L’expression « État de droit » est souvent entendue dans les débats juridiques, politiques et publics, mais en comprenons-nous la profondeur ? S’agit-il simplement de soumettre tout le monde à la loi, ou contient-elle une promesse plus profonde ? Dans un véritable État démocratique, la loi ne doit pas seulement faire respecter l’ordre, mais aussi garantir la liberté humaine, protéger la dignité humaine et constituer une barrière contre le pouvoir arbitraire. Cette idée est née d’une riche tradition philosophique, mais elle est aujourd’hui confrontée à des défis difficiles.
Les racines philosophiques, de la loi divine à la loi de la raison : Déjà dans l’Antiquité, des penseurs, tels que Platon et Aristote, soutenaient que la loi devait régir le souverain – et non l’inverse. À leurs yeux, la loi est une expression de la raison et non du pouvoir. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les penseurs des Lumières, tels que John Locke, Rousseau et, plus tard Kant, soutenaient qu’une société libre avait besoin d’une loi qui protège les droits naturels de chaque personne. Selon cette approche, la loi n’est pas une limitation de la liberté, mais plutôt l’outil qui la réalise. Kant a même soutenu qu’une vraie loi est celle que toute personne libre peut vouloir comme principe général. De cette façon, l’État de droit prend un caractère moral et non seulement juridique. Il est censé non seulement imposer l’ordre, mais exprimer des valeurs d’égalité, de responsabilité et de liberté. Un tel État se soumet à la loi. Le véritable État de droit est très différent de celui d’un pays dans lequel la loi sert d’instrument arbitraire entre les mains du gouvernement. Dans un tel pays, la loi limite chaque autorité — législative, exécutive et judiciaire. Une séparation des pouvoirs et une supervision mutuelle existent entre eux. La loi s’applique à tous, y compris aux politiciens eux-mêmes. On protège les droits fondamentaux (tels que la liberté d’expression, le droit à un procès équitable, l’égalité devant la loi). Le message principal : la loi précède le pouvoir. La loi n’est pas seulement un outil : c’est une infrastructure morale et juridique pour vivre ensemble.
Mais la réalité est complexe. Au cours des dernières décennies, nous avons assisté à une érosion croissante des principes de l’État de droit, même dans les démocraties de longue date : des gouvernements qui affaiblissent l’indépendance des tribunaux. Des lois rapidement promulguées pour servir des intérêts politiques. Utiliser l’état d’urgence comme outil de régime permanent. Et même – le public s’éloigne de la compréhension de la loi et de la participation civique.
On observe également une critique plus profonde : l’État de droit protège-t-il réellement tout le monde ? Des critiques comme Karl Marx ont soutenu que la loi sert les capitalistes ; d’autres, comme Michel Foucault, soutiennent que la loi crée l’obéissance à travers des normes de contrôle. L’« État de droit » est-il vraiment l’État du public, ou est-ce plutôt une illusion sophistiquée ? Qu’est-ce qu’un véritable État de droit ? Un État de droit sain n’est pas un système rigide de réglementations, mais un dialogue vivant entre une société libre et des institutions qui se soumettent à la critique. C’est un processus continu de correction, d’inclusion et de redéfinition de la justice. La véritable liberté ne se limite pas à la liberté de ne pas être ingéré, mais consiste à vivre dans un cadre juridique fondé sur la responsabilité, l’égalité et la dignité humaine. Dans un tel pays, une loi écrite ne suffit pas : on doit aussi une culture démocratique, un engagement civique et la capacité de se demander encore et encore si la loi sert la personne ou l’inverse.
En bref : l’État de droit est un principe fondateur de la liberté humaine – mais aussi un défi moral et politique constant. Dans la réalité israélienne d’aujourd’hui, où le discours sur le droit, l’autorité et les droits est devenu de plus en plus chargé, nous devons nous rappeler que toutes les lois ne sont pas justes. De même, toutes les règles de droit ne sont pas des règles de justice. La véritable question est : vivons-nous dans un pays où la loi nous protège, ou dans un pays où nous protégeons la loi pour qu’elle reste digne de son nom?
La question qui découle directement de ce discours est la suivante : l’État est-il sous l’autorité du droit ou sous l’autorité des juges ? C’est le conflit fondamental de la démocratie moderne. Comme je l’ai mentionné, l’État de droit est l’un des principes fondamentaux de la démocratie moderne : il garantit qu’aucune personne, institution ou autorité n’est au-dessus de la loi. Toutefois, lorsque le pouvoir judiciaire, et en particulier la Cour suprême ou la Cour constitutionnelle, étend ses pouvoirs, il arrive qu’elle invalide des lois, limite le pouvoir législatif ou interprète des principes fondamentaux supraconstitutionnels. Dans ces cas, des inquiétudes surgissent quant à ce que l’on appelle la « règle judiciaire ».
La question fondamentale que nous examinons est la suivante : comment concilier l’État de droit et le principe de souveraineté populaire ? Un contrôle juridictionnel approfondi renforce-t-il la démocratie, ou la compromet-il ?
Je le répète, l’État de droit comprend plusieurs hypothèses de base : la suprématie de la loi : La loi prévaut sur la volonté des individus, des groupes et même du gouvernement lui-même. Égalité devant la loi : Toute personne, y compris les élus, est soumise à la loi de manière égale. Séparation des pouvoirs et contrôle juridictionnel : Un système judiciaire indépendant est autorisé à contrôler la légalité des actions gouvernementales. Protection des droits de l’homme : Les droits fondamentaux ne dépendent pas de la volonté de la majorité. En ce sens, les juges ne « gouvernent » pas, mais protègent la loi, les citoyens et les principes fondamentaux du régime démocratique. L’argument restant : les juges n’etant pas un gouvernement élu, les critiques du pouvoir judiciaire peuvent affirmer que, lorsque les juges invalident les lois ou imposent une interprétation juridique contraire à la position du pouvoir législatif, ils exercent en réalité une autorité gouvernementale sans que le public les ait mandatés. La contestation augmente lorsque la décision aborde des questions politiques, religieuses ou morales controversées, comme le recrutement de juifs ultra-orthodoxes, les droits des LGBT, la politique d’immigration ou les pouvoirs en matière de sécurité.
En Israël : la lutte autour de l’autorité de la Haute Cour pour invalider les lois ou le principe de raisonnabilité. Aux États-Unis : décision inverse sur la question de l’avortement. En France : la critique du Conseil constitutionnel en tant qu’organe juridico-politique.
Une réponse libérale existe : les juges protègent la démocratie d’elle-même. D’autre part, on peut adopter une approche selon laquelle le jugement constitutionnel n’est pas une contradiction avec la démocratie, mais plutôt une défense de celle-ci. La souveraineté populaire est limitée parce que la majorité n’est pas autorisée à violer les droits fondamentaux. C’est là qu’intervient le système juridique : pour protéger les groupes minoritaires, garantir des procédures équitables et maintenir un cadre constitutionnel moral. Le philosophe John Rawls parlait de « justice comme équité » dans laquelle les institutions sociales devraient être justifiées pour tous, non seulement numériquement, mais moralement.
Alors, entre autorité et légitimité : comment maintenir l’équilibre ? La véritable tension ne se situe pas entre la démocratie et le droit, mais entre la représentation et la retenue. On peut percevoir un système judiciaire trop fort comme élitiste, déconnecté du public, mais un système trop faible peut transformer la démocratie en « tyrannie de la majorité » (Alexis de Tocqueville). Les solutions possibles sont les suivantes : limiter les pouvoirs de contrôle de la Haute Cour aux seuls principes supra-constitutionnels clairs. Renforcer la transparence et la responsabilité du système judiciaire. Nomination des juges dans un équilibre entre considérations professionnelles et considérations publiques. Créer un « dialogue constitutionnel » entre la Knesset et la Haute Cour de justice (comme au Canada).
Si nous pouvons résumer, nous dirons que l’État de droit n’est pas une formule figée, mais un équilibre dynamique entre la souveraineté du peuple et la souveraineté de la loi. Cet équilibre, la responsabilité démocratique doit la mettre à jour en continue, la réviser et la maintenir. Nous pourrions envisager les liens entre l’état de droit et la justice constitutionnelle comme des interactions fluides et adaptatives, plutôt que de les concevoir de manière statique et rigide, en fonction de schémas préétablis. Ces relations sont en effet sujettes à des modifications constantes en fonction du contexte et exigent un réajustement assidu. Par exemple, le « contrôle juridictionnel » valable pour tous les lieux et tous les temps n’existe pas sous une forme fixe. Dans différents pays (comme l’Allemagne, Israël, les États-Unis et la France), les équilibres sont différents, et c’est légitime. Dans un même pays, l’équilibre entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif peut changer en fonction du contexte politique, social et historique. Le concept de « dynamique » indique ici qu’une démocratie vivante nécessite un dialogue constant entre des principes conflictuels (souveraineté du peuple, État de droit, droits de l’homme) – et non une solution finale ou technique. L’État de droit a besoin d’un système juridique fort, mais aussi d’une Knesset responsable, de médias critiques et d’une société civile active. Le règne des juges ne constitue pas nécessairement une déviation de la démocratie, mais il pourrait le devenir s’il perd le contact avec le public et les limites de son autorité. Notre défi est de maintenir un équilibre vivant, dans lequel ni la loi ni le peuple ne sont absolus, mais s’équilibrent constamment.
L’État de droit n’est pas un régime figé, mais un système complexe d’équilibres qui exige un maintien moral et juridique constant !!
Rony Akrich pour Ashdodcafe.com
A 69 ans, il enseigne l’historiosophie biblique. Il est l’auteur de 7 ouvrages en français et 2 à venir sur la pensée et l’actualité hébraïque. « Les présents de l’imparfait » tome 3 et 4 seront ses 2 prochains ouvrages. Un premier livre en hébreu pensait et analysait l’actualité hebdomadaire: «מבט יהודי, עם עולם», il sera suivi par 2 autres ouvrages tres bientot. Il écrit nombre de chroniques et aphorismes en hébreu et français publiés sur les medias. Fondateur et directeur de l’Université Populaire Gratuite de Jérusalem et d’Ashdod. Il participe à plusieurs forums israéliens de réflexions et d’enseignements de droite comme de gauche. Réside depuis aout 2023 à Ashdod après 37 ans à Kiriat Arba – Hevron
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