Mesdames, Messieurs, chers amis,
Je suis à la fois heureux et triste d’être avec vous ce soir.
Triste parce que quand j’étais adolescent Louis Chédid chantait des mots qui me font encore trembler la voix :
Anna ma sœur Anne,
J’aurais tant voulu te dire, p’tite fille martyre,
Anne ma sœur Anne,
Tu peux dormir tranquille, elle reviendra plus, la vermine.
Mais voila elle est revenue, au nord et au sud, à gauche et à droite. Alors moi aussi j’ai le cafard.
Je suis heureux cependant parce qu’on est dans un lieu d’espoir, ce centre Suzanne Dellal qui est un haut lieu de la danse et de la création contemporaines, écrin de la célèbre compagnie Batsheva. C’est un lieu où l’on sent qu’Israël est vivant, dynamique et audacieux, malgré la douleur et la guerre.
Je suis heureux aussi parce qu’avec Ilana Cicurel, la directrice de l’institut francais, on se disait depuis des mois qu’il fallait engager ici un travail de réflexion, d’abord entre nous puis avec des acteurs israéliens, sur l’antisémitisme actuel afin de trouver des idées pour mieux le combattre ; et nous avons eu la chance que la délégation du comité Français pour Yad Vashem qui venait en Israël pour Yom Ha Shoah ait accepté de lancer le mouvement. Ce sont des visages connus, des personnalités engagées, attachées aux valeurs humanistes et universelles qui font la France, mais ce sont aussi des personnalités attachées à Israël et qui n’ont pas hésité à le dire quitte à prendre des coups parce que comme vous tous, la tragédie du 7 octobre les a bouleversés. Merci à tous les sept d’avoir pris le temps d’échanger avec nous ce soir.
Je suis triste parce que j’aime la République et que dans mon parcours personnel et moral, la République est liée à la protection des juifs. Elle est aussi lié à celle des protestants, et c’est la foi de la famille de mon père, et à celle des minorités en général ce qui est important quand on appartient à l’une d’elles. Et aujourd’hui ça ne va pas bien. En France, en Europe, dans le monde, les actes antisémites se multiplient. Ils prennent des formes plus diverses et plus désinhibées : agressions, insultes, profanations, mais aussi discours haineux, appels au boycott, et même déni du droit à l’existence.
Ce sont des choses que vous voyez et vos proches en France vous en parlent. Une de mes amies, Shirelle, a décroché sa mezouza de son appartement parisien ; un de mes collaborateurs m’a parlé de ses copains à Sarcelles qui planquent leur kippa sous une casquette en rasant les murs. Beaucoup de Français non juifs le voient autour d’eux et eux aussi n’en reviennent pas.
Cela ne date pas du 7 octobre. Ilan Halimi, Mireille Knoll, Sarah Halimi, la famille Sandler, la petite Miriam Monsonego, les victimes de l’Hypercacher, c’était avant. Mais depuis le 7 octobre les choses ont changé d’échelle. La critique des actions du gouvernement israélien -et ça, on peut- a trop souvent abouti à la remise en cause de l’existence même d’Israël et à la mise en accusation systématique des juifs, et ça, on ne doit pas. Jamais.
Je suis donc heureux-malheureux, parce que ce qui se passe m’inquiète mais aussi parce que j’ai toujours espoir dans la France parce qu’elle n’a pas renoncé, et c’est aussi de cela qu’il faut parler ce soir.
En pleine affaire Dreyfus, le père du philosophe Emmanuel Levinas voyait aussi de la lumière. Il avait alors écrit qu’« un pays où l’on se déchire pour sauver l’honneur d’un petit capitaine juif est un pays où il faut aller sans tarder ».
Ce qui me donne de l’espoir c’est qu’en France l’antisémitisme n’est pas une opinion, c’est un délit. On a des lois pour lutter contre, des instructions dans les ministères et on les applique; et même si l’on peut avoir l’impression d’un dépassement face au torrent des incidents, la République n’a pas renoncé à protéger et punir. Oui, trop souvent, les victimes sont sommées de se justifier, de se faire discrètes, de taire leur douleur. Mais non, elles ne sont pas abandonnées.
Simplement la République fait face à une vague inédite par son ampleur, et cela nécessite de savoir agir plus loin et parfois différemment. C’est le sens des assises nationales contre l’antisémitisme relancées en France en février dernier. Et l’espoir de l’initiative de l’institut français d’Israël est d’apporter un regard franco-israélien dans ce processus, et de porter ce débat jusqu’à vous pour nous y aider.
Nous commémorerons bientôt Yom Ha Shoah. J’ai moi-même découvert l’antisémitisme à l’âge de 11 ans, en regardant la série Holocauste sur le petit téléviseur de ma grand-mère. L’antisémitisme et la shoah forment pour moi un tout, je n’ai jamais pu les dissocier, c’est le même échec invraisemblable de l’âme humaine. L’antisémitisme n’est donc pas seulement une attaque contre les Juifs. C’est une attaque contre nous tous. Contre nos valeurs. Contre ce qui fait une société, une République.
Mais voilà, l’antisémitisme est ressorti de sa tanière et ce ne sera ni facile ni rapide de l’y ramener. Il faudra, pendant longtemps protéger les communautés et les emprises, mener la bataille de l’éducation, renforcer l’arsenal judiciaire, accroître la surveillance en ligne, perpétuer la mémoire de la Shoah, et bien d’autres choses auxquelles je n’ai pas pensé mais auxquelles des débats comme celui de ce soir peuvent nous aider à réfléchir, parce qu’il va falloir être ensemble pour sortir de l’ornière actuelle et garder en première ligne une République qui protège.
Car être Français, c’est défendre « l’honneur d’un petit capitaine juif ».
C’est protéger chaque citoyen contre l’ostracisme et la violence.
C’est agir pour la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages.
C’est vouloir en finir avec les souffrances de la guerre à Gaza,
Ce n’est pas s’interdire toute critique des actions d’Israël, mais c’est refuser les appels au boycott et à la stigmatisation d’Israël. Ils nourrissent un antisémitisme dont nul ne doit oublier à quoi il a conduit.
Alors merci, de tout cœur, d’être là ce soir. Vous êtes ici parce que vous portez, d’une manière ou d’une autre, des idées pour contrecarrer l’historique hystérie, pour en revenir à Louis Chédid. Vous le faites avec constance, conviction et exigence. Ce combat est le vôtre, il est le nôtre, il est celui de la République.
Je vous remercie.
Discours prononcé par l’Ambassadeur hier soir – en ouverture de la conférence sur « La République contre l’antisémitisme », événement relayé également dans la presse israélienne