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De l’esprit de justice à l’État de droit par Rony Akrich

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Bien que les Hébreux soient censés être des prophètes descendants des prophètes bibliques, beaucoup d’entre nous réagissent souvent de manière plutôt impassible face aux faits et gestes immoraux. Nous tentons avec flegme de nous ménager un ton raisonnable au moment où les victimes de la violence et de l’oppression se trouvent dans un état d’angoisse extrême.
Les prophètes par contre, s’élèvent et apostrophent à haute et intelligible voix ! Ainsi ce passage du prophète Isaïe, servant, non-insidieusement, de haftara le matin de Yom kippour, interpellant la foi du charbonnier et les grenouilles de bénitier le jour dit à propos de leur hypocrisie, de leurs mensonges, de leur ignominie sociale. Mais surtout et essentiellement qu’ils se trouvent en bonne et due forme totalement hors sujet :

« Crie à plein gosier, ne te ménage point ! Comme le cor, fais retentir ta voix! Et expose à Mon peuple son iniquité, à la maison de Jacob ses péchés. Jour après jour ils s’adressent à moi et manifestent le désir de connaître Mes voies; à la façon d’un peuple pratiquant la justice, qui n’aurait jamais trahi la loi de son Dieu, ils Me demandent des règles de justice, ils sollicitent la présence de Dieu. « Pourquoi jeûnons-nous, sans que Tu t’en aperçoives? Mortifions-nous notre personne, sans que Tu le remarques?  » C’est qu’au jour de votre jeûne, vous poursuivez vos intérêts et tyrannisez vos débiteurs. Oui, vous jeûnez pour fomenter querelles et dissensions, pour frapper d’un poing brutal; vous ne jeûnez point à l’heure présente pour que votre voix soit entendue Là-haut. Est-ce là un jeûne qui peut m’être agréable, un jour où l’homme se mortifie lui-même ? Courber la tête comme un roseau, se coucher sur le cilice et la cendre, est-ce là ce que tu appelles un jeûne, un jour bienvenu de l’Eternel? Mais voici le jeûne que J’aime : c’est de rompre les chaînes de l’injustice, de dénouer les liens de tous les jougs, de renvoyer libres ceux qu’on opprime, de briser enfin toute servitude. » (Isaïe 58: 1-6)

Le prophète Amos, quant à lui, blâme ces crapules au milieu du désordre et de l’injustice :
« Malheur à vous, qui vous croyez en sécurité à Sion, et à vous, si pleins de quiétude sur le mont de Samarie, qui formez l’élite de la première des nations et attirez à vous la maison d’Israël! »
« Couchés sur des lits d’ivoire, étendus sur leurs divans, nourris d’agneaux choisis dans le troupeau, de veaux mis à l’engrais, fredonnant au son du luth, comme David inventant à leur usage des instruments de musique, ils boivent du vin à même les amphores, se frottent d’huiles de choix et ne s’affligent guère du désastre de Joseph! » (Amos 6: 1,4-6)

Echoués sur les rivages des nations, les Hébreux devenus Juifs devront réapprendre le sens de leur identité nationale bafouée et perdue. Il leur faudra, au milieu de ces terres d’accueil de recueil et le plus souvent de cercueils, comprendre la finalité du rôle dévolu à Israël, de cette responsabilité d’être vis-à-vis d’eux-mêmes et mieux devenir pour le meilleur de l’Humanité. Royaume de prêtres et lumière des nations pour un jour où, ayant finalement capté et intégré le sens obvie de l’idéal hébraïque au sein du projet Divin, les Juifs de l’Histoire seront de retour. Non plus contraints de vivre dans le monde, au dehors de soi, mais réaffirmant, sur la scène de l’Histoire, les raisons de l’Hébreu polysémique: ce peuple savant, sage de son passé, conscient de son devenir prophétique et renaissant de ses cendres envers et contre toute attente.

« La religion d’Israël, non seulement, ne contredit pas la vocation de l’Etat moderne ni n’est abolie par elle, elle l’instruit. Car l’enjeu d’un Etat «juif» n’est pas de satisfaire un désir, certes légitime, d’indépendance nationale, il est de rendre possible l’effectivité des énoncés «juifs» :
« L’important de l’Etat d’Israël ne consiste pas dans la réalisation d’une antique promesse, ni dans le début qu’il marquerait d’une ère de sécurité matérielle – problématique, hélas ! – mais dans l’occasion enfin offerte d’accomplir la loi sociale du Judaïsme (…). C’était tout de même horrible d’être le seul peuple qui se définisse par une doctrine de justice et le seul qui ne puisse l’appliquer. Déchirement et sens de la Diaspora. La subordination de l’Etat à ses promesses sociales articule la signification religieuse de la résurrection d’Israël comme, aux temps anciens, la pratique de la justice justifiait la présence sur une terre. C’est par là que l’événement politique est déjà débordé. Et c’est par là enfin que l’on peut distinguer les Juifs religieux de ceux qui ne le sont pas. L’opposition est entre ceux qui cherchent l’Etat pour la justice et ceux qui cherchent la justice pour assurer la subsistance de l’Etat. » (E. Levinas ‘Difficile Liberté’)

La destinée de l’Etat Hébreu nous engagerait à suivre Levinas, à rétablir les ordonnances relatives de la nature ‘religieuse’ qui ne souffriraient plus, ou plus seulement, de la dévote obédience aux injonctions de la loi Toranique bien réglée, vers une application politique des fondements dont les règles et les coutumes en seraient le véhicule. Ainsi l’Etat Hébreu, assujetti, serait un moyen soumis à sa charge, réaliser ce devenir de justice sociale de l’idéal hébraïque, c’est à dire forger une expression politique plurielle pour les nouveaux «Hébreux» et la concrétiser. Là est certainement sa finalité, elle y puise sa propre source de vie comme preuve ineffable de l’aboutissement des «contrats sociaux» dont l’Hébraïsme est l’enseignement pour tous.

«Ne discutez jamais de religion ou de politique avec ceux qui ont des opinions opposées aux vôtres; ce sont des sujets brûlants à la manipulation, à même de vous incendier les doigts. »
Ainsi écrivait Thomas Chandler Haliburton, homme politique et juge canadien, en 1840. Il n’est certes pas le seul et révélait avec franchise ce que conçoit le bien-pensant occidental et moderne. Evitons toute conversation autour de la ‘religion’ et du politique en présence de nos amis, notamment si l’on veut unir l’un à l’autre et, pire encore, si les présents divergent.
Cette communauté du politiquement correct se veut forcément bienveillante mais elle est, en fait, erronée; l’instruction est fort puérile et, au bout du compte, impraticable.

Voilà deux entendements pour lesquels les Israéliens ne devraient pas tenter de couper le lien intrinsèque entre le mode de vie ‘religieux’ et la politique (même si l’on devrait séparer un jour la synagogue de l’État).

Premièrement, et à mon humble avis, nous, homo-sapiens, sommes sensiblement, et assurément, emplis de croyances. Ce que l’on nomme ‘religion’ ne peut être déterminé par une approche réductrice au seul culte d’une divinité transcendante.

Tous adhèrent et étreignent ce quelqu’un ou ce quelque chose qu’ils appréhendent comme l’ultime et l’absolu. Celui-ci, ou celle-là, siège au creuset du cœur de chaque personne, émouvant de loyauté, bâtissant la vie et octroyant un début de délivrance. C’est quand même un ‘Dieu’ et un messie agissant et efficace. Disons le autrement, le cœur de l’homme est une aire de jeu pour le dieu de chaque-un.

Secundo, impossible de réellement partager notre moi privé de notre moi public. Si la ‘religion’ concernait la seule confession spirituelle et mystique d’un démiurge métaphysique, nous saurions aisément confiner notre foi aux limites de l’existence intime et des rituels ‘religieux’.
Mais il ne s’agit pas de cela.
L’étude biblique nous l’enseigne: le projet Divin, à travers la législation toranique, est le planificateur suprême du devenir de l’Homme. Notre adhésion à ces pensées vitalistes, notre soutien à ces amours édificateurs, fait de tout ‘religieux’ un dénominateur commun au futur d’Israël. Il devient, par conséquent, l’immanquable acteur pris dans le tourbillon de ses croyances, de ses sentiments, de ses valeurs, de ses engagements et de ses actions, au sein même de la société humaine. Impossible donc de séparer, foncière-ment, la sphère privée de la sphère publique !

Instituons donc le savoir et la pensée, le fait et le geste du Tanach’ (Bible) afin de rédimer pour le mieux et le meilleur notre contexte social, culturel et politique actuel. Insérons-le prestement dans le terroir de notre société et de notre culture. Tançons scrupuleusement notre Hébraïsme en place publique, mobilisons-nous et faisons en sorte que nos témoignages contribuent à un plus grand entendement et un véritable parangon de ce projet Divin à venir.

Rony Akrich pour Ashdodcafe.com

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