L’EXPANSION : « A cette réception, une absence remarquée. En ce printemps 2011, Michaël Boukobza n’a pas souhaité inviter son père à son mariage en Israël, avec Deborah Weill, héritière de la célèbre maison de couture qui porte son nom. Voilà belle lurette que les deux hommes sont brouillés. Avec Jenny, sa mère, l’aîné de la famille a élevé ses deux cadets, Jérémie et David.
Un an plus tard, en mai 2012, devant un parterre de journalistes israéliens, le trentenaire annonce le lancement de son bébé, Golan Telecom. Ce nouvel acteur de la téléphonie copie tous les codes de son modèle, Free Mobile. Son PDG, lui – silhouette élancée, jean bleu foncé et chemise blanche -, reprend les formules de son mentor, Xavier Niel, fondateur d’Iliad, la maison mère de Free, dont il a été le directeur général jusqu’en 2007. Même diatribe contre les opérateurs, soupçonnés d’entente, même volonté de diviser la facture par deux. Boukobza, cheveux de jais, teint cuivré et regard perçant, veut être le symbole des révoltés de Tel-Aviv, ces indignés de la vie chère.
Culotté, il se fait passer pour un coursier pour remettre son CV en mains propres à Xavier Niel
Pour le coup, le jeune homme a bien retenu les leçons de son père… spirituel. Niel était d’ailleurs invité à son mariage, mais il n’a pas souhaité s’y rendre. Pas son truc. Ces deux-là se sont rencontrés à la fin des années 1990. En douze ans, leur relation a connu des hauts et des bas, avant de reprendre, à la faveur de la restructuration du groupe Le Monde.
En 2000, après plusieurs stages dans une banque d’affaires, l’étudiant en commerce à l’ESCP collabore au site d’enchères iBazar. “Désireux, déjà, de travailler chez Free, il s’est fait passer pour un coursier afin de remettre son CV en main propre à Xavier”, se remémore son ami Jérémie Berrebi, responsable d’un fonds d’investissement. Son culot paie. Et son “maître” lui confie sa première mission : négocier les conditions d’entrée de Goldman Sachs au capital d’Iliad. “Dynamique, intelligent, il a réussi ce premier test”, se souvient un proche.
Sa deuxième tâche consiste à restructurer l’opérateur de téléphonie fixe One.Tel. Malgré ses manières brutales, il parvient à s’imposer et se retrouve propulsé directeur général délégué d’Iliad à l’âge de 25 ans. Très vite, il devient le visage officiel du groupe, quand Niel préfère, lui, rester dans l’ombre. “Malgré son jeune âge, il avait un talent d’orateur indéniable et ne se laissait jamais déstabiliser”, raconte Benjamin Glaesener, directeur général de l’Electronic Business Group, un lobby du high-tech. De quoi agacer les vieux routiers et susciter leurs attaques, à la hauteur de l’insolence du blanc-bec. Ainsi, quand Patrick Le Lay refuse de mettre à disposition les programmes de la Une sur la Freebox, déclenchant une guerre juridique, lePDG de TF1 lui lance : “Vous n’avez pas le droit de me poursuivre, je vais vous clouer au mur dans une mare de sang !” Quelques années plus tard, pas rancunier, Boukobza lui offrira une cravate en guise de cadeau de réconciliation. Pour brocarder ses adversaires, “Bouko” sait aussi manier l’humour, mais il n’apprécie guère d’en être la cible. Surnommé un jour “Michel Bokoudsous” par des internautes mécontents, il les a aussitôt poursuivis pour diffamation.
Au fil des années, ses habits de “M. Free” commencent à le gêner en même temps que ne cesse de grandir son envie de partir s’installer en Israël. Sioniste convaincu, il veut faire son alya (retour en Terre promise). Sans prévenir Xavier Niel, dès 2006, il vend ses actions, alors même qu’Iliad est en délicatesse avec d’anciens actionnaires qui lui réclament 1 milliard d’euros. Crainte de représailles de son tuteur, désir de “tuer le père” ? Toujours est-il que Niel n’apprécie pas du tout d’être lâché.
Michel Boukobza a souvent représenté Iliad, quand Xavier Niel préférait rester discret
Qu’importe ! Fort, désormais, d’une petite fortune évaluée à plus de 60 millions d’euros, le jeune homme a de quoi voir venir. Ce fan de tennis peut, enfin, concrétiser son rêve : il entreprend d’apprendre l’hébreu à l’oulpan de Raanana, dans la région de Sharon. Puis il s’installe pour un temps dans la très chic Herzliya, proche de Tel-Aviv, et acquiert avec des amis une parcelle de terrain dans le Golan pour y cultiver des vignes, des grenadiers et des oliviers. Il en tirera aussi son nouveau nom. “Boukobza ne sonne pas bien en hébreu. Golan lui a semblé plus approprié”, confie Daniel Rouach, administrateur de la chambre de commerce France-Israël.
Cet hyperactif veut contribuer à l’essor de son nouveau pays. Certains veulent y voir une volonté de prouver quelque chose au père absent. Cette fois, c’est Patrick Drahi, actionnaire de Numericable en France, qui lui propose une mission pour le câblo-opérateur israélien Hot. Nouvelle désillusion pour Xavier Niel, qui voit son ancien poulain rejoindre l’écurie d’un concurrent, même s’il ne croit guère en la pérennité d’un tel attelage et le fait savoir. Pour Drahi, la prise est bonne. Mais moins d’un an après, Michaël Boukobza quitte ses fonctions et adresse un SMS à Niel : “Tu avais raison.”
A cette époque, le fondateur d’Iliad vient tout juste de mettre la main sur le groupe Le Monde, avec l’entrepreneur mécène Pierre Bergé et le banquier d’affaires Matthieu Pigasse. Il lui demande de venir rééquilibrer les comptes. Un travail ingrat. Non seulement, l’Israélien de fraîche date doit revenir en France mais aussi jouer les “nettoyeurs”. Son arrivée boulevard Auguste-Blanqui est explosive. “Il a fait preuve d’une grande agressivité et usé de méthodes violentes pour parvenir à ses fins, n’hésitant pas à bousculer les salariés”, déplore un ancien du quotidien.
Des informations savamment distillées sur la situation du Monde font alors état d’un nombre considérable de voitures de fonction et du salaire élevé du patron du quotidien, Eric Fottorino, qui dénonce un “harcèlement moral”. Les dépenses sont épluchées et toutes, même les plus petites, doivent être justifiées. “Il était là pour faire partir les plus âgés et les gros salaires”, se souvient un journaliste. Lors de la renégociation du contrat avec l’AFP, Boukobza le militant rebaptise le groupe d’informations “Agence France Palestine” et critique la sensibilité du quotidien sur ce sujet. “Bazooka”, comme le surnomment les confrères, ne mâche pas ses mots.
Les fondateurs de Naf Naf le soutiennent aussi
L’homme assume cette sale réputation. Le prix à payer pour sa rédemption. De cette mission dépend en effet l’aide que doit apporter Niel à son nouveau projet : Golan Telecom – un opérateur mobile en Israël. Les frères Patrick et Gérard Pariente, fondateurs de la marque de prêt-à-porter Naf Naf, le soutiennent également dans cette aventure. Michaël Boukobza se retrouve alors en compétition face à son ancien employeur, Patrick Drahi. Celui-ci est convaincu que son ex-associé a quitté la société avec ses plans secrets, et ne le lui a jamais pardonné.
Dans un premier temps, Hot remportera la mise aux enchères des fréquences. Mais Golan Telecom sera repêché de justesse. “Nous étions certains que les autres compétiteurs n’avaient pas l’argent pour la seconde licence. Et nous avons eu raison.” La nouvelle entreprise a finalement été lancée, le 14 mai, quelques heures avant Hot Mobile. Comme pour Free en France, le service a très vite attiré les clients (50 000) et connu… des dysfonctionnements. “Un vent de révolte a soufflé. Il a fallu que Boukobza passe à la télé pour rassurer”, ajoute Daniel Rouach. Inquiet, le PDG a même supplié un ami de ne pas donner l’adresse du siège de Golan Telecom, craignant de voir les mécontents défiler en masse. Un rude retour sur Terre (promise) ».
Source : http://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/qu-est-devenu-michael-boukobza-apres-free_316028.html?p=2