Shavouot constitue le point culminant de la rencontre intime entre la volonté divine et celle de l’homme.
Comment une telle rencontre avec la Transcendance est-elle imaginable? La divinité ne met-elle donc point l’homme en garde contre une telle initiative?
«וַיֹּאמֶר לֹא תוּכַל לִרְאֹת אֶת-פָּנָי כִּי לֹא יִרְאַנִי הָאָדָם וָחָי»
«Il ajouta: “Tu ne saurais voir ma face; car nul homme ne peut me voir et vivre» (Ex. 33, 20)
Le maître hassidique Rabbi de Kotzk (1787-1859), interrogé par ses disciples sur le lieu de la Présence divine, répond: «Dieu se trouve partout où nous voulons y voir Sa Présence». Autrement dit, si l’essence profonde de Dieu reste fondamentalement inaccessible à l’entendement humain, l’homme doit redoubler d’efforts afin de chercher et découvrir la trace de Dieu dans son quotidien (Deut. 30, 20) et être, sans cesse, disposé à écouter attentivement sa propre voix intérieure.
Toutefois, au moins deux conditions préliminaires s’avèrent être nécessaires à l’adhésion divine:
1. La pureté du cœur (intention pure dénuée de toute pensée immorale, jalousie, colère, vengeance, préjugés à l’encontre d’autrui et d’intérêt strictement personnel-égocentrique):
«מִי-יַעֲלֶה בְהַר-יְהוָה וּמִי-יָקוּם בִּמְקוֹם קָדְשׁוֹ. נְקִי כַפַּיִם וּבַר-לֵבָב: אֲשֶׁר לֹא-נָשָׂא לַשָּׁוְא נַפְשִׁי; וְלֹא נִשְׁבַּע לְמִרְמָה» (תהילים כ”ד, ג’-ד’).
«Qui s’élèvera sur la montagne du Seigneur? Qui se tiendra dans sa sainte résidence? Celui dont les mains sont sans tache, le cœur pur, qui n’atteste pas ma personne pour la fausseté, et ne prête pas de serment frauduleux» (Ps. 24, 3-4).
2. Le dépouillement intérieur. Il s’agit d’opérer un travail de transformation intérieure. L’homme libéré de son ego (Ani- אֲנִי) transformé en néant (Ayin-אַיִן) laisse, alors, une place à la lumière divine:
«וּמִבְּשָׂרִי אֶחֱזֶה אֱלוֹהַּ» (איוב י”ט, כ”ו).
«Libéré de ma chair, je verrai Dieu!» (Job 19, 26).
Notre travail intérieur de retraite (Tsimtsoum: introspection intérieure, retour sur soi, retenue dans l’expression de nos pulsions négatives et destructrices) consiste, dans un premier temps, à identifier le flux de nos pensées immorales afin de les contrôler, d’en sublimer leur contenu (les effacer totalement semble impossible) et diriger notre conscience vers l’Eternel, la Source de tous les mondes.
L’exemple le plus probant de ce retrait (Tsimtsoum) est celui de Moïse. Une première fois, lors de l’épisode du Buisson Ardent où, fermant ses sens physiques, il devient le prophète par excellence, le réceptacle parfait de la sublime lumière divine; une seconde fois, lors de sa montée au Mont Sinaï vers Dieu pour y recevoir les secondes Tables de l’Alliance (Ex. 34,2; Deut. 10, 10). L’abolition de son ego lui vaut le mérite de voir son nom accolé à la Torah: «Thorat-Moshé» («L’enseignement de Moïse»). En effet, son dévouement, sans faille aucune, en faveur d’Israël qu’il conduit vers Erets Israël (le Pays d’Israël), est illimité. Durant 40 jours et 40 nuits, Moïse se prive de toute consommation, de sommeil et n’entretiendra plus dorénavant de liens charnels avec son épouse Tsipporah. C’est en vertu de son attitude ascétique de retrait et de la preuve d’amour gratuit à l’égard d’Israël qu’il lui revient, au jour de Yom Kippour, de porter, après la faute du veau d’or, les nouvelles Tables de l’Alliance, signe témoignant du pardon divin (Nb. 14, 10).
Shavouot se caractérise par le rapport direct, l’adhésion (Dévékout-דבקות) qui s’établit entre Dieu et Israël. Aucun intermédiaire ne s’interpose entre eux. Moïse monte vers Dieu et Dieu «descend» sur le Mont Sinaï apparaissant dans toute Sa Gloire:
«הֵן הֶרְאָנוּ יְהוָה אֱלֹהֵינוּ אֶת כְּבֹדוֹ וְאֶת גָּדְלוֹ וְאֶת קֹלוֹ שָׁמַעְנוּ מִתּוֹךְ הָאֵשׁ; הַיּוֹם הַזֶּה רָאִינוּ כִּי-יְדַבֵּר אֱלֹהִים אֶת הָאָדָם וָחָי« (דברים ה’, כ’).
«Certes, l’Éternel, notre Dieu, nous a révélé sa gloire et sa grandeur, et nous avons entendu Sa voix du milieu de la flamme; nous avons vu aujourd’hui Dieu parler à l’homme et celui-ci vivre!» (Deut 5, 20).
«וְדִבֶּר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה פָּנִים אֶל-פָּנִים כַּאֲשֶׁר יְדַבֵּר אִישׁ אֶל-רֵעֵהוּ» (שמות ל”ג, י”א).
«Or, l’Éternel s’entretenait avec Moïse face à face, comme un homme s’entretient avec son prochain » (Ex. 33, 11).
Le grand philosophe et professeur de théologie au Séminaire théologique juif d’Amérique, Avraham Yeshoua Heschel(1907-1972) écrit: «l’homme n’aurait pas connu Dieu si Dieu ne s’était pas avancé vers l’homme. La relation de Dieu à l’homme précède la relation de l’homme à Dieu. L’expérience mystique est une tendance de l’homme vers Dieu; l’acte prophétique, la tendance de Dieu vers l’homme…La pleine intensité de l’acte prophétique ne tient pas au fait que l’homme entende, mais au «fait» que “Dieu parle”» (Dieu en quête de l’homme, Ed. du Seuil, Paris 1968 p. 212-213).
Shavouot marque donc le temps de l’entente amoureuse entre Dieu et Israël, Son Fils bien-aimé.
Shavouot constitue le point culminant de la rencontre intime entre la volonté divine et celle de l’homme.
Comment une telle rencontre avec la Transcendance est-elle imaginable? La divinité ne met-elle donc point l’homme en garde contre une telle initiative?
Biographie d’Avraham Yeshoua Heschel racontée par le professeur E. Kaplan
Haïm Ouizemann