Le monde, et Israël en son sein, est actuellement plongé dans une profonde crise politique et idéologique.
La conception indiquant l’inévitable victoire du libéralisme à l’ère moderne, qui atteignit son apogée dans les écrits de Francis Fukuyama en 1989, et concernait la « fin de l’histoire », s’est avérée totalement erronée. Les forces conservatrices sont en hausse dans le monde entier, de l’Europe de l’Est et de l’Ouest à l’Australie, l’Inde et les Amériques.
Les critiques Voient ici la preuve d’une faiblesse considérable dans sa vision et sa mise en œuvre et non pas seulement un accroc dans le cours messianique du libéralisme.
Oswald Spengler (le déclin de l’occident 1918) n’est pas le seul à avoir découvert que l’Occident était en train de s’autodétruire, après le choc planétaire de la Grande Guerre. En 1919, Paul Valéry écrit dans « La Crise de l’esprit » cette formule devenue célèbre:
« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles.»
La conscience occidentale a été ébranlée jusque dans ses fondements. La suite de son histoire en illustre les conséquences : fantasmes de création d’un homme nouveau totalitaire, victoire des démocraties et progrès social, jusqu’aux crises financières, écologiques, politiques, à la mondialisation en passant par l’essor de la Chine.
« Crise du lien social », « perte de sens », « crise identitaire », « désenchantement du monde »….. Les termes et les concepts ne manquent pas pour définir le trouble et la tristesse qui semblent actuellement consterner les sociétés modernes.
Néanmoins, au-delà des faits plutôt affligeants qu’elle dresse, l’analyse sociétale récente parvient péniblement à rendre compte du mouvement sous-jacent à la situation actuelle, si bien que les diverses perturbations qu’elle expose s’avèrent encore plus déroutantes, car nous n’en voyons pas les raisons.
« Comment en est-on arrivé là?» se demandent désormais des pans entiers de la population occidentale.
Il faut au préalable réfléchir à la crise endémique qui définit les sociétés libérales démocratiques modernes —baptisée par certains la « crise du lien social » ou la « perte de sens ». Ce qui apparaît comme un péril est en fait le résultat de la mécanique naturelle de l’histoire des sociétés.
Ces dernières paraissent aux prises avec l’affaire des morcellements, consignée dans la logique inhérente au libéralisme. L’impression de délitement est liée au procès moderne d’individualisation et aux tensions identitaires qu’il porte.
Celles-ci en effet accroissent les oppositions de la communauté politique. Les sociétés modernes endurent une difficulté à gérer et à surmonter les défis idéologiques et conceptuels que posent ces contradictions, contribuant ainsi à la perplexité ambiante.
Soulignons la déconstruction, par le libéralisme, des structures communautaires de sens et son aliénation envers la nature. Le théoricien majeur de la laïcité, Jürgen Habermas, doute de la capacité de la laïcité moderne à rétablir ses fondements éthiques de l’intérieur et à surmonter divers obstacles, notamment l’échec moral de l’hypercapitalisme néolibéral.
Nombre d’auteurs affirment que la politique identitaire est devenue la pierre angulaire de la pensée libérale contemporaine, elle a érodé l’idée du bien commun. Dans un article donné cet été au Wall Street Journal, Mark Lilla fait part de son désarroi de professeur devant cette évolution:
« Je suis frappé par la différence de plus en plus sensible qui existe entre mes étudiants conservateurs, qui se montrent capables d’entrer en dialogue, parce qu’ils font référence à des principes généraux et les étudiants de gauche, qui s’expriment « en tant que ceci » ou « en tant que cela », bref au nom de leur appartenance. De ce fait, ils éprouvent beaucoup de difficultés à entrer en dialogue avec quiconque n’appartient pas à leur groupe d’appartenance. » Les positions ne peuvent plus être évaluées en fonction de leur véracité, mais de leur authenticité. On ne cherche plus à distinguer le vrai du faux, mais le pur de l’impur – le degré d’authenticité par rapport à la « culture » invoquée à l’origine de son « identité ».
Témoignant du caractère universel de cet état de fait, les récentes élections aux États-Unis ont laissé le pays profondément divisé, et après des tentatives initiales d’appel à l’unité, faisant écho à l’appel prophétique à être:
« On t’appellera réparateur des brèches, Celui qui restaure les chemins, qui rend le pays habitable » (Isaïe 58:12)
La nation semble retomber dans la politique partisane et les conflits sectaires.
« Le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas ».
Cette phrase, attribuée à tort à André Malraux, est au cœur des débats contemporains sur la place de la religion et de la spiritualité en ce début de XXIe siècle. En effet, un regain de spiritualité se dessine et cette question essentielle s’invite, inédite.
La religion occupe désormais une place centrale dans ce processus.
Il est d’usage de soutenir que, depuis les années 1980, le monde a connu une transition post-laïque. Le concept de base de la thèse de la sécularisation, selon laquelle la modernisation conduit nécessairement à la sécularisation, a été invalidé par la montée du conservatisme et du fondamentalisme religieux et l’émergence de modèles hybrides de religion et de modernité, pour lesquels la société israélienne sert de cas d’étude fertile.
Bien qu’elle prenne également des formes libérales, dans ce discours, la religion se situe normalement à l’extrémité conservatrice. Cette tension entre conservatisme et libéralisme, la compréhension des dangers implicites dans la radicalisation croissante de l’un et de l’autre, et le rôle du culte dans cette constellation nous invitent à nous engager dans une réflexion politique renouvelée basée sur des fondements religieux.
Explorer l’applicabilité du concept de « l’unité des contraires », trouvé dans la tradition mystique juive, à la culture politique d’Israël.
L’idée d’une « unité des contraires » n’est bien sûr pas propre au Judaïsme:
« Dieu est jour et nuit, hiver et été, guerre et paix, excès et faim », proclamait Héraclite dans « Sur l’univers ».
La théorie kabbalistique et hassidique de « l’unité des contraires » est basée sur le concept théologique central de l’unité et de la totalité du Divin. L’idée de l’unité et de l’inclusivité de Dieu requiert une conception selon laquelle la dualité, supposée exister dans le monde, n’est que partielle lorsqu’elle est liée à la conception de l’unité divine et l’action, nécessaire à l’égard de cette dualité, est une action d’unification. Le rôle de l’homme dans le monde est de mettre en pratique ces concepts, par un processus constant de création d’unité entre les contraires et de révélation de leurs racines communes.
Mais y a-t-il une loi régissant toute chose et appliquant des conditions contraires?
Hegel nous l’assurerait certainement!
Opposant thèse à antithèse, il construit toute sa philosophie montrant que la synthèse produite devient la nouvelle thèse où s’opposera nécessairement une nouvelle antithèse qui à nouveau produira une synthèse et ainsi de suite, créant ce qu’on appelle désormais l’Histoire.
La notion d’antinomie de Kant nous rapproche de l’énoncé recherché:
« Dans la résolution d’une antinomie il importe seulement que deux propositions qui se contredisent en apparence, ne se contredisent pas en fait et puissent se maintenir l’une à côté de l’autre… »
La loi des contraires a ceci de curieux que la contrariété n’en est pas véritablement…une:
Si rien ne peut être pensé sans son contraire, nous devrions alors penser le monde en termes de complémentarité, et non de contradiction.
Et nous voilà rebondissant 600 ans avant J.-C. chez Lao-tseu. Il nous dit :
« En effet, le caché et le manifeste naissent l’un de l’autre. Le difficile et le facile se complémentent l’un et l’autre. Le long et le court se montrent l’un l’autre. Le haut et le bas se définissent l’un par l’autre. La voix et le son s’harmonisent l’un et l’autre. L’arrière et l’avant se suivent. »
Ainsi donc, si la philosophie occidentale, ayant un faible pour la critique et la contradiction, énonce une loi des contraires, la sagesse chinoise antique préfère voir le monde en termes d’harmonie complémentaire.
À vous de choisir votre énoncé:
« Rien ne peut être pensé sans son contraire » ou « La complémentarité est la base où s’équilibre l’harmonie de l’univers. »
Cette idée est mieux illustrée par la phrase liturgique:
« unifier le nom de Yud Heh avec le nom de Vav Heh en une Unité parfaite» – c’est-à-dire: unir les deux noms du Divin supposé composer le Tétragramme. Cette phrase apparaît au XVIe siècle dans des textes et des livres de prières inspirées de l’enseignement du rabbin Isaac Luria Ashkenazi, précurseur de la Kabbale contemporaine, faisant écho à des discussions antérieures dans l’ouvrage du XIIIe siècle: « le Zohar et ses commentateurs ». Dans la bénédiction de « l’unité du Nom », la désignation des lettres Yud Heh et Vav Heh correspond à l’unification des aspects masculin et féminin de la Divinité. « Le saint béni soit-il » et la « présence Divine » témoignent ensemble de toutes les formes d’opposition s’unissant en Une seule et même Unité.
Dans le contexte de la pensée religieuse et politique, le Rabbin Avraham Itshaq Hacohen Kook explorent l’applicabilité de ce modèle pour surmonter les tensions entre les discours « religieux » et « démocratiques » dans la société israélienne.
«…les contradictions sont seulement relatives aux limites de l’esprit qui les pense, et qui pèse bien peu au regard de cette grande et absolue vérité. »
« Du point de vue de la connaissance qui va au fond des choses, il n’y a plus du tout de contradictions dans la réalité. Et partout où il y en a, il doit certainement exister un biais caché qui permettra de les expliquer… Un jugement peut s’entendre de deux façons opposées, mais, dans l’absolu, ces contradictions disparaissent.»
Dans son analyse pragmatique le professeur Avinoam Rosenak écrit:
« La réaction de chaque partie à tout conflit d’intérêts est conditionnée par sa compréhension de l’Autre et par son évaluation de la flexibilité qu’elle peut se permettre d’être ».
Le principal défaut de ce concept Théo-politique, et de toute théologie politique proposant un point de vue prétendument supérieur à la réalité politique, est son incapacité à aborder la nature de la volonté de puissance. En tentant de dépasser l’utopisme messianique des deux côtés, il court le risque de son propre mythe quant à la fin du machiavélisme politique. En réalité, à tout moment, une partie est en avance dans le bras de fer et croit que sa puissance et sa force peuvent lui assurer la victoire et l’exclusivité.
Dans le cas du système politique israélien, c’est actuellement un problème aigu en raison de changements démographiques et autres: le côté conservateur, au pouvoir depuis longtemps, a dû se rendre à la raison électorale et céder le pouvoir à une coalition hybride. Les ramifications de ce triomphe supposé se font sentir dans un large éventail de problèmes, allant du rôle de la religion dans la sphère publique à la préoccupation d’une réelle politique intérieure, sociale, économique et sécuritaire.
Mais serait-ce une illusion dangereuse?
Au pouvoir, les disparités croissantes pourraient-elles mettre en danger le tissu délicat de notre société, fondée sur un fragile équilibre entre deux forces essentielles: religieuse – conservatrice et séculière – libérale?
L’unité de ces contraires n’est pas seulement un besoin actuel, mais bien un objectif et un acte de nature foncièrement pluraliste, au sein de l’identité nationale. Beaucoup, parmi les membres des deux camps, propagent une idée fausse: l’autre côté représente une altérité politique-sociale-morale absolue, conduisant à une radicalisation constante des points de vue des deux côtés, mettant ainsi en danger l’existence même de la société et de la communauté.
Basée sur les réseaux sociaux qui constituent une sorte de « chambre d’écho » des opinions politiques et n’ont quasiment aucun mécanisme de contrôle, l’atmosphère médiatique actuelle aggrave la crise et diminue le potentiel de compréhension entre les contraires ou prétendus opposés. Pour prévaloir contre le réalisme politique du pouvoir, il faut un réalisme Théo-politique de l’esprit, qui reconnaisse les limites du pouvoir humain et le danger de constamment s’efforcer de l’atteindre. Il faut être capable de proposer, de manière réaliste et pratique, sans méconnaître les faiblesses humaines, une vision partagée, unifiée et fédératrice de la nouvelle identité de « l’être Hébreu renaissant »
Rony Akrich pour ashdodcafe.com