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Weight Watchers : votre régime le fait grossir, grossir, grossir…

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Son marketing très bien ficelé lui permet de résister aux régimes miracles depuis cinquante ans. Décryptage.

Dans la chapelle Saint John de Londres, chaque mardi à midi tapant, se répète un étrange rituel : une procession de femmes rondelettes. Une à une, les ouailles poussent la porte de la salle paroissiale, se déchaussent, ôtent tout vêtement inutile, puis s’avancent religieusement vers un petit homme jovial… et sa balance. Ces fidèles de Weight Watchers viennent recevoir, comme chaque semaine, la bénédiction de Simon, leur animateur. «Hey, encore une livre de perdue ! Bon boulot», s’enthousiasme le saint Pierre du kilo superflu, avant d’entamer son sermon. Ce jour-là, il entretiendra l’assemblée sur l’activité physique et ses bienfaits pour le tour de taille.

La minceur est certes devenue un culte, mais de là à se réunir dans une église ? «C’est seulement que la location revient beaucoup moins cher qu’une salle dans un hôtel», nous confie-t-on sur place… Un souci d’économie un peu terre à terre, mais ô combien nécessaire : de Londres à Paris, en passant par New York ou Shanghai, Weight Watchers organise plus de 45 000 réunions chaque semaine. Oubliez vos préjugés : avec 3,1 millions de clients hebdomadaires, le leader des régimes n’est pas une ex-star des sixties au business moribond. Ses abonnements à un coaching minceur personnalisé (en réunion ou sur Internet) et ses produits siglés lui valent un chiffre d’affaires XXL de 1,3 milliard d’euros et un bénéfice net de 219 millions. Soit 17% de rentabilité ! En Bourse, l’action a gagné 81% en trois ans. Et sur une décennie, l’ogre yankee a doublé de volume, profitant de nos mauvaises habitudes alimentaires pour grossir encore davantage. Notre planète compte aujourd’hui deux fois plus d’obèses qu’en 1980, soit 500 millions. Si l’Amérique du Nord affiche toujours le pire taux d’obésité, certaines villes chinoises, comme Shanghai,
la rattrapent.

En France, pas de quoi jouer les donneurs de leçons nutritionnelles non plus : la moitié de la population connaît un problème de poids. Résultat ? Malgré la multiplication récente de concurrents (Jenny Craig, Naturhouse…) et surtout le raz-de-marée Dukan, la filiale hexagonale compte deux fois plus d’abonnés qu’il y a cinq ans (140 000 par semaine). «L’avantage des tsunamis, c’est que, à peine arrivés, ils repartent, sourit Corinne Pollier, directrice générale France. On récupère tous les jours des déçues qui ne savent plus si elles peuvent manger une carotte.»

Cinquante ans tout rond que le programme résiste aux régimes miracles à la mode. L’histoire de Weight Watchers commence en 1963 à New York, où Jean Nidetch, fille d’immigrés russes de Brooklyn, désespère de perdre ses kilos en trop. Après quelques discussions à cœur ouvert avec des amies, elle comprend qu’on arrive plus facilement à suivre un régime à plusieurs et commence à organiser des réunions de soutien. Un service bénévole qu’elle a vite transformé en business et exporté dans le monde entier, de la Nouvelle-Zélande à l’Europe. Ensuite, l’affaire a été revendue au groupe Heinz, puis au fonds d’investissement belge Artal. Aujourd’hui, Jean Nidetch coule des jours heureux sous le soleil de Floride. Mais le succès tient toujours à cette même recette – réapprendre en groupe à manger – enveloppée d’un marketing léché.

Pour comprendre le système Weight Watchers, il faut pousser à nouveau la porte d’une réunion. Celle d’un hôtel francilien un vendredi midi par exemple. Carrelage terne, murs saumon et mobilier tristounet… L’ambiance est heureusement plus chaleureuse que le décor. «Allez, courage, grimpez sur cette charmante petite balance !», sourit l’animatrice à une vingtaine d’adhérentes, plus occupées à glousser qu’à avancer. Ici comme à Londres, c’est pesée obligatoire pour tout le monde avant le début des festivités. Le programme du jour : trente minutes pour évoquer les risques liés au diabète, mais surtout partager : des recettes pour varier les légumes et des astuces pour résister au cho­colat, des rires sur la teneur en calories d’un panini et des raisons de se réjouir de 3 kilos perdus. «Visualisez 3 litres de lait que vous auriez à porter en permanence, glisse l’animatrice. C’est déjà cela de gagné.»

L’échange semble spontané, il est en fait parfaitement orchestré. Fini, les simples réunions informelles entre copines. Les 750 animatrices sont formées à remotiver, confesser, provoquer un ping-pong dans l’assistance…. «Près de 90% d’entre elles sont d’anciennes adhérentes. Elles ont donc à la fois une empathie et une crédibilité naturelles, explique Aline Ozenfant, responsable de la formation. Mais il faut leur enseigner les principes de base de la nutrition et les bonnes techniques de communication.» Au siège de Guyancourt, puis tous les mois sur le terrain, elles apprennent à privilégier les questions ouvertes, reformuler, gérer les cas difficiles (l’adhérente qui monopolise la parole, celle qui démotive le groupe, etc.)… Et à vendre.

Une partie de leur salaire (jusqu’à la moitié) dépend en effet du nombre d’abonnées venues les écouter et du chiffre d’affaires généré par une séance. Car leur mission consiste aussi à écouler des ustensiles de cuisine signés Weight Watchers (du doseur au «cuit-pomme» spécial micro-ondes), des livres de recettes ou des snacks ultralight. L’an dernier, ce petit commerce a rapporté pas loin de 203 millions d’euros dans le monde.
Modernisation toujours, le Tupperware du kilo superflu s’est aussi mis au coaching en ligne. Pour 20 euros par mois, un adhérent allergique au déballage en public peut désormais suivre le même régime depuis son canapé. Une double aubaine pour le conseiller nutritionnel. D’abord, cette offre nouvelle génération lui permet d’attirer un autre profil d’abonnés : ce sont toujours très majoritairement des femmes (95%), de 25 à 45 ans, mais qui ont en général peu de poids à perdre. Ensuite, le site dégage une rentabilité maximale, la plate-forme technique et une partie des contenus étant mutualisés entre les filiales. «Mais on conseille plutôt les réunions, précise ­Corinne Pollier. Le suivi du programme y est plus global.»

Ce programme justement, parlons-en : un concentré de bon sens nutritionnel transformé en jeu. La règle de base ? Chez Weight Watchers, ni aliments proscrits ni menus imposés, l’adhérent est incité à manger de tout. Seule contrainte : il doit respecter un quota de points. Selon ses caractéristiques (poids, taille, âge et sexe), il obtient un capital quotidien de ProPoints : 26 pour une trentenaire à l’indice de masse corporelle (IMC) correct, plus de 40 pour un quadra… A chaque aliment correspond ensuite un nombre d’unités, calculé en fonction de son niveau de calories, de glucides, de lipides, de fibres…

Toutes ces évaluations sont réunies dans une sorte de bible, spécifique à chaque pays. Le fascicule français compte par exemple 13 000 produits répertoriés : des génériques (une côte de porc, un rouleau de printemps, un sushi…), des gammes connues (Kinder, Findus, Kellogg’s…), ou encore les best-sellers des fast-foods (Brioche dorée, McDo, Flunch…). A l’abonné Weight Watchers de composer ses repas comme il l’entend, mais en respectant son quota journalier : avec des légumes à 0 unité et un cheeseburger à 8, il aura normalement vite fait d’équilibrer son assiette. «L’idée est de redonner de bonnes habitudes alimentaires à nos adhérents, assure Muriel Chabanois, directrice R & D. De les rééduquer, pas de les frustrer.» Pour renforcer cette sensation de liberté, le programme regorge de jokers assez malins. Comme la «réserve hebdo» par exemple, un stock de points bonus dans lequel on peut piocher chaque semaine. De quoi faire de petits extras. «C’est comme plein de filets de sécurité qui m’évitent de craquer définitivement», raconte une adepte. Résultat ? L’adhérent résiste aux tentations, perd en moyenne 13 kilos et recommande le programme dans 96% des cas. Pour Weight Watchers, le compte est bon : ses abonnés restent fidèles plusieurs mois, pour une dépense estimée à 200 euros, et lui envoient un tiers de ses nouvelles recrues.

Reste une dernière trouvaille pour optimiser les résultats : la licence. Plats préparés, yaourts, sandwichs… Dans les supermarchés français, la star de l’allégé n’en finit plus de s’étendre. Déjà présente dans une dizaine de familles de produits, elle s’apprête à envahir le très lucratif rayon du snacking sain, avec une offre de salades. Tous les espoirs de développement sont permis : en Angleterre, Weight Watchers se classe dans le top 10 des plus fortes marques alimentaires. Pourtant l’américain ne fabrique rien, il prête son nom à des industriels contre un pourcentage des ventes. Un petit business, qui lui rapporte près de 108 millions d’euros par an et lui permet en plus de toucher de nouveaux consommateurs. «En France, seuls 12% des acheteurs de nos pro- duits suivent notre programme, précise Christel Delasson, responsable des licences. La première raison d’achat est en fait le goût.» Il s’agit tout de même de ne pas ternir l’image de marque avec des produits gras ou sucrés. Alors, à chaque partenaire son cahier des charges strict : les desserts de Yoplait ne doivent pas dépasser l’équivalent de 3 ProPoints, les sandwichs de Daunat 8, la tranche
de pain de Pain Concept 1… Quant aux plats cuisinés, c’est 8 unités maximum.

Une cible pas toujours facile à atteindre. Voyez plutôt les ­carnets de recette de Freddy Guillemot. A Sablé-sur-Sarthe, dans l’usine du fournisseur ­Marie, c’est lui qui développe l’ensemble des plats préparés Weight Watchers. Une douzaine de références aujourd’hui, des coquilles Saint-Jacques (le best-seller) aux dernières tomates farcies, dont 1 800 tonnes se vendent chaque année. «Comme il faut éviter les matières grasses, je dois trouver des astuces», ­résume le chef ­cuisinier. De la purée de chou-fleur pour donner un aspect crémeux à des raviolis au saumon, du jambon fumé pour remplacer des lardons, de la dinde dans les farces… A l’arrivée, des plats environ 30% moins gras que ceux des concurrents, mais assez goûteux pour amé­liorer sa part de marché. En France, celle-ci s’élève à 7,5% dans les plats cuisinés.

Dans ce système bien huilé, Weight Watchers France n’avait finalement qu’un pépin. «Un certain décalage entre notre identité moderne et une image vieillotte auprès de ceux qui ne nous connaissaient pas», admet Yannick Hnatkow, directrice marketing. Alors cette année, les équipes ont mis les bouchées doubles en publicité. Des dépenses inédites : 21 millions d’euros en spots télé, presse et affichage (source Yacast). Et une nouvelle égérie, jeune et pimpante : Amel Bent. Coup de chance, la chanteuse vient de triompher dans le programme phare de TF1 «Danse avec les stars». Durant neuf semaines, 5 millions de téléspectateurs en moyenne ont pu l’admirer en justaucorps à paillettes et relever aupassage sa dizaine de ­kilos perdus grâce à Weight Watchers. Un miracle ?

1,3 million d’adhérents + 203 millions d’euros tirés de la vented’ustensiles en réunion + 1,8 million d’abonnés Internet +  80 plats référencés dans les supermarchés en France = 17% de marge nette

De l’art de réduire les calories d’une tranche de pain de mie

Weight Watchers a confié à l’industriel Pain Concept (groupe Daunat) le soin de concocter une mie de pain allégée, avec moins de calories, de glucides et de lipides. «L’objectif était d’arriver à 1 point par tranche, contre 2 en moyenne,
raconte Aline Jeannin, responsable marketing. Il a fallu jouer sur la teneur en son, sans dénaturer le goût.» Soit tout de même dix-huit mois de recherche. Un an après son lancement, plus de 100 000 ménages l’ont déjà essayé.

Claire Bader
© Capital

 

 

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