Accueil L'Actu Economique-Juridique-Fiscal Spécial été – la saga des marques : Diplomat par Yaelle Ifrah

Spécial été – la saga des marques : Diplomat par Yaelle Ifrah

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L’incarnation de l’importateur exclusif qui s’enrichit de façon disproportionnée en important des marques internationales, Diplomat a peut-être terminé son âge d’or.

Connaissez-vous le nom de l’importateur de vos rasoirs Gillette, de vos céréales Kellog’s ou de votre sauce soja Kikkoman en France ? Évidemment non, pour la bonne raison que les groupes industriels qui les produisent ont des filiales françaises ou européennes, qui commercialisent leurs produits sur le territoire français, à des prix relativement identique ou adaptés au pouvoir d’achat ou aux habitudes locales.

Ce n’est pas du tout le cas en Israël. Ici, un peu comme pour les voitures, les marques passent un accord avec un importateur et lui accordent l’exclusivité de la distribution  de leur produit en Israël, même si c’est de facto contraire à la loi qui prévoit que le commerce est libre dans le pays. Il existe donc tout une classe d’importateurs exclusifs qui contrôlent le robinet des marques, choisissant quels produits importer, en quelle quantité, où les vendre, et surtout, évidemment, à quel prix.

La raison pour laquelle les marques étrangères sont vendues à des prix exorbitants en Israël, parfois jusqu’au double ou plus de leur prix dans des pays ‘normaux’, est qu’il faut bien nourrir ces importateurs exclusifs, qui font partie des sociétés les plus rentables et les plus rapaces du marché et contribuent très largement au coût de la vie en Israël. Sans contribuer par la moindre innovation ni prendre le moindre risque, ces sociétés s’en mettent littéralement plein les poches juste grâce à la culbute effectuée sur la revente de céréales, biscuits, shampooings et autres produits du quotidien. Et la plus célèbre est, bien entendu, Diplomat.

Pourquoi sait-on aujourd’hui plus de choses sur Diplomat et pourquoi a-t-elle été exposée au regard public avec les résultats que j’expliquerai plus loin ?

Tout simplement parce que ce bon vieux monopole des familles a décidé de rentrer en bourse en 2021. Jusque-là et à l’instar de l’écrasante majorité des monopoles d’importation comme Shestovich, Williger ou Leyman Shisel, Diplomat était une société familiale et donc privée, et comme telle, non obligée à la publication de ses comptes.

Toutefois à l’occasion de sa transformation en société publique, Diplomat a été obligée de publier ses données financières, afin d’appâter d’éventuels futurs actionnaires. Suivant les prix mirobolants auxquels sont vendus en Israël le shampooing Head&Shoulders, le ketchup Heinz ou les Corn-Flakes, on pouvait supposer que Diplomat devait se mettre un sacré bénéfice en poche mais on en était réduit à des estimations. Depuis 2021, on sait de façon certaine que le bénéfice net de Diplomat est exceptionnel par rapport à son secteur d’activité, et grâce aux incessantes hausses de prix opérées ces dernières années, il ne fait que s’améliorer.

Revenons un peu en arrière : Diplomat a été fondée en 1963 aux Etats-Unis, et a démarré en fabriquant et distribuant localement des rasoirs sous la marque Pharma-Sharp ; dès 1968, elle a commencé à importer et distribuer en Israël des produits de grande consommation. La société s’est également implantée par la suite en Géorgie, Nouvelle-Zélande, Chypre, et Afrique du Sud. Les produits importés appartiennent à deux grandes catégories, l’alimentaire, qui est responsable d’environ la moitié du CA et les produits d’hygiène, entretien et cosmétique. Parmi les marques distribuées : Heinz, Jakobs, Oreo, Pringles, Lotus, Kellog’s et Kikkoman pour l’alimentaire, et Ariel, Gillette, Head and Shoulders, Always, Pantene, Wella, Pampers, Tampax, Oral B…

Le CA de Diplomat était de 3.7 milliards de shekels en 2023, contre 2.95 en 2022 et 1.8 en 2020. La société fournit environ 3.000 clients, aussi bien les grandes chaines de supermarché et de pharm que les épiceries, minimarkets et magasins de stations-service, mais aussi les hôtels et les restaurants. Sans surprise, on apprend que la grande distribution représente 75% des ventes, Rami Levi et Shufersal pesant à eux seuls un tiers du CA.

Diplomat a le privilège d’être depuis 1995 l’importateur officiel et exclusif en Israël de Procter&Gamble, le géant américain de l’entretien et de l’hygiène (82 milliards de dollars de CA en 2023, plus de 60 marques internationales), avec une très forte dépendance à cet accord qui représente plus de la moitié de ses achats ; elle distribue aussi Mondelez (géant du chocolat et des bonbons, 36 milliards de dollars de CA en 2020) et elle est propriétaire de la marque Starkist (40% des ventes de thon en boite en Israël).

Les produits de Procter&Gamble ont représenté en 2020, 60% des produits vendus par Diplomat en Israël et … 72% de ses profits. On commence à voir un modèle qui se dégage.

Plus Diplomat permettra à Procter et Gamble de lui vendre ses produits à un prix élevé et sera en position de maintenir le niveau des ventes, plus la probabilité de conserver son statut d’importateur exclusif est grande, sans compter que Procter ne paie aucun impôt sur les revenus tirés des ventes israéliennes déclarés auprès d’une filiale suisse. Verrouiller le marché, faire la guerre à l’importation parallèle, maintenir des prix élevés sur un marché insulaire et captif où l’Etat ne fait absolument rien contre les monopoles, et tout le monde est riche et content, sauf le consommateur bien entendu.

Car en effet ces produits de consommation courante sont vendus à prix d’or en Israël et de nombreux d’entre eux sont des monopoles, même si malgré de nombreuses demandes d’associations, l’Autorité de la Concurrence refuse de les déclarer comme tels.

Gillette règne par exemple sur 85% du marché des rasoirs jetables. Quelques exemples issus d’une comparaison des prix effectuée par mes soins récemment : le paquet de Corn Flakes 500g : 17;90 sh en moyenne en Israël, environ 2,99 € en France soit une différence de 49,7 %. Les biscuits Oreo, 58,30 sh/kg en Israël et 28,10 sh/kg en France soit le double (j’avais fait cette même comparaison en 2021 et alors la différence n’était “que” de 55%) ; rasoirs Gillette Blue II 3 sh l’unité (après une très grosse baisse de prix ces dernières années) et 1,59 sh en France, soit le quasi le double en Israël.

Sans compter le prix honteux des protections périodiques Always, que beaucoup de femmes rapportent carrément de voyages à l’étranger. C’est simple : à chaque fois que Diplomat distribue une marque forte, désirable en termes d’image, le consommateur israélien doit casquer.

Seule la lessive en poudre Ariel est vendue nettement moins chère en Israël qu’en France, ce qui s’explique évidemment par la taille des familles et le budget lessive d’un ménage.

Quand je serai grand, je serai importateur

Les données financières publiées par Diplomat montrent une marge brute de 20%  totalement exceptionnelle selon les standards du secteur, cela après avoir acheté les produits à ses fournisseurs, probablement sans  ristourne particulière car Israël n’est pas un gros marché, acquitté une commission d’exclusivité qui lui donne le statut de distributeur officiel et payé tous les frais d’acheminement, autorisations, avant frais financiers, impôts, taxes etc… C’est énorme, et évidemment cela découle des prix auxquels elle vend aux enseignes.

Sur le papier, la marge opérationnelle finale est de 4,6%, mais c’est après des distribution de dividendes très généreux et l’attribution d’un salaire annuel de plus de 9 millions de shekels à Noam Wiman, le PDG. On apprend également de ces documents que la marge nette de Diplomat en Israël est double de celle d’Afrique du Sud ou de Nouvelle-Zélande, et triple de celle de la Géorgie. Et il y a quelqu’un qui la paie de sa poche via les prix pratiqués, évidemment ce sont les consommateurs israéliens.

L’année dernière a été un peu moins rose mais c’est une exception : Nos amis de Diplomat ont eu une embrouille. Ils ont fait partie avec Osem, Neto, Sano, Strauss et Unilever, d’avoir fait des ententes illégales sur le prix entre “concurrents”, d’avoir violé les dispositions de la loi sur les produits alimentaires concernant l’occupation par des sociétés dominantes de la surface de rayons.

Au lieu d’aller au bout de l’enquête et de mettre fin à ces pratiques, l’Autorité de la Concurrence a déclaré n’avoir ni les moyens ni le temps d’enquêter et a passé en avril 2024 avec les marques un deal. Diplomat a dû payer 9 millions de shekels d’amende, ce qui a porté un coup à sa marge nette. Elle s’est rattrapée en augmentant non pas une, mais deux fois ses prix depuis le début de la guerre. On ne se refait pas.

La réforme “Ce qui est bon pour l’Europe est bon pour Israël” de Nir Barkat, en phase finale de débats parlementaires, viendra-t-elle un peu émousser la position très dominante de Diplomat ?

Rien n’est moins sûr, car les problématiques de standards uniques ne sont qu’indirectement liées à celles des distributeurs exclusifs qui par leur statut même, verrouillent un marché et en maintiennent le prix artificiellement élevé.

Yaëlle Ifrah est ancienne conseillère parlementaire à la Knesset, experte sur les sujets économiques et en particulier tout ce qui concerne la consommation en Israël.
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