« Le lendemain, Moshe s’assit pour rendre la justice au peuple et le peuple se tint debout autour de Moshe, du matin jusqu’au soir. Le beau-père de Moshe, voyant comme il procédait à l’égard du peuple, lui dit: « Que signifie ta façon d’agir envers ce peuple? Pourquoi sièges-tu seul et tout le peuple stationne-t-il autour de toi du matin au soir? » » (Shemot 18:13-14).
Moshe s’explique :
« Moshe répondit à son beau-père: « C’est que le peuple vient à moi pour consulter le Seigneur. Lorsqu’ils ont une affaire, elle m’est soumise; alors je prononce entre les parties et je fais connaître les décrets du Seigneur et ses instructions. » » (Versets 15-16).
Ytro, voyant Moshe s’épuiser jour après jour:
« Le beau-père de Moshe lui répliqua: « Le procédé que tu emploies n’est pas bon. Tu succomberas certainement et toi-même et ce peuple qui t’entoure; car la tâche est trop lourde pour toi, tu ne saurais l’accomplir seul. » (Verset 17-18).
Le prêtre Madianite conseille à son gendre de nommer une coterie d’hommes honorables pour juger tous les petits cas et de ne lui faire traiter que les cas les plus importants
« Mais, de ton côté, choisis entre tout le peuple des hommes éminents, craignant Dieu, amis de la vérité, ennemis du lucre et places-les à leur tête comme chiliarques, centurions, cinquanteniers et décurions. Ils jugeront le peuple en permanence; et alors, toute affaire grave ils te la soumettront, tandis qu’ils décideront eux-mêmes les questions peu importantes. Ils te soulageront ainsi en partageant ton fardeau. Si tu adoptes cette conduite, Dieu te donnera ses ordres et tu pourras suffire à l’œuvre; et de son côté, tout ce peuple se rendra tranquillement où il doit se rendre. » Moshe écouta l’avis de son beau-père et effectua tout ce qu’il avait dit. » (Versets 21-24).
Moshe adopta le plan et prit congé de son beau-père.
Cette séparation semble refléter la double nature de l’acceptation de la critique d’une part, car valorisée. D’autre part, elle est difficilement assimilable, elle est à la fois appréciée et méprisée. Le témoin critique est plus outsider qu’initié, il est d’abord respecté, puis éloigné.
La même chose est arrivée au prophète Amos de Tekoa, un village judéen au sud-est de Jérusalem, lorsqu’il a fustigé les Hébreux du royaume d’Israël, sur leur propre territoire, contre leur exploitation socio-économique des pauvres. Le prêtre du temple de Beth El, dans ce royaume, Amatsia, le dénonça au roi comme conspirateur séditieux et lui ordonna de le chasser.
« Alors Amacia, prêtre de Béthel, envoya à Jéroboam, roi d’Israël, le message que voici: « Amos conspire contre toi, en pleine maison d’Israël; ce pays n’est pas en état de supporter tous ses discours. Car voici ce qu’a dit Amos: Jéroboam périra par le glaive, et Israël ira en exil, chassé de son territoire. » » (Amos 7:10-11)
« Puis Amacia dit à Amos: « Voyant, va-t-en! Hâte-toi de retourner en la terre de Juda; là mange ton pain et là fais le prophète. 13 Mais à Béthel tu ne saurais continuer à prophétiser; car c’est un sanctuaire royal et un établissement de la dynastie. » » (Versets 12-13).
Amos a répondu avec défi, mais le mal est fait: l’étranger critique n’est le bienvenu que s’il est bénéfique.
La réprimande prophétique n’est pas subtile.
Mais pour apprécier les nuances du discours critique de la Bible, il faut lire attentivement et comparativement. Une réprimande de l’Autre est impliquée dans cette loi du dommage corporel. Il surgit d’abord à propos d’un cas très spécifique
« « Si, des hommes ayant une rixe, l’un d’eux heurte une femme enceinte et la fait avorter sans autre malheur, il sera condamné à l’amende que lui fera infliger l’époux de cette femme et il la paiera à dire d’experts. Mais si un malheur s’ensuit, tu feras payer corps pour corps; œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied; brûlure pour brûlure, plaie pour plaie, contusion pour contusion. « Si un homme blesse l’œil de son esclave ou de sa servante de manière à lui en ôter l’usage, il le renverra libre à cause de son œil et s’il fait tomber une dent à son esclave ou à sa servante, il lui rendra la liberté à cause de sa dent. » (Shemot 21:22-27)
Cet ensemble de lois ne peut être apprécié que dans un contexte historique, en comparant des parallèles dans l’ancien droit proche-oriental, principalement mésopotamien. La première partie de la loi biblique, traitant des blessures accidentelles sur une femme enceinte, trouve un parallèle étroit dans les Lois d’Hammourabi (209-210):
Les articles de ce Code peuvent être rapprochés de ceux des textes juridiques de la Bible hébraïque, au moins pour comparaison: le Code de l’Alliance du Livre de l’Exode, le Code deutéronomique, et, dans une moindre mesure, le Code de Sainteté du Lévitique. Les formulations casuistiques caractéristiques des « codes » mésopotamiens s’y retrouvent. Le premier présente de nombreuses similitudes avec le Code de Hammourabi, ce qui a pu faire supposer qu’il s’en était plus ou moins inspiré.
Pour certains, les rédacteurs du Code de l’Alliance auraient eu sous les yeux le Code de Hammourabi qui aurait été leur principale source d’inspiration pour la formulation et l’organisation du texte, à partir de copies circulant autour du 8e siècle et du 7e siècle avant notre ère L’opinion courante ne va pas aussi loin, il est rare que l’idée d’un emprunt direct soit soutenue, parce qu’il y a aussi de fortes divergences, et que les similitudes peuvent relever du fait que les textes appartenaient à une même tradition culturelle juridique.
Considérons un exemple de la critique tournée vers l’intérieur de la littérature biblique à partir de sa source la plus probable: les prophètes. Quand on pense à la religion organisée dans ce monde biblique, on pense d’abord au culte sacrificiel. Des offrandes d’animaux, de céréales, sont apportées au Temple de Jérusalem afin de manifester le repentir. Si Dieu est servi par un environnement approprié, Il résidera parmi le peuple et sera pour eux Source de bénédictions et de protection. Les prophètes interviennent pour rectifier ce qu’ils considèrent comme une erreur totale. Isaïe conspue ainsi ses contemporains judéens (fin du 8e siècle avant notre ère):
« Que m’importe la multitude de vos sacrifices? Dit le Seigneur. Je suis saturé de vos holocaustes de béliers, de la graisse de vos victimes; le sang des taureaux, des agneaux, des boucs, je n’en veux point. Vous qui venez vous présenter devant Moi, qui vous a demandé de fouler mes parvis? Cessez d’y apporter l’oblation hypocrite, votre encens m’est en horreur: néoménie, sabbat, saintes solennités, je ne puis les souffrir, c’est l’iniquité associée aux fêtes! Oui, vos néoménies et vos solennités, mon âme les abhorre, elles me sont devenues à charge, Je suis las de les tolérer. » (Isaïe 1:11-14).
La Torah organise les fêtes, le shabbat et toutes les offrandes à faire à dieu ces jours-là et tous les autres jours. Le prophète, lui, sape tout cela parce que les mains qu’il voit apporter ces offrandes au temple, à son époque, sont « pleines de sang »
« Quand vous étendez les mains, Je détourne de vous mes regards; dussiez-vous accumuler les prières, J’y resterais sourd: vos mains sont pleines de sang. » (Isaïe 1:15).
Le reproche d’Isaïe à ses compatriotes au nom de Dieu prend la forme d’une subversion de la Torah. Jérémie, un siècle plus tard, poussé par un dessein similaire, formule sa critique encore plus radicalement.
Il répudie la Torah. Il retire le sanctuaire de dessous les Judéens. Ils avaient cru pouvoir compter sur le culte pour assurer leur sécurité (Jérémie 7 :4). Il leur rappelle comment le Seigneur avait auparavant permis que son sanctuaire de Silo, « où J’avais fait habiter mon nom », soit détruit :
« Voyez ce que j’ai fait à cause du mal de mon peuple Israël! » (Verset 12).
La Divinité n’est pas au-dessus de raser sa propre maison (comparez la description cinglante dans Lamentations 2: 1-9). Mais Jérémie ne s’arrête pas là ; il poursuit en demandant au Seigneur de retirer entièrement les rituels cultuels, en adoptant un ton sarcastique (très juif) :
« Ajoutez vos holocaustes à vos sacrifices et mangez la viande! » (Verset 21).
Tout ce culte paganisé ne vous aidera en rien, il ne sert que vous, votre ego, mais Dieu n’en eut que faire par le passé, guère plus au présent et encore moins dans le futur, si futur il y aura, déclare Jérémie!
« Car lorsque Je vous ai fait sortir du pays d’Égypte, Je n’ai pas parlé à vos ancêtres et Je ne leur ai pas commandé d’holocaustes et de sacrifices. » (Verset 22).
Si le prophète semble annihiler tout le culte sacrificiel de la Torah, dès le verset suivant, il devient clair que son propos était rhétorique, hyperbolique. Nuls holocaustes, mais l’obéissance aux normes Divines, suivre les voies du droit et de la justice, des valeurs et des vertus.
« Mais voici l’ordre que Je leur ai adressé, savoir: « Ecoutez Ma voix, et Je serai votre Dieu et vous serez Mon peuple; suivez de tout point la voie que Je vous prescris, afin d’être heureux. » » (7, 23)
Toutefois, pour faire valoir son point de vue, le prophète prend la liberté d’outrepasser toutes les prescriptions cultuelles de la Torah, car au nom d’une critique sociale, morale et éthique, urgente, la subversion plénière ne peut être que de bon aloi. Les Écritures nous disent implicitement d’être critiques à l’égard des Écritures. En surface, cela se fait toujours avec respect, mais, il y a souvent un courant de subversion sous-jacent.
Ne considère pas l’ironie énoncée, mais apprécie les non-dits entre les lignes.
Rony Akrich pour Ashdodcafe.com