Voici un livre qui parle d’un sujet plutôt occulté dans les médias. il s’agit une enquête d’envergure, qui fait écho, 30 ans après, à l’ »Israël Connection » de Jacques Derogy, qui avait fait scandale, en son temps.
Aujourd’hui, si la criminalité organisée est bien présente en Israël, elle est aussi très mondialisée et ce, depuis la fin des années 60.
Peu connue, elle est créditée d’être parmi les plus violentes et les mieux organisées du monde.
En fait il s’agirait plus « des » mafias israéliennes que de « la » mafia israélienne », étant donné que « la mafia blanc et bleu » est moins centralisée que ses homologues sicilienne, mexicaine, japonaise, colombienne, etc.
On a plutôt affaire à des clans, souvent issus des quartiers très pauvres : Pardès Katz à Bnei Brak,Shapira à Tel-Aviv, Katamon à Jerusalem….qui se disputent le leadership par la violence, souvent extrème.
L’usage des explosifs, placés sous les voitures des « cibles » n’est pas rare, au mépris des pertes collatérales que çà pourrait induire, chez les civils.Contrairement aux Yakuza, par exemple au Japon, qui mettent un point d’honneur à régler leurs comptes strictement entre eux, et ne pas mêler des civils à leurs affaires.
L’auteur nous cite d’emblée Haïm Nahman Bialik : Nous ne serons un état normal que lorsque nous aurons la première prostituée juive, le premier voleur juif et le premier policier juif « .
Serge Dumont (de son vrai nom Maurice Sarfati) n’est pas connu pour ses positions pro-israéliennes, loin de là. Ses articles ont souvent fait le miel de France-Palestine, entres autres. Pourtant, ce journaliste d’investigation, qui a travaillé pour l’Express de 1983 à 1996 et vit en Israël depuis, où il est le correspondant permanent pour la presse belge (Le Soir, Le temps) a livré là une histoire impressionnante de la mafia ou plutôt des mafias israéliennes, dont la moindre n’est d’ailleurs pas celle arabe-israélienne de Taibeh notamment.
Vu le caractère « sensible » de l’opus, il n’est pas prévu qu’il soit traduit en hébreu, même s’il doit être disponible en Israël en français.
Le livre retrace l’histoire des mafieux « blancs et bleus », depuis 1948. On y découvre les figures historiques : Betsalel Mizrahi, Aslan,Yaacov Cohen alias « Yakobeleh » et Mordehai Shimshi alias « Mentesh« , ce dernier ayant assuré la protection rapprochée de… Ben Gourion, avant que le Shin Bet ne s’en occupe, de manière plus officielle. On y voit aussi les rapprochements à l’oeuvre entre politiques et gangsters, le Mapaï (une des composantes à l’origine du parti travailliste actuel) ayant eu notamment besoin de gros bras pour assurer le service d’ordre des meetings, coller des affiches etc.
En fait, comme aux Etats-Unis du début du 20ème siècle, où les syndicats (Teamsters) avaient recruté des gangsters juifs new-yorkais pour asseoir leur autorité dans les rues.
Si les hommes de main de ’Mentesh » donnaient souvent un coup de main aux travaillistes, ils se retrouvaient face à ceux de « Yakobeleh », qui avait ses entrées au Hérout de Menahem Begin.
On peut lire quelques pages sur les relations troubles d’omri Sharon, fils d’Ariel et même sur un certain… Ehud Olmert.
Il y a également un chapitre sur l’inénarrable Arcadi Gaydamak, qui vient d’être libéré d’une prison suisse cette semaine, pour revenir en Israël .
On découvre la saga des « yordim », ces Juifs qui ont décidé de quitter Israël (la « Yerida » étant l’inverse d »Aliyah », cette fois, les juifs « descendent » d’Israël). Ces « yordim » un peu particuliers (il y en a aussi des honnêtes, il faut le rappeler) se sont expatriés dans le monde entier, pour se livrer au trafic de diamants bruts, armes et minerais rares, comme le coltan, à Johannesburg, par exemple. On y retrouve un certain Shai Avissar, qui réussit à devenir l’éminence grise de Winnie Mandela, connue pour ses goûts dispendieux, qui ont causé son divorce d’avec « Madiba », après sa libération. Shai était le « boss » de la mafia israélienne sud-africaine. Comme souvent dans cette « corporation », il connut une fin tragique en 1999.
Le livre nous parle aussi de la mafia juive new-yorkaise, responsable, quasiment à elle-seule, du boom du trafic de coke, avec la Colombie, dans les années 80. La branche fut éradiquée après que le FBI ait réussi à retourner un de ses membres, Ron Gonen, et en faire son informateur. Eitan Chayan ,le parrain écopa de 15 ans de prison.
Voici un mot d’Emilio Roso, le réalisateur de « Rattled », un documentaire sur le sujet, qui n’a toujours pas été diffusé à ce jour.
Nous voyageons aussi à Anvers et jusqu’au Japon, chez les pros du trafic d’ecstasy et dans certains pays de l’est
Mais le livre nous éclaire aussi sur les figures plus récentes de la « Mafia blanc et bleu » : Zeev Rozenstein, Françis Aboutboul, les frères Abergiil, Shalom Domrani, Nissim Alperon, Michael Mor, Rico Shirazi, sans oublier le clan arabe Al-Hariri.
Les deux frères Abergiil, Méir et Ysthak
La composante russe :
Serge Dumont nous révèle comment les autorités russes ont inspiré à Fidel Castro un de ses plus gros coups tordus contre les USA : les « Marielitos ». En effet, après avoir péniblement laissé sortir d’URSS environ 4000 « refuzniks », de 1960 à 1970, elles ont ouvert grands les vannes, suite à l’amendement des Sénateurs US Jackson et Vannick homologué par le président Gerald Ford en 1975 (et qui n’a été abrogé qu’en … 2012, par Obama !), qui subordonnait la fourniture de ressources vitales pour les soviétiques, telles que le blé et autres produits de consommation(qu’ils n’arrivaient plus à produire en quantité suffisante vu la décrépitude du système économique soviétique), à la libération des Juifs qui désiraient émigrer.
Moscou en profita pour purger ses goulags de milliers de dissidents de droit commun qui se sont vu attribuer le statut de juifs soviétiques, pour pouvoir partir à l’ouest, et accélérer la « décomposition du capitalisme », guerre froide oblige.
Parmi eux, Marat Balagula, Boris Nayfield, l’ukrainien Roman Gershman,qui devait devenir plus tard « Ron Gonen » (voir plus haut), Rashmiel Brandwain, Gregory Lerner, la liste est longue. Pour la plupart d’entre eux, acquérir le statut d’oleh ne fut qu’un prétexte pour récupérer un passeport israélien, les rendant plus aptes à voyager pour leurs activités criminelles, particulièrement, à l’époque du Rideau de Fer.
Fidel Castro ne fit pas autrement, quand il laissa 125 000 personnes quitter Cuba, du port de Mariel, en mai 1980. Certains de ces réfugiés politiques (au nombre de 3000 selon certaines estimations), sortaient de prison, voire d’hôpitaux psychiatriques.On peut se rapporter au film Scarface, de Brian de Palma qui y fait commencer son récit.
Il ne faut pas omettre de mentionner Semion Mogilevich, l’archétype du mafieux-oligarque russo-israélien.
Un homme à la tête d’une organisation puissante
Semion Yudkovich « Seva » Mogilevich est né le 3 juin 1946 au sein d’une famille ukrainienne de confession juive. Il est surnommé le « Don intellectuel », en raison des diplômes qu’il a obtenu à l’université nationale Ivan Franko de Lviv (Ukraine).
Dans les années 1970, il intègre comme homme de main le clan moscovite Lyubert-sky, qui s’est particulièrement fait connaître pour avoir escroqué des milliers de candidats à l’émigration à destination d’Israël. Il rejoint ensuite le clan Solntsevo (du nom d’une banlieue de Moscou) dont il dirige une des plus importantes branches.
Depuis les années 1980, Mogilevich est à la tête d’une des plus importantes organisations criminelles transnationales (OCT) russe. Ses hommes de main, dont le nombre est estimé à quelques 250 individus, sont encadrés par quelques vétérans de la guerre russo-afghane. Ils n’hésitent pas à user de la torture et du meurtre pour parvenir à leurs fins.
Dès novembre 1994, à l’initiative de la justice britannique, il est activement recherché par les polices russe, ukrainienne, israélienne, américaine, canadienne, belge, italienne et allemande. En raison de ses activités, Semion Mogilevich était interdit de séjour dans l’espace Schengen.
Présente sur l’ensemble de la planète, son OCT avait noué de nombreuses relations d’affaires avec la Camorra napolitaine, la Cosa Nostra new-yorkaise (famille Genovese) et les cartels colombiens.
Elle se livrait à toutes les activités classiques propres à ce type d’organisation : trafic de drogue, d’être humains, d’armes, de matières nucléaires, d’œuvres d’art, de pierres précieuses, racket, assassinats sur contrat (aux Etats-Unis et en Europe), infractions financières, etc. En outre, son organisation contrôlait tous les trafics transitant par l’aéroport international de Sheremetyevo de Moscou, considéré comme le « paradis des contrebandiers ».
Pour recycler ses gains colossaux, il se livrait à de savantes opérations de blanchiment d’argent sale. Il semble qu’une grande partie de ses transactions financières passait par Londres.
Semyon Mogilevich possédait également la fabrique d’armes Army Co-op Ltd de Budapest, spécialisée dans la fabrication de canons anti-aériens. En 1994, il avait acquis l’Inkombank, une des plus importante banque russe privée, avant que celle-ci ne cesse ses activités en 1998, accusée de multiples fraudes. Il était cofondateur de la première société privée de pompes funèbres moscovite, fournissant occasionnellement à cette entreprise la « matière première ».
Aujourd’hui, des enquêtes ont lieu concernant ses liens éventuels avec le complexe RosUkrEnergo basé à Zoug, en Suisse. En effet, cette importante société est chargée d’importer du gaz du Turkménistan en Ukraine, en Pologne et en Hongrie. De forts soupçons d’irrégularités financières pèsent sur cette entité possédée à 50% par Gazprom, via sa filiale Arosgas Holding AG enregistrée à Berne. Les 50% restant sont la propriété de deux hommes d’affaire ukrainiens via la Centragas Holding AG enregistrée à Vienne.
De 1995 à 1999, il séjourne librement à Budapest et effectue de nombreux déplacements aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en Israël et en Russie. Puis il s’installe à Prague avant de retourner vivre à Moscou, dans un premier temps dans une villa cossue du quartier huppé de Rublyovka, avant d’élire domicile à l’hôtel Ukrainia, haut lieu du crime organisé. Cependant, il semble que son QG était toujours installé à Budapest.
Pour échapper à ses poursuivants, Semyon Mogilevich utilise au moins dix sept identités différentes (avec tous les papiers nécessaires) et possède officiellement les nationalités russe, ukrainienne, hongroise et israélienne.
Prudent, il aurait entretenu des relations avec différents services secrets d’Europe occidentale, devenant même un agent d’information régulier de certains d’entre eux. Il est notamment soupçonné avoir eu des contacts avec le service de renseignement fédéral allemand, le BND.
Mercredi 23 janvier au soir, Semyon Mogilevich, un des parrains les plus haut en couleur de la criminalité organisée russe, est arrêté à Moscou. Il sortait du World Trade Center local en compagnie du citoyen franco-russe Vladimir Nekrasov. Ce dernier est l’actionnaire majoritaire d’Arbat Prestz, une importante chaîne de magasins cosmétiques soupçonnée d’avoir fraudé le fisc russe pour un montant de 1, 4 millions d’euros. Au moment de l’arrestation, Mogilevich utilisait l’identité fictive de Sergueï Schneider, le nom de sa dernière épouse. Les deux hommes étaient escortés par de nombreux gardes du corps qui heureusement, n’ont pas opposé de résistance aux 50 policiers venus procéder aux interpellations.
Une arrestation à rapprocher du calendrier électoral russe ?
Semyon Mogilevich a été incarcéré à la prison Matroskaya Tishina. Son extradition vers les Etats-Unis, où il est recherché pour 45 infractions commises de 1993 à 1998 (racket, fraudes financières diverses, blanchiment, etc.), est quasiment impossible. En effet, il a été arrêté en Russie et il n’existe pas de traité d’extradition entre Moscou et Washington.
La mise hors circuit de ce parrain russe ne signifie pas la fin du crime organisé dans les ex-pays de l’Est. La nature ayant horreur du vide, d’autres leaders criminels plus discrets vont profiter de l’occasion pour tenter de conquérir ses « territoires ». Cela promet une guerre des gangs sanglante dont personne ne peut prédire aujourd’hui les suites.
Une question reste cependant posée : pourquoi cette arrestation survient-elle si tard sachant que Mogilevich ne se cachait pas vraiment en Russie ? Cela n’aurait-il pas un lien avec les prochaines élections présidentielles ? En effet, Moscou souhaite que Gazprom entre à la bourse de New York.
Pour ce faire, il convient que cette entreprise se débarrasse de ses « relations sulfureuses », donc de sa participation à 50% dans RosUkrEnergo.
A terme, c’est la fin de cette société qui semble inéluctable. Cela ne peut que plaire au marché financier américain (et donc à la Maison blanche) et au Premier ministre ukrainien, Yulia Tymoshenko – l’égérie de la révolution orange – qui souhaite depuis son premier mandat la dissolution de RosUkrEnergo. Il semble bien que Mogilevich était décidément devenu trop encombrant pour le pouvoir à Moscou !
(Source : Alain Rodier/Centre français de recherche sur le renseignement)
En résumé, pour apprécier le livre de serge Dumont, je dirais que l’ enquête, « qui ne se veut pas exhaustive « d’après l’auteur, donne un panorama assez incroyable de « la mafia blanc et bleu ».
Il a réussi le tour de force de recouper, pendant 16 ans, des montagnes d’informations issues du monde entier sur un domaine sur lequel, de son propre aveu » on ne trouverait rien en bibliothèque « .
il est rempli d’anecdotes et d’informations qui ont des résonances dans l’actualité récente (exemple, la cavale du « Rabbi » Berland au Maroc)
C’est un « work in progress » : le livre s’achève sur les péripéties d »octobre 2013, quelques jours à peine avant la publication du livre.
Thierry Fhima/JForum
L’histoire vraie de la mafia israélienne Serge Dumont (La Manufacture de livres 2013)
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