Wolt, c’est un peu le conte de fées qui tourne au cauchemar. Fondée en 2014 à Helsinki par Miki Kuusi, un ancien de Nokia, puis rachetée en 2022 par le leader mondial DoorDash, la plateforme de livraison a d’abord séduit l’Europe, s’implantant surtout dans les pays de l’Est et en Scandinavie, ainsi que dans des pays comme le Kazakhstan ou la Géorgie, avant de débarquer en Israël en 2018. Avec son application intuitive, son large choix de restaurants et ses livraisons ultra-rapides, Wolt a rapidement conquis le marché israélien, jusqu’à devenir un acteur quasi monopolistique. C’est un peu sa marque de fabrique : choisir des pays où l’offre de service est faiblement développée, et arriver avec une proposition séduisante pour des clients appâtés par la nouveauté et peu conscients du dégât social causés aux petits commerces aussi bien que du statut social de ses livreurs, pompeusement présentés comme des auto-entrepreneurs alors qu’ils sont des salariés déguisés comme la jurisprudence l’a montré dans le monde entier (y compris Israël).

Comme dans les contes, le loup a fini par montrer les dents. Wolt a récemment imposé un nouveau modèle économique, inspiré d’Amazon prime. Un abonnement mensuel payant « Wolt Plus » exempte le client de frais de livraison. En même temps, pour encourager le passage à l’abonnement, Wolt a augmenté nettement le coût de la livraison : 5% de la commande, avec un minimum de 5,90 shekels. Et ce n’est pas tout : le minimum de commande a également fait un bond, passant de 50 à 60 shekels pour les restaurants et de 70 à 140 shekels pour les supermarchés (!)

Et comme on est en Israël, un des pays les plus chers du monde, Wolt n’hésite pas à fixer la barre très très haut, avec des tarifs exorbitants comparé à ce que l’entreprise pratique ailleurs. Quelques exemples : l’abonnement « Wolt Plus » coûte 49 shekels en Israël, contre seulement 9,10 shekels en Hongrie, ou 11,10 shekels en Croatie. Même en Europe de l’Ouest, les prix sont bien plus doux : 14,80 shekels en Autriche, 18,50 shekels en Allemagne, 31,40 shekels en Norvège… Seule l’Islande fait « mieux » avec 50,30 shekels. Rak be-Israel, on vous dit.

Mais l’arnaque ne s’arrête pas là. Là où Wolt se sucre un maximum, c’est sur les commandes de produits de supermarché. Le minimum est certes passé à 140 shekels mais vu les prix pratiqués par la plateforme vous y arriverez très rapidement… Il vous manque des oeufs, des couches, du lait ? Attendez-vous à une majoration des prix qui peut atteindre 20%. Un panier de courses vérifié par le quotidien The Marker chez Carrefour coûte 17,4% plus cher sur Wolt qu’en magasin (et on sait que Carrefour n’est pas vraiment concurrentiel). De quoi faire réfléchir à deux fois avant de céder à la facilité.

Pire encore, Wolt se sert de tous les côtés et exige des restaurants de payer, en plus de 25 à 30% qu’ils rétrocèdent déjà à l’application sur chaque commande (juste pour la livraison et la mise en relation !) des “frais de fonctionnement” supplémentaires de 6 shekels juste pour avoir accès aux clients abonnés. Le piège monopolistique parfait, où les fournisseurs et les clients sont prisonniers et traits comme des vaches.

Wolt, comme beaucoup d’entreprises mondiales obsédées par les dividendes à verser aux actionnaires, n’a pas vraiment saisi l’air du temps en Israël suite aux spectaculaires augmentations de prix et à l’austérité qui a été imposée aux classes moyennes après plus d’un an de guerre. Ses cadres ne suivent peut-être pas les appels au boycott et les vidéos virales de paniers vidés de certaines marques. Résultat : appels à boycotter Wolt, baisse des commandes (jusqu’à 40% dans certains supermarchés de Tel Aviv ), et un sentiment général d’être un pigeon.

Un fidèle reflet de la société, en bleu

En fait, Wolt et son succès foudroyant ici, c’est un peu l’incarnation de certains travers de la société israélienne : des clients qui confondent achats et plaisir, une consommation impulsive, rapide, et l’obsession est de passer pour un radin. Des habitudes d’ultra-abondance et de jeter sans vergogne la nourriture à la poubelle. Comme le souligne Itai Dagan, finaliste de MasterChef et propriétaire d’un compte Instagram populaire  encourageant les salariés à arrêter de commander chez Wolt pour cuisiner et manger plus sainement : « Vous commandez un plat à 80 shekels et vous recevez 100 g de protéines, mais assez de riz pour deux jours. »

Wolt a d’abord prospéré dans le secteur de la high-tech, où les salaires élevés et le rythme de travail favorisent les dépenses impulsives. Beaucoup de salariés reconnaissent dépenser des milliers de shekels par mois en commandes. C’est aussi un phénomène social. A l’entrée des superbes cuisines tout équipées et approvisionnées en friandises et boissons de tout genre qui sont devenues la norme infantilisante du secteur afin que les salariés se sentent “à la maison” et ne comptent pas leurs heures, se trouve généralement un mur d’étagères fabriquées pour contenir des sacs de livraison. C’est là que tous les midis, des escouades de livreurs Wolt, Ten Bis, ou Cibus viennent déposer les repas commandés par les salariés. On est bien loin du modeste mitbachon (kitchenette) où les employés israéliens “normaux” se font un café, coupent leur salade ou réchauffent leur boîte amenée de la maison.

Si on en a marre de Wolt et qu’on veut leur donner une leçon, pas de solution miracle, mais quelques pistes à explorer :

  • Reprendre le contrôle de notre alimentation : cuisiner, c’est bon pour la santé, pour le porte-monnaie, et c’est aussi un acte politique.
  • Soutenir le secteur : privilégier les restaurants qui livrent en direct.
  • Boycotter Wolt : il y a d’autres alternatives comme par exemple Mishloha

Nos choix de consommation ont un impact. Il est non seulement possible mais nécessaire de dire non à un modèle économique qui profite de nos faiblesses. Wolt s’est taillé une place disproportionnée dans le paysage grâce à un marketing agressif et une offre de départ taillée sur mesure pour les Israéliens adeptes de “petits kifs” qui ne savent rien se refuser. Il est temps de les remplacer par une concurrence plus saine et/ou de se remettre à cuisiner.

Yaëlle Ifrah est ancienne conseillère parlementaire à la Knesset, experte sur les sujets économiques et en particulier tout ce qui concerne la consommation en Israël.
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