ESCALADE DE LA VIOLENCE SUR TROIS FRONTS
La semaine passée a été marquée par une recrudescence soudaine de la violence sur trois fronts : la frontière syrienne, la bande de Gaza et la Cisjordanie. S’il n’y a pas forcément de liens directs entre ces trois fronts – notamment entre le front syrien d’une part et le palestinien d’autre part – la multiplication des incidents préoccupe les forces israéliennes de
la Défense, qui doivent gérer simultanément une situation complexe et craignent une possible explosive dans plusieurs régions.
Les émeutes en Cisjordanie devraient s’ atténuer du fait de la visite du secrétaire d’Etat américain dans la région la semaine prochaine, mais pourraient reprendre de plus belle après son départ ; au Golan, Israël craint que les échanges de tirs ne deviennent plus fréquents et plus violents vu la fragilité du régime d’Assad ; et enfin, à Gaza, les acquis de l’opération Pilier de Défense semblent s’éroder progressivement.
Les heurts en Cisjordanie ont débuté mardi 2 avril suite à la mort dans un hôpital israélien des suites d’un cancer de Maisara Abu-Hamdyah, Palestinien âgé de 64 ans, incarcéré en Israël depuis 10 ans pour son implication dans une tentative d’attentat en 2002. Le ministre palestinien des affaires des Prisonniers, Issa Qaraqe, a fait porter à Israël la responsabilité de cette mort, soutenant qu’Abu-Hamdiyah n’avait été hospitalisé que ces derniers jours bien
qu’il ait été diagnostiqué « malade » depuis plusieurs mois. Il exige la mise en place d’une commission d’enquête internationale. Le Président de l’Autorité palestinienne, Mahmud 2Abbas, et son Premier ministre, Salah Fayyad, ont également fait porter à Israël la responsabilité de la mort de ce prisonnier.
A l’annonce de son décès, des émeutes ont éclaté dans sa ville natale de Hébron, dans les communes voisines et à Jérusalem-Est, ainsi que dans les prisons israéliennes où les 4.500 prisonniers sécuritaires palestiniens ont décrété une grève de la faim durant jusqu’à la fin de cette semaine.
Les heurs en Cisjordanie ont culminé dans un incident survenu dans la nuit de mercredi à jeudi, près de Tul Karem, lors duquel des soldats de Tsahal ont été attaqués par un groupe de jeunes palestiniens jetant des cocktails de Molotov sur leur poste et ont ouvert le feu en riposte, tuant deux des assaillants et en blessant plusieurs autres. Ils semblerait que les
soldats croyaient par erreur être la cible de tirs à balles réelles ; Tsahal enquête sur les circonstances de cet incident.
Les accrochages se poursuivaient à travers toute la Cisjordanie, le 4 avril, pour les obsèques des trois victimes palestiniennes. Au terme d’un entretien à Ramallah avec le ministre norvégien des Affaires étrangères, Mahmud Abbas a prévenu que l’usage excessif de la force par Israël pour réprimer les manifestations palestiniennes risquait de torpiller les efforts de relance du processus de paix. Un haut responsable israélien estimait au contraire que c’est la décision palestinienne d’instrumentaliser la mort d’un prisonnier mort d’un cancer qui rendait moins probable des gestes israéliens de bonne volonté envers les Palestiniens.
Malgré cette recrudescence de la tension, un haut responsable palestinien a confié au quotidien israélien Maariv que l’Autorité palestinienne avait intérêt à calmer ces évènements, à la veille de la visite dans la région du secrétaire d’Etat américain, John Kerry, prévue à partir de lundi prochain. Selon lui, des policiers palestiniens en civils surveillaient les zones de tensions et tentaient d’empêcher la poursuite des émeutes. Il a enfin estimé qu’une escalade significative était peu probable. En revanche, un haut gradé israélien cité par le Maariv estime lui que l’accalmie autour de la visite de John Kerry sera, en tout état de cause, temporaire, et que d’ici « la journée du prisonnier » qui sera célébrée dans deux semaines, les affrontements pourraient reprendre.
Dans le sud d’Israël, plusieurs obus de mortier tirés mardi soir en direction de localités israéliennes limitrophes de la bande de Gaza n’ont pas fait de dégât mais ont entraîné la première riposte israélienne aux violations palestiniennes depuis la conclusion du cessez-le-feu de fin novembre 2012. Le raid israélien a été suivi par des tirs de deux roquettes
Qassam sur la région de Sdérot, mercredi matin. En Israël on estime que les tirs depuis Gaza sont effectués par des organisations islamistes dissidentes, tout en jugeant le Hamas, qui contrôle la totalité du territoire, responsable. Soumis à des pressions égyptiennes pour calmer le jeu, le Hamas aurait fait passer à Israël un message selon lequel il était engagé à respecter le cessez-le-feu. L’organisation islamiste aurait également procédé à des arrestations de personnes soupçonnées d’être responsables des tirs. Israël à pour sa part menacé de riposter à chaque tir, et a également déployé une batterie de Dôme de Fer près d’Eilat pour intercepter d’éventuels projectiles en provenance du Sinaï.
Sur le front syrien, un obus de mortier et des balles de mitrailleuses ont visé mardi soir une patrouille de Tsahal dans le sud du Golan. En riposte, les blindés israéliens ont bombardé le site d’où provenait l’attaque, dont on ignore encore si elle a été commise par l’armée syrienne ou par les insurgés. L’attaque est d’ailleurs intervenue quelques heures après une visite au même endroit du ministre de la Défense, Moshé (Bougui) Yaalon, qui a déclaré qu’Israël n’avait pas intention d’intervenir dans la guerre civile syrienne à moins que des intérêts israéliens ne soient touchés.
ASSAD, HAMAS ET LA DISSUASION VACILLANTE D’ISRAËL / AMOS HAREL – HAARETZ
Les événements des deux derniers jours sur le plateau du Golan et dans la Bande de Gaza reflètent la nature du défi sécuritaire que doit aujourd’hui affronter Israël. Il n’y a pas de risque d’une nouvelle guerre, au moins par pour le moment. Mais sur le front syrien comme sur le front avec le Hamas à Gaza, l’instabilité se manifeste par des tirs sporadiques sur Israël. Le gouvernement Netanyahou essaie de faire en sorte que ces conflits demeurent contenus et ne dégénèrent pas en violences généralisées.
Sur le front syrien, Israël doit faire face à un gouvernement central affaibli dont le contrôle sur les événements le long de la frontière a été grandement diminué ; il n’est pas toujours clair de déterminer qui tire et si ces actions ont été approuvées par les plus hautes autorités du gouvernement.
Le gouvernement de Gaza est plus fort que son homologue de Damas. Jusqu’au renouvellement des tensions ces dernières semaines, le Hamas s’est montré capable de contrôler la frontière avec Israël durant les mois ayant suivi l’Opération Pilier de Défense.
Mais ces deux derniers jours, des roquettes et des obus de mortier ont été tirés dans le Negev à deux occasions. Les factions affiliées au mouvement du jihad international qui ont revendiqué la responsabilité des incidents de mardi ont les mêmes fondements idéologiques que les celles ayant lancés les roquettes sur Sderot il y a deux semaines, durant la visite du Président Barack Obama en Israël.
Israël a répondu d’une façon similaire aux coups de feux transfrontaliers provenant de la Syrie et de la Bande de Gaza : à chaque incident de tir ou d’explosion d’une arme à feu sur le Plateau du Golan, l’armée israélienne a répondu par un tir de missile ou de tank visant directement les positions syriennes desquelles elles provenaient […].
La position officielle israélienne, comme l’a exprimé cette semaine le ministre de la Défense Moshe Yaalon, est qu’il y aura une réponse immédiate d’Israël à chaque tir visant le territoire israélien. En pratique, Israël essaie de préserver sa dissuasion sur ces deux fronts en rappelant aux autres parties qu’Israël détient un avantage militaire et qu’il n’est pas de
leur intérêt de s’engager dans un conflit plus global.
Mais dans les deux cas, cet objectif est de plus en plus difficile à atteindre. La tourmente en Syrie est telle […] qu’il n’est pas certain que Damas soit en mesure de contrôler ses forces militaires combattant les insurgés près de la frontière israélienne. En outre, il n’est pas toujours possible de déterminer si les soldats syriens visent délibérément notre territoire ou si ils ratent simplement leurs cibles réelles, soit les rebelles ayant occupés les villages le long de la frontière.
Gaza est dans un cas différent. Pendant quatre mois, soit jusqu’à la fin du mois de mars, le Hamas a imposé une discipline de fer sur les factions plus petites, et complètement empêché les tirs contre Israël. Il semble maintenant que le cessez-le-feu s’effrite. Est-ce intentionnel ?
Les gains de l’opération militaire israélienne de novembre commencent à s’éroder. Les factions à Gaza utilisent maintenant des prétextes de façade (le dernier en date étant la mort des suites d’un cancer d’un prisonnier palestinien détenu dans une prison israélienne) pour ouvrir le feu.
La réponse d’Israël a jusqu’à maintenant été retenue, surtout parce qu’il n’y a pas eu de dommage de notre côté. Mais une augmentation du nombre de roquettes tirées sur le Néguev pourrait entraîner Israël à lancer d’autres attaques dans la Bande de Gaza et serait susceptible de réduire l’intervalle entre deux opérations dans un futur proche, et ce même si
ni Israël ni le Hamas ne souhaitent vraiment une nouvelle guerre.
LA CRISE EN COREE DU NORD EN CARICATURE
POLEMIQUE AUTOUR D’UN ARTICLE D’AMIRA HASS QUI JUSTIFIE LES JETS DE PIERRES PALESTINIENS
Mercredi 3 avril, le Haaretz a publié un article de la correspondante pro-palestinienne Amira Hass intitulé « la grammaire intérieure des jets de pierres » (en allusion au célèbre roman de David Grossman). Dans cet article Hass écrivait que « le jet de pierres est un droit et un devoir inné de ceux qui vivent sous une occupation étrangère », qui représente à la fois une forme pratique et métaphorique de résistance et qui est devenue « le syntagme de base de la
grammaire intérieure de la vie palestinienne dans ce pays ». Elle rappelait toutefois le devoir de l’opprimé de distinguer entre civils et personnes armées, entre enfants et forces de l’ordre.
Cet article est paru le lendemain de la condamnation pour meurtre par un tribunal israélien du Palestinien qui avait jeté en septembre 2011 deux pierres sur la voiture dans laquelle circulait la famille Palmer, de la colonie de Kiryat Arba (près d’Hébron), tuant le père et son bébé d’un an. Mesure rarissime, le Conseil des colon de la Judée-Samarie a porté plainte
auprès de la police contre le Haaretz et la journaliste pour incitation à violence, alors que le « Forum juridique pour la Terre d’Israël » s’est adressé au conseiller juridique du gouvernement pour que celui-ci ouvre une enquête contre le journal. Cette affaire a suscité une vive polémique dans les médias israéliens autour des limites de la liberté de la parole et la question des outils légitimes d’une résistance à une occupation.
LES COLONS ACCUSENT LE HAARETZ D’INCITATION A LA VIOLENCE / NOAM SHEIZAF
Les réactions qui font suite à l’article d’Amira Hass sur les jets de pierre palestiniens montrent que les israéliens considèrent comme illégitime toute forme de résistance contre l’occupation.
Dans les conversations politiques israéliennes, toute forme de résistance palestinienne est proscrite. Les défenseurs d’Israël voient dans chaque action palestinienne une forme de terrorisme, par conséquent illégitime et justifiant des répercussions israéliennes et des actions unilatérales. Le mouvement BDS – qui est clairement non-violent – est souvent décrit comme du « terrorisme culturel » et du « terrorisme économique », la demande de statut d’Etat observateur à l’ONU était du « terrorisme politique », les jets de pierre sont du « terrorisme populaire », et cætera … Le gouvernement israélien prend des mesures actives pour supprimer toute forme de résistance, et le débat en Israël marginalise et brime
quiconque soutient cette cause. Malheureusement, la réalité est qu’en agissant ainsi, Israël laisse les Palestiniens de plus en plus dubitatifs vis-à-vis de la valeur de tels actions non-violentes, par opposition au concret, le terrorisme armé.
Je pense personnellement que certaines formes de résistance sont illégitimes, et que leurs conséquences morales et légales sont discutables (Amira Hass soutient d’ailleurs la même chose dans son article), mais ce n’est pas aux israéliens de décider des règles selon lesquelles les Palestiniens doivent supporter notre oppression, surtout en ces temps où la société israélienne ne s’intéresse pas à un changement du statu quo. Il y va de notre responsabilité que de mettre un terme à l’occupation.
LA SYNTAXE DE L’INCITATION / EREL SEGAL – MA’ARIV
Le site internet de la Caisse d’assurance nationale possède une rubrique consacrée à la mémoire des victimes du conflit. Lorsque je me connecte sur la page, je vois ces quelques mots laconiques dédiés à l’une de ces victimes : « Yonatan Palmer […] tué lors d’une attaque le […] 23 septembre 2011 » […] A côté du texte se trouve une petite photographie du
disparu. Avec une tétine. La légende en-dessous indique : « un an ». Pour rappel, Wael Al-Araje, un membre des forces de sécurité palestiniennes, avait jeté une pierre […] sur le véhicule conduit par Asher Palmer, le père de Yonatan, et causé la mort du père et de son fils.
Or un meurtre est un meurtre, à moins que l’on ne parle du bébé d’un colon. Parce que pour la journaliste du Haaretz, Amira Hass, Yonatan Palmer était une cible légitime. […] La liberté de pensée et la liberté d’expression sont le fondement moral qui permet aux auteurs comme Gideon Levy et Amira Hass de répandre leurs opinions anti-sionistes parmi leurs lecteurs.
Mais la ligne rouge des comportements illégaux sépare la liberté d’expression et la liberté d’inciter au racisme et au meurtre d’enfants. Jeter des pierres blesse et tue, et il n’y a pas à disserter davantage avec cette syntaxe et cette grammaire. Une personne qui jette une pierre sur une voiture a l’intention de tuer les personnes à l’intérieur de cette voiture [….]
Il y a de bonnes raisons d’être troublé et dérangé par le Haaretz. Comment un journal, qui prétend être le garant des droits de l’homme et du respect de la vie humaine, […] ose-t-il publier un article qui autorise à tuer des hommes, des femmes et des enfants? Est-ce que l’occupation est la seule et unique chose à laquelle tout se rapporte toujours? Est-ce que la résistance à l’occupation et l’aspiration à l’indépendance piétine toutes les autres valeurs morales, incluant le « Tu ne tueras pas »? N’y a-t-il plus de hiérarchie éthique? La valeur d’une vie, par exemple, avant la liberté politique? […]