La revendication biblique, réitérée dans la pensée juive à travers ses générations, interpelle Israël au devoir des valeurs morales et éthiques pour asseoir sa souveraineté. Il ne s’agit pas uniquement de notre conduite vis à vis des peuples voisins et soumis, mais aussi de nos relations humaines et sociales.
Notre mansuétude et notre responsabilité envers l’étranger, la veuve et l’orphelin révèlent, non seulement, le caractère particulier de « l’esprit d’Israël », mais, non des moindres, notre désir de:
« A la vérité, il ne doit pas y avoir d’indigent chez toi, car l’Éternel veut te bénir dans ce pays que lui, ton Dieu, te destine comme héritage pour le posséder. » (Devarim 15,4).

A travers cet appel Divin, l’entendement de la constitution sociétale doit vouloir éradiquer la pauvreté, l’État Hébreu doit en être le garant. Il faut s’assurer de ne point émettre de vœux pieux à ce sujet, le considérer comme une simple aspiration. Il est certes l’un des nombreux commandements mais l’un des plus grands témoins de la spécificité hébraïque, la cardinalité de cet Etat.
« C’est la justice, la justice seule que tu dois rechercher, si tu veux te maintenir en possession du pays que l’Éternel, ton Dieu, te destine.»(Devarim 16,20)

Le rabbin Shimshon Raphael Hirsch interprète ce verset comme un appel commun à l’individu, au peuple et au Pouvoir:
« L’unique fonction d’Israël est de poursuivre inlassablement la justice avec abnégation… Et l’Etat Juif devoir continuellement gagner sa terre en réalisant une justice absolue. »
Cependant, tout comme dans le passé, un royaume ne pouvait être dirigé sans une propension à la malfaisance, ainsi était-il impensable à leurs yeux toute préoccupation de justice économique.
Or la requête biblique est : « Or, il y aura toujours des nécessiteux dans le pays; c’est pourquoi, je te fais cette recommandation: ouvre, ouvre ta main à ton frère, au pauvre, au nécessiteux qui sera dans ton pays! » (Devarim 15,11)

Injustice, corruption, perversité, obscénité, les crimes commis par la société Israélienne, à l’époque des rois et templiers, condamnèrent sans appel l’Etat Hébreu. La population survivante fut déportée, exilée aux confins, sa souveraineté et son indépendance lamentablement dévoyées et perdues, sommets dramatiques de son Histoire. Des profondeurs des terres étrangères, sous des cieux inhospitaliers, aux lueurs de l’obscur, ils commencèrent à rêver aux jours heureux, aux lendemains enchanteurs, au temps d’un possible autre royaume d’Israël où l’identité morale de l’être Hébreu deviendrait le fer de lance.
L’éventualité d’une existence viable, au long cours, pour cet État sera intimement liée à sa capacité de mettre en œuvre les valeurs nationales, intrinsèques au formulaire Divin et inclues dans sa dimension de temps et d’espace. Il s’agit d’une position morale radicale: contrairement à toutes les nations, ce peuple accepta l’Alliance et prononça ses vœux. S’il ne respectait pas le Contrat, c’est-à-dire les valeurs Hébraïques le concernant mais aussi sa vocation universelle, il perdrait tout droit à la propriété souveraine. Soit une nation restaurée au sein d’un peuple sage sur une terre cultivée, soit la désolation totale.

A défaut de moyens pour réaliser son Histoire idéale, le Judaïsme exilique se consacra au rigorisme de l’enseignement religieux et moral, à la «maintenance de son monde». Il se manifesta en construisant ses communautés en îlots de grâce, de piété et de justice au milieu de royaumes ensanglantés.
Mais la shoah survint au milieu du XXe siècle et frappa la population juive européenne de plein fouet, annihilant tous rêves chimériques d’un pouvoir devenir physique et identitaire en diaspora.
Dans la célèbre comédie musicale « un violon sur le toit », les habitants d’Anatevka demandent à leur rabbin, après que leur village fut détruit lors d’un énième pogrom :
« Qu’allons-nous devenir?»
«Nous attendrons le Messie ailleurs», répond le rabbin.
Et la communauté se mit en route vers un autre havre de paix pour une ‘autre nuit’.

Cette réponse rabbinique emblématique a soutenu les Juifs pendant deux mille ans. Cependant, après Auschwitz, un grand nombre n’acceptaient plus le déterminisme de l’exil.
Depuis l’asservissement en Égypte, l’existence du peuple Hébreu fut confrontée aux cruelles réalités de la haine et du meurtre gratuits, de l’oppression et de l’abus des peuples, de toutes les manières possibles et inimaginables. Mais au fil du temps et des ans, des Juifs se souvinrent d’eux-mêmes et commencèrent à affirmer de plus en plus souvent:
«Si nous avons pu triompher de Pharaon, nous triompherons de tous également. »

La modernité a tout d’abord ouvert des possibilités technologiques pour l’extermination totale des Juifs. Cette réalité inédite, ajoutée à l’indifférence du monde lors de la solution finale, fut parmi les facteurs qui propagèrent l’idée du retour auprès de population dénudée, maudite pour mieux la conduire vers l’option sioniste.
Celle-ci offrit une véritable solution au sort immuable des Juifs de diaspora et simultanément permettait de vivre enfin le vieux rêve du retour à Sion. C’était bien sûr, et dès le début, ne pas vouloir nécessairement se questionner sur l’ensemble des problèmes inhérents à une future nouvelle souveraineté juive sur cette terre. Comment ne pas retomber dans les affres de la décrépitude identitaire sans la mémoire des tenants et des aboutissants de notre Histoire?

Aujourd’hui encore, les différents pouvoirs en place témoignent sans vergogne de l’inconduite dans l’exercice de ces pouvoirs, la violence des verbes et la manipulation politicienne. Ces caractéristiques sont si essentielles à la domination des régnants que ‘Dans le Savant et le Politique’, Max Weber forge le concept de violence légitime. En effet, il définit l’Etat comme l’institution détenant le monopole de l’usage légitime de la force physique : « un Etat est une communauté humaine qui revendique le monopole de l’usage légitime de la force physique sur un territoire donné ».

Mais un État fondé sur le mensonge et la violence ne peut pas être un État Hébreu. L’histoire moderne démontre que seul un État-nation peut garantir les droits d’un peuple, y compris bien sûr le droit d’exister, mais un tel État signifie également le recours à la violence, au contrôle et à la coercition. Il étouffe toute résistance interne, il amplifie les problèmes de sécurité nationale, il s’absout de toutes responsabilités face aux injustices sociales conséquentes aux magouilles économiques en faveur d’un populisme assujetti. Au siècle dernier, la communauté juive est prise en étau entre le marteau de l’extermination physique (fomentée par les nations) et l’enclume de la corruption intérieure (du fait de l’ascendance du pouvoir).

L’essentiel de cette complexité sera résolu lorsque les conditions nécessaires à l’existence d’un État souverain seront matures, sans devoir les mettre à mal et consentir aux abîmes de la morale conçus lors des générations précédentes sous l’emprise même du pouvoir politique.
Notre monde est-il prêt pour une éventuelle souveraineté nationale sans malveillance et sans horreur ?

Rony Akrich pour Ashdodcafe.com