Selon une étude menée sous la direction du Prof. Yuval Nir de l’Ecole de médecine, de l’Ecole des neurosciences et du Département de génie biomedical de l’Université de Tel-Aviv, par les Dr. Hanna Hayat et Amit Marmelshtein, en collaboration avec le Prof. Yitzhak Fried du Centre médical de l’Université UCLA aux États-Unis, la réaction cérébrale aux stimuli auditifs reste puissante pendant le sommeil, mais les ondes alpha et bêta, associées au degré d’attention consciente, diminuent considérablement. Selon les chercheurs, ce mécanisme est la clé du processus de la conscience sensorielle et permet pour la première fois de mesurer le niveau de perception et de compréhension d’une personne considérée comme inconsciente.
Ont également participé à l’étude les Dr. Aaron Krom et Yaniv Sela du groupe de recherche du Prof. Nir, ainsi que les Dr. Ido Strauss et Firas Fahoum du Centre médical de Tel-Aviv (Ichilov). Elle a été publiée dans la prestigieuse revue Nature Neuroscience.
Dans les profondeurs du cerveau
Une découverte de l’Université de Tel-Aviv pourrait aider à résoudre un mystère scientifique: comment le cerveau à l’état de veille transforme-t-il les perceptions sensorielles en expérience consciente ? Pour réaliser leur étude, les chercheurs se sont appuyés sur des données provenant d’électrodes implantées dans le cerveau de patients épileptiques pour surveiller l’activité cérébrale des différentes zones de leur cerveau à l’occasion d’une opération chirurgicale destinée à améliorer leur condition. « Il est évidemment impossible d’implanter des électrodes dans le cerveau humain à des fins scientifiques », relève le Prof. Nir. « C’est pourquoi dans cette étude, nous avons utilisé les électrodes implantées dans le cerveau de patients épileptiques devant subir une opération, qui se sont portés volontaires pour que nous examinions également la réaction de leurs différentes zones cérébrales aux stimuli auditifs dans des situations d’éveil et de sommeil ».
Dans le cadre de l’étude, des haut-parleurs produisant différents sons (bruits de cliqueurs, mots prononcés, musique), ont été placés à la tête du lit des patients. Les chercheurs ont comparé les données obtenues par les électrodes mesurant l’activité des cellules nerveuses et des ondes électriques de différentes zones du cerveau, à l’état de veille et à divers stades du sommeil. Au total, les données ont été collectées sur près de 700 neurones, environ 50 neurones par sujet, sur une période de 8 ans.
« Une fois le son capté par l’oreille, le signal est transmis dans le cerveau. de station en station », explique le Dr. Hayat. « On pensait jusqu’à présent qu’en état de sommeil, ces signaux s’estompaient rapidement en atteignant le cortex cérébral. Dans notre étude cependant, nous avons découvert à notre grande surprise que même pendant le sommeil, la réaction du cerveau reste plus forte et plus riche que prévu et s’étend à de nombreuses zones du cortex avec une intensité similaire à celle mesurée à l’état de veille. La seule différence que nous avons constaté dans l’activité du cerveau en situation d’éveil et de sommeil concerne le niveau d’activité des ondes alpha-bêta ».
Un critère de mesure quantitatif du niveau de conscience
Les ondes alpha-bêta sont des ondes d’une longueur de 10 et 30 Hz, associées aux processus d’attention, d’écoute et d’attente concernant les stimulii perçus, qui sont contrôlés par un processus de retour d’information (rétroaction ou feed back) en provenance des zones supérieures du cerveau. En fait, parallèlement au transfert d’informations « de bas en haut », c’est-à-dire des récepteurs sensoriels vers les aires de traitement de l’information, se produit également un mouvement inverse : les régions supérieures du cerveau, s’appuyant sur des connaissances préalables qu’elles ont accumulées, agissent comme une sorte de bras directeur actif et envoient de l’information « de haut en bas », pour indiquer aux régions sensorielles sur quoi elles doivent se concentrer, ce qu’elles doivent ignorer, etc. Par exemple, lorsqu’un son spécifique est reçu par l’oreille, ces zones supérieures identifient s’il est familier ou nouveau, s’il mérite de l’intérêt, ou s’il n’est pas nécessaire d’y prêter attention. Cette activité cérébrale se traduit par une suppression des ondes alpha-bêta ; et en effet, des études antérieures avaient au contraire permis d’identifier un niveau élevé de ces ondes dans les états de repos et d’anesthésie. Selon la présente étude, l’intensité des ondes alpha-bêta est en fait la principale différence entre les états d’éveil et de sommeil, dans le cas de la réaction du cerveau aux stimuli auditifs.
« Nos découvertes ont une signification importante, qui va bien au-delà des limites de l’expérience elle-même », conclut le Prof. Nir. « Tout d’abord, elles fournissent une clé pour résoudre une des questions les plus anciennes et les plus intrigantes des neurosciences : quel est le secret de l’état de conscience ? Quelle est l’activité cérébrale spécifique qui nous permet d’être conscients de ce qui se passe autour de nous et disparait lorsque nous dormons? Nous avons découvert un nouveau fil conducteur pour répondre à cette question, et dans de prochaines études nous approfondirons les mécanismes responsables de cette difference ».
« De plus, dans la mesure où nous avons identifié une caractéristique cérébrale spécifique qui différencie les états de conscience et d’inconscience, nous disposons pour la première fois d’un critère de mesure quantitatif qui nous permet d’évaluer le niveau de conscience du sujet en réponse aux sons. En améliorant la mesure du niveau des ondes alpha-bêta dans le cerveau à l’aide de moyens de surveillance non invasifs (comme les électroencéphalogrammes), nous espérons qu’il sera possible, par exemple, de vérifier lors d’une intervention chirurgicale, si le patient est bien sous anesthésie profonde et ne ressent rien. De même, il sera possible d’examiner le degré de conscience d’une personne atteinte de démence ou à l’état végétatif et incapable de communiquer avec son environnement. Dans de tels cas, un faible niveau d’ondes alpha-bêta en réaction aux stimuli auditifs peut même indiquer qu’une personne considérée comme inconsciente perçoit en fait ce qui se dit autour d’elle et le comprend. Nous espérons que nos découvertes serviront de base au développement de méthodes efficaces et facilement praticables pour mesurer le véritable niveau de conscience de personnes qui sont considérées comme étant à divers niveaux d’inconscience ».
Photos:
1. Le Prof. Yuval Nir (à droite ) et le Dr. Amit Marmelshtein (Crédit: Université de Tel-Aviv)
2. Le Dr. Hanna Hayat (Crédit: Université de Tel-Aviv)
3. « Inside brain » (Crédit illustration: Ana Yael)