Si vous apprenez qu’il y a en Israël pour un produit donné un Commissariat, comme le Commissariat au Lait ou le Commissariat au Oeufs, ce n’est pas parce que le gouvernement attache une importance particulière à ce produit, désire le mettre en valeur et le considère comme un trésor national. Non, ça veut dire que ce produit est contrôlé entièrement par l’État pour le compte d’un cartel ou d’un monopole déguisé en syndicat professionnel. Je vous présente donc le Commissariat au Miel, dirigé par Ofi Reich.

Les membres du Commissariat au Miel sont des représentants des ministères de l’Agriculture, de l’Économie, des Finances, mais aussi et surtout des producteurs. C’est l’unique organisme professionnel des apiculteurs dont l’activité est conditionnée à l’obtention d’une licence pour installer des ruches, moyennant des frais élevés, ce qui constitue une importante barrière à l’entrée. Son rôle est en principe pas seulement de promouvoir la filière mais aussi de faire face aux défis importants posés par le changement climatique, dont le phénomène de la disparition des abeilles, qui met en péril l’existence même de la filière. En effet, en Israël comme ailleurs dans le monde, un tiers des abeilles a disparu, ce qui cause de grandes inquiétudes quant à la destruction des cultures alimentaires et aux répercussions sur les industries cosmétiques, de la santé et du textile. L’avenir de l’humanité dépend en partie de la survie des abeilles, responsables de la pollinisation de 80 % des cultures agricoles mondiales. D’ailleurs, le Commissariat indique clairement via son directeur que sa priorité n’est pas la production de miel, mais la pollinisation. C’est une première indication de la façon très cavalière dont il traite les consommateurs de miel que nous sommes.

Les Israéliens consomment environ 6.200 tonnes de miel par an, soit environ 750 g par an et par personne, dont un tiers pendant les fêtes de Tishri, soit moitié moins que la moyenne européenne qui se situe à 1.5 kg. Le marché pèse environ 180 millions de sh par an. En Israël, 510 apiculteurs exploitent 120.000 ruches, dont 80.000 sont situées dans des zones agricoles et servent à la pollinisation.

Le Commissariat au  Miel  encourage l’achat direct auprès des apiculteurs. « Il est particulièrement important, en ces temps où l’ensemble des secteurs agricoles luttent pour leur avenir et pour la sécurité alimentaire, d’acheter des produits agricoles frais et sains ainsi que du miel de qualité directement auprès des producteurs, afin de soutenir les apiculteurs qui, grâce à la pollinisation, assurent la sécurité alimentaire du pays, aussi bien en période de crise qu’en temps normal », souligne Reich. Emouvant, non ? Seulement si on ne va pas plus loin que ces propos sucrés.

Les Israéliens consomment 6.000 tonnes de miel par an. Pas parce qu’ils aiment plus ou moins le miel ou achètent en fonction de leurs envies, non. Mais parce que c’est la consommation qui a été fixée par le Commissariat au Miel. C’est lui qui décide. Pas vous. Pourquoi ? Pour réduire au minimum les importations, qu’il contrôle et autorise de façon exclusive. Mais comme pour l’huile d’olive, on a beau bomber la poitrine et louer les producteurs locaux qui devraient fournir tous les besoins, la population israélienne augmente inexorablement de 2% par an, les surfaces agricoles vont en se rétrécissant, donc pour la sécurité et l’indépendance alimentaire, ce n’est pas évident. Tous les ans, on entend de vagues déclarations selon lesquelles la demande sera largement assurée par la production locale, mais est-ce vrai ? En fait, il suffit de chercher un peu dans la presse économique pour découvrir que la production locale est de 4.400 tonnes seulement (pour une consommation rappelons-le de 6.000 tonnes). Donc, il est bien évident qu’il va falloir importer, et ça, le ministère déteste. Mais avez-vous déjà vu un pot de miel d’une marque étrangère dans les rayons israéliens ? Non, jamais, en tout cas pas en grande surface,  et je vais expliquer pourquoi.

Avant d’exposer la méthode assez scandaleuse qui a été mise au point par le ministère pour contrôler les importations et les planquer, passons en revue les producteurs. Je n’étonnerai personne en posant d’emblée que le marché est dominé par un monopole, la marque Yad Mordechai, à l’origine une société située dans le kibboutz du même nom dans le Nord d’Israël, rachetée en 2003 par Strauss et régnant sur près de 60% du marché de la production du miel en Israël. On trouve ensuite la coopérative des ruches de Emek Hefer avec 25% de la production locale, le reste étant produit par de petites marques premium. Au niveau des ventes globales, Yad Mordechai est toujours responsable de 52.4 % des ventes en volume, devant  les marques distributeur (19.7%) et le reste par d’autres marques.

Le mystère des 2.000 tonnes

Repartons vers notre histoire de production et on comprendra cette énigme : comment Yad Mordechai qui produit 55% du miel local représente 53% des ventes totales alors même que la production est inférieure à la consommation de près de 35%.

Le ministère de l’Agriculture est informé tout au long de l’année de la production de miel par les apiculteurs (tous membres du Commissariat, rappelons-le). Conformément à ces infos, le ministère libère peu à peu des quotas d’importation pour combler l’écart entre consommation et production, en les répartissant de manière arbitraire, selon une procédure interne, sans commission ni mise en concurrence. Ce qui est le plus fantastique, c’est que ces quotas (environ 2.000 tonnes par an don) sont attribués au pro rata des parts de marché des différents producteurs.  Autrement dit, ces quotas sont en réalité un avantage économique direct. Ils permettent aux gros producteurs, principalement Yad Mordechai, qui détient plus de la moitié du marché, de recevoir les plus gros quotas d’importation, au lieu de faire rentrer des concurrents. Plus fort encore : le Commissariat leur permet de mélanger le miel importé avec du miel israélien et de le vendre comme un produit local. Avec le petit chapeau bleu. 

Cette martingale bien connue des médias israéliens permet aux producteurs de conserver leur part du gâteau en faisant semblant de vendre une production locale alors qu’ils importent des miels à bas prix d’Europe ou d’Amérique du Sud et les revendent au prix israélien. Sympa. Comment ça marche ? Il existe deux types de  droits de douane sur l’importation de miel : le premier, 12 sh par kg, pour l’importation en conditionnement de moins de 50 kg, et le deuxième pour le miel destiné à l’industrie — en conditionnements de plus de 50 kg. Chaque année, le ministère accorde une exonération totale des droits de douane pour les quotas industriels sur l’importation, pour les fameuses 2.000 tonnes manquantes— ce qui permet à Yad Mordechai et à d’autres producteurs de bénéficier d’une exonération totale de taxes sur ce miel importé, qu’ils mélangent ensuite avec leur miel, puis vendent tranquillement sous leur propre marque. L’Etat a  lui-même créé cette situation honteuse, où du miel importé sans droits de douane est utilisé par les gros producteurs locaux et revendu à des prix élevés grâce à la méthode du  mélange.

Yaëlle Ifrah est ancienne conseillère parlementaire à la Knesset, experte sur les sujets économiques et en particulier tout ce qui concerne la consommation en Israël.
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