«חָלִילָה לִּי מֵיְהוָה, אִם-אֶעֱשֶׂה אֶת-הַדָּבָר הַזֶּה לַאדֹנִי לִמְשִׁיחַ יְהוָה–לִשְׁלֹחַ יָדִי, בּוֹ: כִּי-מְשִׁיחַ יְהוָה, הוּא» (שמואל א’ כ”ד, ו’);
«Dieu me préserve d’agir ainsi envers mon souverain, de porter la main sur l’oint du Seigneur! Oui, il est l’oint du Seigneur.» (I Sam. 24, 6; etc.); Le roi David est également appelé «מָשִׁיחַ», «Mashia’h» (Ps. 84, 10; etc.). Effectivement Saül, aussi bien que David, ont tous deux reçu l’onction d’un prophète: le prophète Samuel, au nom de Dieu. Salomon, qui règnera après David, ne sera roi que par la volonté de son père. Le Messie est le fruit d’engendrements. Or en hébreu, un même mot désigne «l’Histoire» et «les engendrements»: le mot «Toldot» (תוֹלְדוֹת). Ce terme doit être compris en son sens biologique (pas seulement au niveau généalogique strict, car chaque être porte en lui une étincelle, un germe du Messie), mais également éthique: «Les véritables «générations» laissées par les justes sont constituées par leurs bonnes œuvres» (Bereshit Raba 30, 6). Or, le Messie, ultime maillon dans une chaîne d’engendrements, porte en lui un cosmopolitisme qui désarme d’emblée toute forme de racisme (il n’existe pas de race pure): ses ancêtres, dont Abraham, viennent de Mésopotamie et Lot est père de Moab, lui-même ancêtre de Ruth, arrière-grand-mère du roi David. Pourtant, cette figure de proue qu’est le Messie ne vient pas d’une dynastie de héros ni d’hommes de guerre réputés, mais plutôt d’une famille entachée de faiblesses et de fautes morales: le crime (שְׁפִיכוּת דָּמִים, shefikhout damim), les unions interdites (גִילוּי עֲרָיוֹת Guilouyei Arayot) et l’idolâtrie (עֲבוֹדָה זָרָה Avodah zarah). Malgré tout, la tradition hébraïque voit en le Messie, fils de David, un être d’exception.
«מִי יִתֵּן טָהוֹר מִטָּמֵא?» (איוב י”ד, ד’);
«Qui donc pourrait tirer quelque chose de pur de ce qui est impur?» (Job 14, 4), demande Job. Qui peut donc arriver à tirer quelque chose de bon d’une humanité fourvoyée, dont le Messie porte les traces? C’est l’enseignement du miel: le miel, que l’on peut manger, donc pur, vient d’un animal impur, impropre à la consommation: l’abeille, car il est fabriqué à partir du nectar des plantes, matière végétale brute. Ainsi, d’une dynastie aux antécédents problématiques, sort «נֵצֶר», «Netser, le rejeton», qui est bon. C’est l’enjeu et le défi du Messie, du roi oint d’Israël. Le Messie, «l’oint» (Machia’h, מָשִׁיחַ) est descendant de Jessé:
«וְיָצָא חֹטֶר, מִגֵּזַע יִשָׁי וְנֵצֶר מִשָּׁרָשָׁיו יִפְרֶה» (ישעיה י”ג, א’);
«Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton poussera de ses racines» (Isaïe 13, 1). Son histoire, son engendrement sont parsemés de nombreux obstacles et soubresauts: Lot, sauvé in-extremis de la destruction de Sodome et Gomorrhe par le mérite de son oncle Abraham, donne naissance à Moab de sa propre fille qui l’enivre (Gen. 19, 30-37), alors que l’inceste est dénoncé dans Lévitique (18, 1-6). De Moab naîtra Ruth, ancêtre de Jessé (Yshaï, יִשַׁי), fils d’Oved (עוֹבֵד), que Ruth la Moabite enfante à Boaz, de la tribu de Juda. Ruth (רוּת), veuve de Ma’hlon, fils d’Elimelech de Bethléem et de Naomi, tient à quitter sa famille et son pays natal pour suivre cette dernière jusqu’à Bethléem (1, 16-17) malgré les fermes dissuasions de Naomi (Ruth 1, 12). Naomi (נָעֹמִי) se charge d’éduquer Oved dès sa naissance (Ruth 4, 13-17). Plus tard, Laban, père de Rachel et Léa, trompe Jacob par ruse la nuit de ses noces en substituant l’aînée (Léa) à la cadette (Rachel). Enfin, Tamar (Gen. 38, 1-14) est désireuse de perpétuer le nom de son défunt mari, Er, par l’accomplissement de la loi du Lévirat (la veuve épousant le frère du défunt si le mariage est resté stérile Deut. 25, 5-6). L’échec du lévirat par Er, fils de Juda, la conduit à simuler une prostituée pour attirer Juda devenu veuf. De cette liaison léviratique accomplie par ruse, naîtront les jumeaux Zera’h et Perets. Ainsi, de Jessé naît David de la tribu de Juda qui, recevant l’huile d’onction versée par le juge et prophète Samuel, est désigné comme le futur successeur du roi Saül (I Sam. 16, 1-13). Or, David, l’ancêtre du messie, outrepasse deux interdits: il fait assassiner son officier Ouriah, le Héthéen (II Sam. 11, 15-17) après avoir commis l’adultère avec Bat-Sheva (Bethsabée), son épouse (II Sam. 11, 2-5). En fait, il ressort de l’histoire du Messie attendu que l’histoire biblique n’est pas écrite comme une suite chronologique objective de faits. Du point de vue de la tradition hébraïque, cette histoire n’est pas linéaire mais est mue par un incessant mouvement de spiritualisation, d’introspection et de retour sur soi. «C’est cela que veut dire pour nous le terme de spirituel: la référence au transcendant dans notre existence, l’orientation de l’ici vers l’au-delà…Il est impossible de saisir l’esprit lui-même. L’esprit est une direction, une orientation de toutes choses vers Dieu: un théotropisme»[1].
Dans un prochain post, nous verrons comment la tradition hébraïque perçoit la venue du Messie et sa mission dans l’Histoire des hommes.
Je vous propos de regarder le document “En attendant le messie” de David Saada (écrivain) sur le site Akadem.
Haïm Ouizemann