Une étude dirigée par le Prof. Inna Slutsky et réalisée par les doctorants Daniel Zarhin et Refaela Atsmon de la Faculté de médecine et de l’Ecole des neurosciences de l’Université de Tel-Aviv, a révélé une pathologie de l’activité cérébrale, s’exprimant pendant le sommeil et sous anesthésie et causée par une défaillance du mécanisme de régulation du système neuronal, qui pourrait permettre un diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer. De plus, selon les chercheurs, un médicament existant pour la sclérose en plaques peut aider à stabiliser cette activité cérébrale pathologique qui précède de plusieurs années l’apparition des premiers symptômes de la maladie.
Ont participé à l’étude l’équipe du laboratoire du Prof. Slutsky : les Dr. Antonella Ruggiero, Ilana Shapira, Boaz Styr et Gabriella Braun, et les doctorants Halit Baeloha, Shiri Shoob, Oded Scharf, Leore Heim, Nadav Buchbinder, Ortal Shinikamin ; les Prof. Tamar Geiger et Yuval Nir et les Dr. Michal Harel et Anton Sheinin de l’Université de Tel-Aviv ; l’équipe du Prof. Yaniv Ziv de l’Institut Weizmann, ainsi que des chercheurs du Japon. L’article a été publié dans la prestigieuse revue scientifique Cell Reports.
Détecter la maladie à son stade présymptomatique
« Malgré les nombreux efforts réalisés depuis des années dans le monde entier, il n’existe encore aucun traitement efficace de la maladie d’Alzheimer », rappelle le Prof. Slutsky. « Avec l’augmentation de l’espérance de vie, c’est devenu un problème central, dans le monde occidental, tant sur le plan de la santé que sur le plan économique. Selon une étude publiée récemment dans la revue britannique Lancet Public Health, le nombre de personnes atteintes de démence dans le monde passera de 50 millions en 2019 à plus de 150 millions en 2050. En Afrique du Nord et dans les pays du Moyen-Orient, l’augmentation prévue est de 370 %. En Israël, elle sera de 145 %, contre environ 74 % en Europe occidentale. Et si nous ne parvenons pas à développer de traitements efficaces, cette augmentation considérable de la prévalence de la maladie d’Alzheimer va se poursuivre, en raison de l’accroissement démographique et de l’augmentation de l’espérance de vie. Il s’agit clairement d’une alerte appelant à un investissement accru dans la recherche sur la démence et sur sa forme la plus fréquente, la maladie d’Alzheimer.
Les technologies d’imagerie innovantes développées ces dernières années ont révélé que les dépôts amyloïdes qui caractérisent la maladie, se forment dans le cerveau des patients 10 à 20 ans avant l’apparition de ses symptômes typiques, comme les troubles de la mémoire et le déclin cognitif. Malheureusement, la plupart des efforts pour traiter la maladie d’Alzheimer en réduisant la quantité de protéines bêta-amyloïdes qui composent ses dépôts, ont jusqu’à présent échoué. Si nous pouvions détecter la maladie à son stade présymptomatique et la maintenir dans une phase « dormante » pendant de nombreuses années, ce serait un succès formidable susceptible d’améliorer la qualité de vie de millions de patients. Nous pensons que l’identification et le déchiffrement de la « signature » caractéristique d’une activité cérébrale électrique pathologique au stade présymptomatique de la maladie d’Alzheimer constitue une des clés d’un traitement efficace ».
En utilisant des souris de laboratoire, génétiquement modifiées pour présenter les caractéristiques de la maladie, les chercheurs se sont concentrés sur la région du cerveau appelée hippocampe, qui joue un rôle clé dans les processus de mémoire et dont on sait qu’elle est altérée chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Ils ont tout d’abord mesuré l’activité des cellules de l’hippocampe a l’état de veille, lorsque les souris étaient actives et exploraient leur environnement, en utilisant des techniques avancées qui mesurent l’activité cérébrale au niveau de résolution de la cellule nerveuse.
Une activité élevée des neurones du cerveau même pendant le sommeil
« Des études antérieures ayant examiné l’activité cellulaire dans le cerveau de souris anesthésiées présentant la maladie d’Alzheimer, ont permis de constater une hyperactivité de la zone de l’hippocampe et du cortex. À ma grande surprise, l’examen de souris à l’état de veille et actives ne montre aucune différence entre l’activité des neurones et des synapses de l’hippocampe chez les sujets malades et chez ceux en bonne santé », explique le Dr. Zarhin.
À la lumière de ces découvertes, les chercheurs ont décidé d’examiner l’activité de l’hippocampe lors de différents états de conscience, sous anesthésie et pendant le sommeil naturel. « On sait que chez les animaux en bonne santé, l’activité neuronale de l’hippocampe diminue pendant le sommeil », explique la doctorante Refaela Atsmon. « Mais lorsque j’ai examiné des souris dans les premiers stades de la maladie d’Alzheimer, j’ai constaté que l’activité de leur hippocampe restait élevée même pendant le sommeil. Cela est dû à une défaillance de la régulation de l’activité cellulaire dans cette zone du cerveau, qui n’avait jamais été observée auparavant dans le cadre de la maladie d’Alzheimer ». Le doctorant Daniel Zarhin a pour sa part constaté une dysrégulation similaire chez des souris sous anesthésie : l’activité neuronale ne diminue pas, les neurones fonctionnent de manière trop synchronisée et un schéma électrique pathologique se forme, similaire aux crises « silencieuses » des patients épileptiques. Halit Baeloha, qui étudie les problèmes de sommeil liés à la maladie d’Alzheimer, souligne que la perturbation découverte commence avant l’apparition des troubles du sommeil caractéristiques des patients atteints de la maladie d’Alzheimer.
« Nous avons découvert que cette activité anormale qui reste dissimulée à l’état de veille, se révèlent dans les états cérébraux qui bloquent les réponses à l’environnement, comme le sommeil et l’anesthésie, et ce avant même l’apparition des symptômes de la maladie d’Alzheimer », explique le Prof. Slutsky. « Cette activité anormale est en effet détectable pendant le sommeil, mais elle est beaucoup plus fréquente sous anesthésie. Il serait donc important de vérifier si une courte anesthésie pourrait être utilisée pour un diagnostic précoce de la maladie ».
Un médicament qui diminue et stabilise l’activité neuronale du cerveau
A l’étape suivante de l’étude, les chercheurs ont cherché à vérifier la cause de cette anomalie. À cette fin, ils se sont appuyés sur les résultats d’études antérieures du laboratoire du Prof. Slutsky sur l’homéostasie (situation d’équilibre) des réseaux neuronaux : chaque réseau neuronal présente un point d’équilibre, maintenu par un mécanisme de stabilisation. Celui-ci s’active lorsque l’équilibre est perturbé, ramenant l’activité neuronale à son point d’équilibre d’origine.
La perturbation de ces mécanismes est-elle la cause principale de la mauvaise régulation de l’activité cérébrale pendant le sommeil ou l’anesthésie chez les souris atteintes de la maladie d’Alzheimer ? Pour vérifier cela, le Dr. Antonella Ruggiero a examiné l’effet de divers anesthésiques sur des réseaux de neurones cultivés en laboratoire, et a découvert qu’ils abaissaient le point d’équilibre de l’activité neuronale. Dans les réseaux de neurones sains, l’activité reste faible au fil du temps, mais dans ceux exprimant des mutations de la maladie d’Alzheimer, elle augmente de nouveau immédiatement, malgré la présence d’anesthésiques. Lors une autre expérience, le Dr. Ruggiero a provoqué une augmentation de l’activité neuronale, et là aussi, elle a trouvé une défaillance des mécanismes responsables de la restauration de l’activité à son point d’équilibre normal dans les neurones exprimant les mutations d’Alzheimer.
Les chercheurs ont ensuite cherché à tester des médicaments potentiels pour rétablir le mécanisme de régulation altéré. « L’instabilité de l’activité neuronale que nous avons trouvée dans cette étude existe dans l’épilepsie », commente le Prof. Slutsky. « Dans une précédente étude, nous avons découvert qu’un médicament existant pour la sclérose en plaques peut aider les patients épileptiques par l’activation d’un mécanisme homéostatique qui abaisse le point d’équilibre de l’activité neuronale. La doctorante Shiri Shoob a examiné l’effet de ce médicament sur l’activité de l’hippocampe chez des souris malades de l’Alzheimer, et a constaté que dans ce cas également, le médicament stabilise la zone du cerveau et réduit l’activité pathologique observée pendant l’anesthésie ».
Prochaine étape: le suivi des patients par électroencéphalogramme
« Les résultats de notre étude peuvent aider au diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer, et même fournir une solution à la maladie », conclut le Prof. Slutsky. « Tout d’abord, nous avons découvert une activité cérébrale pathologique qui se révèle lors de l’anesthésie et pendant le sommeil aux premiers stades de la maladie, avant l’apparition du déclin cognitif. Nous avons également découvert la cause de cette activité pathologique : une défaillance du mécanisme de base qui stabilise l’activité électrique dans les circuits cérébraux. Enfin, nous avons montré qu’un médicament pour la sclérose en plaques est susceptible, après adaptation, d’aider les patients atteints de la maladie d’Alzheimer suite à un diagnostic précoce ».
Les chercheurs prévoient à présent de collaborer avec des centres médicaux en Israël et dans le monde pour vérifier si les mécanismes découverts sur des souris peuvent également être identifiés chez des patients atteints de la maladie d’Alzheimer à un stade précoce. À cette fin, ils proposent d’intégrer un suivi par électroencéphalogramme lors des opérations chirurgicales, pour mesurer l’activité cérébrale des patients sous anesthésie. Ils espèrent que leurs découvertes favoriseront le développement de médicaments pour la maladie d’Alzheimer suite à un diagnostic précoce.
Photos :
1. De gauche à droite : le Prof. Inna Slutsky, Daniel Zarhin et Refaela Atsmon (Crédit : Dr. Tal Laviv).
2. Le Prof. Inna Slutsky
3. Halit Baeloha
4. Shira Shoob.