Le Dr. Sandrine Boudana, directrice du Département de communication de l’Université de Tel-Aviv, propose des conseils de conduite face aux informations fallacieuses qui pullulent sur les réseaux sociaux et les médias.
Aujourd’hui plus que jamais, se déroule sur les réseaux sociaux l’une des batailles les plus ardentes des conflits : la lutte pour l’opinion publique locale, régionale, et surtout internationale. À l’heure actuelle, alors que l’information est si facilement accessible (peut-être même trop) et parvient sur le téléphone portable de tout un chacun sans le filtrage ni la surveillance appropriés d’une instance officielle de vérification, de nombreuses questions se posent quant à notre capacité à nous défendre contre les fausses nouvelles.
Le Dr. Sandrine Boudana est spécialiste des études sur la presse, en particulier de la couverture journalistique de la violence, des conflits et des guerres, ainsi que de la photographie de guerre dans une perspective multinationale comparée. Ses publications portent sur les questions liées à l’objectivité de la presse, aux préjugés journalistiques et au rôle rituel de l’information et des images emblématiques dans l’actualité.
Est-il possible d’identifier en temps réel si une information est réelle ou fausse ?
« La capacité à identifier les Fake News est devenue plus compliquée en raison de trois phénomènes interdépendants », explique-t-elle. « Le premier est la mondialisation de l’information. Au début des années 90, sont apparues la télévision par câble et la diffusion par satellite, qui ont marqué le début d’une politique de diffusion de l’information 24h sur 24, 7 jours sur 7. La couverture immédiate des événements dans le monde a conduit, à plusieurs reprises, à la diffusion de fausses informations, et même les institutions de radiodiffusion les mieux établies ont été manipulées par des sources de propagande. La guerre en Irak en est un bon exemple ».
« Le deuxième phénomène est la place importante qu’occupent les médias sociaux dans la production et la diffusion de l’information et de l’actualité. Sur les réseaux sociaux, nous devenons en fait tous des producteurs et des diffuseurs d’information. L’identification des sources d’information et l’évaluation de leur crédibilité devient donc un effort sisyphéen. Le troisième phénomène est l’introduction croissante des technologies d’intelligence artificielle et en particulier celle du « Deepfake », qui rendent très difficile l’identification des photos fabriquées ».
« Le problème est d’identifier la fake news « en temps réel ». Pour identifier si une information est réelle ou fausse, il faut recourir au croisement des sources, et transmettre des demandes à des experts d’analyse de contenu. Ce sont des processus qui prennent du temps. Par exemple, dans le cas du bombardement de l’hôpital à Gaza le 17 octobre dernier, les médias étrangers se sont précipités pour publier la déclaration du Hamas, et il a fallu plusieurs jours pour que la vidéo du lieu réel de l’explosion soit diffusée et que les voix des experts se fassent entendre. Les journalistes et les citoyens étant incapables d’identifier les fausses nouvelles en temps réel, ils doivent être extrêmement prudents. Les journalistes doivent insister sur l’identité des sources, évaluer leur crédibilité et expliquer que l’information est susceptible d’évoluer au cours du processus continu de vérification des données ».
Que faire lorsque l’on tombe sur une Fake News sur la toile ?
Que faire lorsque l’on tombe sur une Fake News sur la toile ? Cela dépend de sa nature, de qui l’a produite et dans quel contexte, explique le Dr. Boudana. « La plupart du temps, nous réagissons en publiant la véritable information, et en répondant à celui qui a diffusé la fausse nouvelle. Corriger les fausses nouvelles semble être une démarche naturelle et juste, mais le répondant doit présenter des sources convaincantes (par exemple des voix institutionnelles comme l’ONU, l’Union européenne ou celle d’experts) et publier un lien qui relie ses affirmations à des sources faisant autorité. Mais là aussi, notre réponse à la fake news est susceptible d’ouvrir une discussion sans fin, un dialogue de sourds, qui ne fera que lui donner encore davantage de publicité ».
« Dans le cas de la guerre actuelle, les Israéliens qui tentent de s’opposer à la propagande pro-Hamas risquent de se retrouver en minorité sur le plan numérique. Sur les réseaux sociaux, ce sont les masses qui ont raison, et pas nécessairement ceux qui disent la vérité. Si la fake news peut être considérée comme une incitation ou un soutien au terrorisme, vous pouvez copier le lien, prendre une capture d’écran de la publication et la signaler sur les pages des sites Web ouverts par les gouvernements pour que les créateurs de contenu puissent être identifiés et poursuivis. Il est également possible de la signaler sur les pages de reporting des réseaux sociaux, mais en tenant compte du fait que leurs décideurs arrivent parfois à des conclusions surprenantes ».
« Je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire, mais au niveau individuel, mon conseil est d’éviter de réagir aux posts mensongers sur les réseaux sociaux par des réponses émotionnelles et interminables, afin qu’ils ne bénéficient pas de plus de publicité qu’ils n’en ont déjà ».
«En dehors des médias sociaux, si nous avons l’occasion, grâce à des interactions personnelles, d’agir pour corriger une information fallacieuse, cela peut être plus efficace même si nous ne touchons, selon nous, qu’un nombre limité de personnes. Même si nous parvenons à apporter à un petit nombre de personnes des faits concrets, des chiffres précis, un contexte historique et des versions réussies du contenu que nous voulons transmettre, il y a de fortes chances qu’elles les réutilisent dans d’autres cercles sociaux ».
Au niveau gouvernemental
« Au niveau gouvernemental : les responsables autorisés du gouvernement et de l’armée doivent réagir avec rapidité et précision, autant que possible, et faire preuve de transparence sur ce qu’ils savent ou ne savent pas. Mais encore une fois, la rapidité et la précision peuvent être difficiles à atteindre, surtout en temps de guerre. Prenons par exemple le cas survenu en 2000 : un garçon palestinien nommé Muhammad al-Dura a été pris entre deux feux entre Palestiniens et Tsahal et a été tué. Le gouvernement israélien a alors pris la décision de réagir rapidement en reconnaissant la responsabilité de Tsahal et en exprimant ses regrets pour cette erreur. La rapidité de la réaction était principalement due à un calcul stratégique supposant qu’un aveu de culpabilité permettrait de clore l’affaire et d’inciter le public à passer autre chose. Mais ce qui s’est passé fut exactement le contraire : la couverture médiatique de l’événement a déclenché le deuxième Intifada. Après enquête, la partie israélienne a affirmé que Tsahal n’était pas responsable de la mort du jeune garçon et se bat jusqu’à ce jour pour que sa (nouvelle) version soit acceptée, mais il semble qu’il soit déjà trop tard. Le deuxième exemple est la mort de la journaliste d’Al Jazeera Shireen Abu Akleh à Gaza en 2022. Cette fois, le gouvernement israélien a décidé de publier rapidement un communiqué niant la responsabilité de sa mort. Mais les preuves se sont alors accumulées et le gouvernement a dû admettre qu’une erreur avait été commise. Il est difficile de trouver l’équilibre entre rapidité, précision et transparence ».
Une autre stratégie pour réduire les dommages causés par les fausses nouvelles consiste à discréditer la source de la publication de l’information sur la base d’erreurs passées. Des exemples de fausses nouvelles déjà reconnues comme telles peuvent avoir un effet dissuasif. Même les sources les plus fiables, comme le New York Times, ont déjà diffusé de fausses nouvelles. Un cas bien connu est celui du massacre de Timisoara en 1989 : tous les médias occidentaux ont publié de fausses informations sur un massacre de masse en Roumanie, basées sur une photo falsifiée de charniers. Non seulement les médias se sont laissé influencer les uns par les autres, mais les journalistes ont également été influencés par des conceptions préconçues et des préjugés : considérant Ceausescu comme une sorte de dictateur maléfique qui ordonne des meurtres de masse, et ont eu tendance à croire que le massacre avait bel et bien eu lieu, même si cette accusation était basée uniquement sur une photo ».
Les Fake News de Libération
« Autre exemple, tiré de la guerre actuelle : la photo d’une petite fille palestinienne en pyjama rose émergeant des ruines d’un immeuble, brandie lors d’une manifestation propalestinienne en Égypte, et reprise par certains médias occidentaux, dont le journal Libération. Pourtant, il s’est avéré par la suite qu’il s’agissait d’une image fabriquée : l’image de la petite fille avait été créée par un outil d’intelligence artificielle en février 2023. De telles erreurs devraient servir de leçon. Malheureusement, lors du deuxième Intifada, le même journal avait déjà commis une erreur similaire en publiant en première page la photo d’un garçon palestinien avec du sang coulant sur le visage. Il s’était avéré alors qu’il s’agissait d’un étudiant juif américain qui venait d’être lynché par une foule palestinienne. C’est peut-être un mince espoir, mais si l’on rappelle au journal Libération ses deux grandes fake news, il se pourrait qu’il soit un peu plus prudent et attentif aux tentatives de manipulation et de propagande dans l’avenir ».
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Photo: Le Dr. Sandrine Boudana (Crédit: Université de Tel-Aviv)
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