Au cours des 36 derniers mois, le monde aura donc subi une pandémie qui laisse un arrière-goût en bouche à certains acteurs de la chaîne d’approvisionnement, puis l‘invasion de l’Ukraine par la Russie qui a provoqué une ruée vers le gaz et un retour au charbon dans certaines régions.
Le premier choc a fait les riches heures des porte-conteneurs. Le second a permis de remettre en selle les navires-citernes, qui étaient exploités depuis mi-2020 en deçà de leur seuil de rentabilité.
Et voilà que s’ouvre un nouveau front au Moyen-Orient qui peut rapidement métastaser pour consumer toute la région si le puissant groupe militant du Liban, le Hezbollah, réagit, et si Tel-Aviv frappe son ennemi iranien, suspecté d’avoir aidé le Hamas et de soutenir le Hezbollah.
L’attaque, menée le samedi 7 octobre, par le Hamas contre Israël a pris le monde par surprise bien qu’elle n’est que le dernier épisode sanglant d’un siècle d’affrontements dans la région.
« Les conflits géopolitiques et les crises sanitaires mondiales, aussi regrettables soient-ils, ont souvent des conséquences inattendues, en stimulant les profits dans des secteurs spécifiques. Les guerres ont tendance à gonfler les bénéfices des entreprises de défense, tandis que la pandémie a entraîné des gains substantiels pour certaines entreprises pharmaceutiques. Le secteur maritime n’échappe pas à cette dynamique, les armateurs tirant des bénéfices inattendus des deux types de crise », rappelle Christian Roeloffs, PDG de Container xChange, s’exonérant d’évoquer dans de telles circonstances les pertes et profits d’une industrie.
Les flux d’énergie en première ligne
Hypersensible mais résilient face aux tensions géopolitiques, le transport maritime va donc devoir composer avec un troisième point de tension, dont les effets sensibles concernent principalement les flux d’énergie. Leur reprise progressive depuis juin était déjà fauchée par les craintes concernant la santé de l’économie mondiale.
Le conflit survient de surcroît dans un contexte où l’Arabie saoudite et la Russie, les plus grands producteurs de l’OPEP+, continuent de verrouiller leur offre jusqu’en décembre pour soutenir les cours mondiaux.
Les ports mis à l’épreuve
Port en eaux profondes construit en pleine mer, Ashdod est l’un des trois principaux ports de marchandises d’Israël avec Haïfa et Eilat.
Parce que situé à 50 km de la frontière de Gaza, Ashdod est, avec Ashkelon, à 15 km de la frontière de Gaza, particiulièrement exposé aux attaques de missiles. Il s’est donc mis en « mode d’urgence » tandis que le port pétrolier d’Ashkelon est en principe fermé, mais l’autorisation d’accoster ou de décharger une cargaison amarrée au mouillage du port peut être accordée au cas par cas.
« Les navires ne peuvent décharger leur cargaison que lorsqu’ils sont amarrés à des bouées, ce qui donne une indication du niveau de risque », précise Christian Roeloffs.
Adani Ports, l’opérateur d’origine indienne du port, évoque pour sa part un plan de continuité des activités, ce qui rend la situation confuse.
Ashdod applique pour sa part des procédures d’entrée strictes pour les navires transportant des matières dangereuses (« Hazmat »), a précisé Hapag-Lloyd.
« À l’heure actuelle, les opérations portuaires dans les principaux terminaux israéliens continuent de fonctionner normalement et nous ne prévoyons pas d’impact substantiel sur nos principaux hubs d’Ashdod et de Haïfa », a indiqué de son côté Maersk dans une information adressée à ses clients.
À l’heure actuelle, malgré la situation de guerre en Israël, tous les ports locaux, à Ashdod, Haïfa et Eilat, fonctionnent normalement. Des interruptions de service peuvent toutefois survenir, à court terme, en raison des directives de sécurité imposées par les autorités israéliennes ».
La flotte stratégique, à laquelle commence à réfléchir la France, est une réalité en Israël. En dehors de ses employés réservistes, ZIM peut voir une partie de sa capacité mobilisée en cas d’urgence ou à des fins de sécurité nationale par le gouvernement d’Israël (« special state share »).
Région déjà classée en zone à haut risque
La situation de guerre dans le pays a poussé les compagnies d’assurance à imposer une prime de guerre à tous les navires faisant escale dans les ports israéliens, a justifié la compagnie maritime israélienne dans une note à ses clients.
« Les ports israéliens sont considérés comme présentant un risque accru », a tranché la société britannique Dryad Global, spécialisée dans le conseil et la sécurité en matière de risques maritimes.
« Si les ports sont opérationnels, leur situation peut évoluer rapidement », prévient pour sa part le Gard, le plus grand assureur de protection et d’indemnisation (P&I) des 12 membres du Groupe international des clubs P&I.
« La situation en Israël reste précaire et nous recommandons aux opérateurs de navires et à leurs capitaines qui se rendent dans les ports israéliens de vérifier fréquemment les sources d’information locales, par exemple les agents maritimes, les autorités locales et/ou le correspondant de Gard, afin d’obtenir les informations de sécurité les plus récentes, d’évaluer soigneusement toutes les escales au cas par cas, et de revoir leurs plans d’urgence en conséquence. Nous recommandons également de consulter l’assureur du navire pour risques de guerre bien avant l’arrivée dans n’importe quel port israélien ».
Menace limitée pour les conteneurs
Israël est en effet un petit marché pour le transport maritime de conteneurs, Ashdod et Haïfa ne représentant que 0,4 % du volume mondial manutentionné.
Exploité par Ashdod Port Company, entreprise gouvernementale détenue à 100 % par l’État d’Israël, Ashdod traite un volume de conteneurs (1,43 MEVP en 2022, – 11 %) peu ou prou similaire à Haïfa (1,5 MEVP, + 4 % en 2022 p/r à 2021).
Des échanges commerciaux dominés par les produits high tech
Israël est réputé pour ses produits high tech dont plusieurs grands pays sont des importateurs majeurs.
Quelles conséquences sur le plan géopolitique ?
Les observateurs internationaux ont tous en tête les accords d’Abraham, conclus en 2020 sous l’égide des États-Unis, qui ont permis de rétablir des relations avec les pays riverains comme les Émirats arabes unis et Bahreïn.
Ils ont eu pour effet d’apaiser certaines tensions au Moyen-Orient et de faire revenir des investissements étrangers dans la région, notamment dans le secteur de l’énergie amont (exploitation des importants gisements de gaz naturel), soutiennent-ils.
Les attaques sont perçues par certains comme une tentative de déstabiliser le processus de normalisation des relations diplomatiques entre le prince héritier saoudien Mohammed bin Salman et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu.
Les exportations de gaz menacées
Israël, qui exporte du gaz vers l’Égypte et la Jordanie (+ 29 % en 2022, 9,2 milliards de m3), est devenu un important producteur de gaz ces dernières années (21,9 milliards de m3 en 2022 et 12,3 milliards au cours du premier semestre 2023 selon les données officielles) grâce aux gisements de Tamar (opérationnel depuis 2013, 11,4 milliards de m3 en 2022), de Leviathan (mis en service en 2019, 10,2 milliards de m3) et de Karish (ouvert en octobre 2022, 1,97 milliard de m3 au premier semestre de cette année).
La major américaine Chevron, qui exploite la plateforme gazière Tamar, au large du port Ashdod, dans laquelle elle détient une participation de 25 %, a reçu l’ordre du ministère israélien de l’Énergie d’y suspendre ses opérations.
L’autre grande plateforme du groupe américain dans la région, située sur le champ Leviathan, n’est pour l’instant pas concernée. Le site est moins proche de Gaza, plus près du port de Haïfa.
Ces deux installations sont considérées comme essentielles pour approvisionner l’Europe en GNL. En juin 2022, la Commission européenne, Israël et l’Égypte ont signé un protocole d’accord trilatéral sur l’approvisionnement de l’UE en gaz israélien via l’infrastructure égyptienne d’exportation de GNL.
Cependant, l’incertitude autour de la durée de l’interruption de la production de gaz et le risque d’une escalade dans la région sont de nature à influencer les cours, avertit la banque d’affaires.
Adeline Descamps
l’officiel des transports