français des affaires étrangères. Si la solution pour mettre un terme à ce conflit semble résider dans la formule « deux Etats pour deux peuples ». Cette apparence première mérite d’être regardée de près tant les discours sont à double fond dans l’imbroglio proche oriental.

Ce « comment » n’a pas le même sens pour peu qu’on le pense du côté arabe, du côté israélien, du côté européen. Peut-on encore harmoniser les discours quand les registres culturels, politiques, intellectuels, les imaginaires, les catégories de langage sont aussi éloignés ? Ce sont ces raisons qui rendent toujours cette question insoluble parce que justement relevant d’un ordre intellectuel trop différent, pour chacune des parties.

Si le souci des européens et de la France est d’aider à l’instauration de la paix entre Israël est la Palestine, la reconnaissance de la Palestine en tant qu’Etat devrait être soumise à quelques principes fondamentaux et à quelques conditions qui pour être minimales n’en sont pas moins essentielles. La première de ces conditions devrait être la reconnaissance par la Palestine de la légitimité de l’Etat d’Israël et de son droit à exister en tant qu’Etat du peuple juif. Cette reconnaissance se déduit du plan de partage de la Palestine mandataire entre deux Etats : un Etat arabe et un Etat juif. Ce projet fut à l’époque refusé par les parties arabes. Pour avoir fait de ce refus le principe essentiel de leurs politiques depuis près de 70 ans, les arabes sont-ils prêts aujourd’hui à reconnaître non seulement l’existence mais le droit à être de l’Etat d’Israël dans cette région du monde ?

Si ce conflit se réduisait à l’affrontement de deux projets nationaux pour une même terre les choses seraient simples. Les dernières déclarations du Président de l’Autorité Palestinienne ou celles de ses ministres, laissent penser qu’il n’en est rien et que la concurrence que se livrent Fatah et Hamas induit une surenchère extrémiste. La Palestine est sortie de ses frontières avec l’islamisation de la revendication palestinienne. Quitter le champ du politique pour celui du religieux fait de la Palestine la cause sacrée de la oumma (c’est à dire l’ensemble des musulmans) En s’unissant au Hamas l’Autorité Palestinienne fait cause commune avec un parti dont l’âme du projet réside dans l’anéantissement d’Israël. Le Hamas a-t-il déclarée caduque sa charte ? A-t-il abrogé les articles qui recommandent la mise à mort de tout Juif comme un devoir sacré pour tout musulman ? Reconnaît-il le droit d’Israël ? Accepterait-il de signer la paix avec Israël ? Comment un gouvernement d’union peut-il prétendre vouloir la paix avec Israël alors que son nouveau partenaire fait de la destruction d’Israël et du meurtre des Juifs, le cœur de son projet ?

Ce refus arabe paraît structurellement inscrit dans ce qui, hélas, caractérise (aujourd’hui) l’identité arabe. Quand celle-ci se confond avec le message supposé de l’islam, ce refus devient un principe identitaire, constitutif, transcendant la politique. Sauf à se réformer radicalement, sauf à renouveler ses cadres conceptuels, le monde arabe et le monde musulman, à plus forte raison quand ceux ci s’entremêlent, ne peuvent accepter l’ombre d’un compromis, le moindre accord avec « l’autre ». Comment signer un accord avec celui qui dénie votre droit à être pour ce que vous êtes. « Les arabes ne peuvent être que si l’autre n’est pas » affirmait l’ancien premier président de l’Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella dans un entretien donné à la revue Politique Internationale l’été 1982. Ben Bella disait la vérité intime, du point de vue arabe, sur ce conflit de cent ans ou de mille ans entre Israël et ses voisins, selon qu’on le considère du point de vue de l’histoire ou du point de vue des textes supposés sacrés. Depuis plus d’un siècle la sphère arabe maintient son unité voire son identité autour du rejet de cette présence juive sur une terre considérée comme arabe par nature.

La seconde condition d’une reconnaissance de la Palestine par les européens se déduit de la première. Elle formulerait une exigence : celle de l’engagement de la partie palestinienne à changer de discours et en particulier à éduquer à la paix. Il ne saurait y avoir de paix tant qu’Israël sera présenté dans les manuels scolaires palestiniens comme la cause maléfique du malheur arabe. Tel est le cœur du problème. Tant que du côté arabe il n’y aura pas eu de réforme de cet élément structurel dans la mécanique psychique arabe, imaginer une paix figurera aux rayons des utopies.

Telle est la vérité première de ce monde tel qu’il est aujourd’hui. Peut être n’est elle pas définitive. Peut être pourra-t-elle se transformer, mais il faudrait pour cela ouvrir une brèche dans ce qui constitue le canon immuable de ce rapport au monde et pour ceux qui se réclament de l’islam, cela nécessiterait une relecture de leur rapport au message divin. On peut rêver du contraire. On se trompe. Telles sont les raisons profondes de l’échec des négociations organisées par John Kerry entre israéliens et palestiniens et qui auraient du aboutir en avril dernier. Le chef du département d’Etat américain peut entretenir l’illusion, sympathique et généreuse, d’une possibilité d’accord, tant qu’il n’aura pas intégré cette dimension de la mécanique intellectuelle de la partie arabe telle qu’elle est et non pas telle qu’on souhaiterait qu’elle soit, il ne pourra pas se construire quoi que se soit de stable au Proche Orient.

Côté israélien c’est un autre enfermement qui menace. La majorité politique pilotée par Netanyahu ne semble pas prolixe en gestes généreux ni en imagination prospective. Prisonnier de ses extrêmes, la coalition au pouvoir semble incapable de proposer une perspective d’avenir. Ce statu quo alimente toutes les exaspérations tandis que se développe en Israël une frange extrémiste d’illuminés dangereux pour la démocratie. La nébuleuse irresponsable du « prix à payer » est un poison pour la société israélienne.

Ce même fanatisme a déjà inspiré le bras meurtrier de Yigal Amir, l’assassin de Yitzhak Rabin en novembre 1995 ou celui de Baruch Goldstein à Hébron un an plus tôt. L’assassinat de ce jeune palestinien brûlé vif en vengeance des assassinats des trois adolescents juifs, en juin dernier témoigne de cette pente dangereuse. Malgré la condamnation unanime de la classe politique israélienne, ce risque est présent dans la société israélienne. Cette dérive est le corollaire de la corruption des esprits confrontés à une violence et à une menace infiniment répétée mais c’est aussi la responsabilité de ceux qui ont la charge de l’Etat d’en prendre la mesure et de ne pas avoir les yeux rivés sur le présent. C’est le triste privilège d’Israël d’avoir hélas, dans sa mémoire collective le souvenir d’une destruction passée et comme environnement les promesses d’une autre destruction. Le Guide suprême iranien ne se prive pas de la rappeler.

Aujourd’hui les enjeux pour le devenir d’Israël en tant qu’Etat pour le peuple juif se posent en termes simples et évidents : sauf à rêver d’un départ volontaire, d’une évaporation des populations arabes palestiniennes vivant à l’intérieur des frontières d’Israël autant que dans les territoires conquis en 1967, Israël verrait son identité juive transformée au profit d’un Etat bi-national, judéo-arabe, par le maintien de ces populations à l’intérieur de ses frontières. Cette perspective signifierait la fin du projet sioniste et la fin de l’Etat du peuple juif. Certains pourront argumenter que le déni du caractère juif de la Judée ou de la Samarie est contraire aux fondamentaux de l’histoire juive. Personne ne peut nier l’étymologie juive de la Judée, mais la politique doit aussi pouvoir s’émanciper de ses mythes fondateurs et se soumettre à d’autres principes, en particulier au principe de réalité.

Le pragmatisme dont firent preuve les fondateurs d’Israël, a permis la naissance de l’Etat, son existence et son épanouissement actuel. Sauf à être un fétichiste de la terre, comment estimer que l’intérêt d’Israël puisse être la conservation de territoires où il est démographiquement minoritaire ? L’immobilisme israélien joue aujourd’hui contre l’intérêt d’Israël. C’est être autiste que de ne pas le constater. La politique du statu quo de la majorité conduite par Netanyahu conduit à une impasse dont les effets se mesurent chaque jour : Israël perd ses meilleurs soutiens et c’est une aubaine pour les européens de pouvoir se décharger de leur part de responsabilité sinon de leur culpabilité en faisant d’Israël le responsable de cette crise sans fin. La real politik a ses règles immuables : les européens pensent à leur commerce extérieur et notre ami le Qatar achète toutes les consciences. La morale ou la mémoire n’ont plus rien à y faire. C’est ainsi. Israël ne peut ignorer cette réalité or Israël semble l’ignorer.

De leur côté, les européens estiment que les tensions actuelles, les menaces jihadistes dont eux mêmes sont l’objet, se réduiront avec la reconnaissance de la Palestine. Ils cultivent des illusions. Le jihadisme vise autant les « Croisés », les « mécréants » que nous sommes et pas seulement « l’entité sioniste » comme ils nomment Israël. Les européens devraient simultanément comprendre que ce qui menace Israël les menace aussi. Israël constitue la première ligne de front face à l’islamisme conquérant. L’intérêt de l’Europe n’est donc pas d’affaiblir Israël mais bien au contraire de le soutenir intelligemment. « Si Israël tombe, nous tomberons tous » a déclaré Jose Maria Aznar, l’ancien Premier Ministre espagnol. Imaginer la paix civile dans nos banlieues en oubliant ce qu’est le Hamas là bas autant que ses divers clones ici, est autre une illusion. Le wishfull thinking sur les « printemps arabes » a fait les preuves de ses erreurs de jugement. Ne pas prendre en compte la part islamiste qui irrigue les positions politiques palestiniennes et arabes a déjà induit de dramatiques effets avec les dégâts que l’on sait.

Le courage en politique ne consiste pas à se coucher sous les vents idéologiques dominants mais à affronter le réel en face, tel qu’il est, même si ce réel ne correspond pas à ce que nous souhaiterions qu’il soit.

Jacques Tarnero Essayiste
http://www.huffingtonpost.fr/

 

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