Le cœur de la Haftara du matin de Yom Kippour traite de l’importance des commandements sociaux et sociétaux: la corruption morale-religieuse, l’oppression, l’exploitation des éléments les plus faibles de la société et l’hypocrisie des hommes vis-à-vis de Dieu.
L’essence de l’argumentation prophétique contre la duplicité repose d’abord et avant tout sur les épaules d’un monde religieux, hululant son amour du Créateur, désobéissant effrontément à l’ordonnance Divine.
Le traitement de la société Hébraïque exige sans ambages la matérialisation des prescriptions concernant l’homme, son alter-ego et la société. Maintes fois réitérée par l’ensemble des Prophètes, certes pour tout le collectif Israël, cette critique ne concerne guère la constance, ou l’observance, sélective des Lois, mais bien une identité morale et une pratique éthique témoignant, à cet instant, d’une totale inconsistance.
Ces Principes portent atteinte à l’observance, religieuse ou non, d’un monde de gens, pieux ou non, faisant fi de tout intérêt pour une problématique sociale globale et totale.
Accepter l’idée que l’identité morale (Derech Eretz) anticipe la loi (Torah), ne vient en aucun cas exprimer une valeur moindre, il s’agit en fait d’un fondement essentiel de la Loi pouvant établir une relation juste et durable avec le Créateur.
L’autre, qui que ce soit et quelle que soit sa vérité, est, et demeure, mon compagnon de route, l’ignorer est une preuve probante de ma médiocrité de gredin. Si le bât blesse entre les hommes, toute alliance avec le Divin sera impossible puisque corrompue et bafouée au point cardinal de son origine.
Ainsi, de prime abord, le thème de la Haftara traite des obligations entre l’homme et son prochain et tente de faire entendre la volonté créatrice quant à ses créatures.
Ecoutons ces grenouilles de bénitier qui quémandent tout de Lui sans jamais Lui offrir ne serait-ce que le minimum d’eux-mêmes.
Causalité d’une raison fourvoyée par des tartuffes!
«Pourquoi jeûnons-nous, sans que tu T’en aperçoives? Mortifions-nous notre personne, sans que Tu le remarques? » (Isaïe 58, 3).
Ils argumentent les coquins: comment, nous procédons du culte et rien ne change, rien ne s’améliore?
Ils se plaignent et émettent doléances et requêtes: quel est donc le salaire de nos pratiques, de notre foi?
En clair, en ce jour si ‘saint’ il ne peut être question d’octroyer à la Création tout le bon, le bien, le beau: l’Eternel nous est redevable!
La liturgie accompagne allègrement ces sentiments, il est pratiquement impossible de trouver un texte où l’homme s’épanche à travers ses projets d’investissement sociaux et sociétaux.
La prière, comme son nom l’indique, est une ‘banale’ supplication pour obtenir, santé, salaire, réussite, bien-être et bien d’autres balivernes.
Contrairement aux idées reçues et dans la perspective du Prophète Isaïe en ce jour, le prieur se trouve au pinacle de son égocentrisme.
« C’est qu’au jour de votre jeûne, vous poursuivez vos intérêts et tyrannisez vos débiteurs. Oui, vous jeûnez pour fomenter querelles et dissensions, pour frapper d’un poing brutal; vous ne jeûnez point à l’heure présente pour que votre voix soit entendue là-Haut. » (Isaie 58, 3 et 4)
Raison probante de cette Haftara qui vient bousculer les acquis pour peu que l’on puisse lire et entendre le propos éminent. Elle contrarie tout narcissisme et propose la solution: s’attacher, s’engager, contre vents et marées, à réaliser précisément l’exigence Divine concernant une composition symphonique d’Israël, de l’Humanité, du monde et du cosmos.
Bien sûr, si tout commence entre moi et moi-même, tout se poursuit par mes conjugaisons avec mes prochains, ces autres qui ne sont rien d’autre que mes frères. En ce jour et lieu-dit, ils sont venus, tous ne sont pas là mais peu importe, chaque-un va de ses traditions : contrition, fouet, Mikvé, habits blancs, j’en passe et des gratinées. Soudain Dieu s’exclame:
« Est-ce là un jeûne qui peut m’être agréable, un jour où l’homme se mortifie lui-même? Courber la tête comme un roseau, se coucher sur le cilice et la cendre, est-ce là ce que tu appelles un jeûne, un jour bienvenu de l’Eternel? » (Isaïe 58, 5)
Afin de pouvoir m’accomplir et ainsi offrir à mon environnement le son attendu, nous devons reconnaitre que nous ne sommes point le centre de l’Univers, nous ne sommes guère meilleurs que ces autres, si ce n’est pire.
L’égo se projette dans un monde où tout lui serait servi.
Il serait le maitre-sujet considérant les sapiens comme des objets-outils souffrant de le voir jouir. En revanche, celui qui intériorise l’idée qu’il n’est pas mieux qu’autrui, jamais ne les exploite mais, bien au contraire, comprend les termes de participation, de partage, de distribution, aide… tout simplement !
La morale est intimement liée à la totalité des commandements régissant la société, elle est, ainsi, une manifestation sociale, comme les us et coutumes, le verbe, la civilité etc.
Les propriétés du devoir collectif assujettissent tous les individus d’un même groupe, elles sont contraignantes et imposent des nécessités assorties de peines. Pour Emile Durkheim, ‘la conscience morale individuelle est en fait l’écho de la conscience collective en nous’.
Les codes sociaux attestent tous, sans exception, un ordre moral qui nous interpelle aux devoirs envers le bien, le bon et le vrai, source d’un verbe Divin pour la défense de la communauté nationale et humaine.
Certes, cette gratitude à la tutelle sociale se manifeste dans une déférence au Jugement de Dieu, comme si la conscience du bien ou du mal supposait fatalement un regard sur soi et une raison sensible à ses responsabilités. Il nous faut rester dans les limites de la Morale, être en cohésion avec la Loi et affirmer explicitement notre respect du précepte de protection qu’est l’utilité sociale.
Ces notions sont clairement exprimées tout du long des textes toraniques, prophétiques et agiographiques, l’Amour, la Justice et la Vérité sont les fondements essentiels nécessaires à l’élaboration d’une société hébraïque et tolérante. L’objectif de la Mitsva est de servir son Créateur à travers l’assistance fournie aux faibles et aux déshérités, la volonté de rééquilibrer l’harmonie du Monde. Cette finalité touche une dimension plus émérite, elle tend à résoudre l’équation de la fraternité ici-bas:
«Si ton frère vient à déchoir, si tu vois chanceler sa fortune, soutiens-le, fût-il étranger et nouveau venu, et qu’Il vive avec toi. N’accepte de sa part ni intérêt ni profit, mais crains ton Dieu, et que ton frère vive avec toi.» (Vaykra 25, 35-36)
En clair, le Rambam l’affirme dans son ‘Guide des Egarés’: l’ancrage de traits de caractère moraux et éthiques sont primordiaux au devenir de l’être individuel et collectif.
« Mais voici le jeûne que j’aime: c’est de rompre les chaînes de l’injustice, de dénouer les liens de tous les jougs, de renvoyer libres ceux qu’on opprime, de briser enfin toute servitude; » (Isaie 58, 6)
« Puis encore, de partager ton pain avec l’affamé, de recueillir dans ta maison les malheureux sans asile; quand tu vois un homme nu, de le couvrir, de ne jamais te dérober à ceux qui sont comme ta propre chair! » (Isaie 58, 7)
En conclusion, la pratique des ‘mitsvot’ régissant la seule relation piétiste entre l’homme et Dieu, tout en méprisant les faibles et les opprimés, est clairement en contradiction avec la Parole créatrice et rend caduque l’observance de ‘mitsvot’ vidées de leur essence.
Ce n’est pas seulement la cruauté, mais aussi, l’arrogance humaine qui sous-tend les comportements condamnés par le Prophète, une conduite aliénée annihilant toute possibilité de poursuivre la conjugaison entre Dieu et son peuple.
Il y aura donc divorce!
Mais si l’homme se reprend, alors Yom kippour pourra enfin avoir un sens!
« C’est alors que ta lumière poindra comme l’aube, que ta guérison sera prompte à éclore; ta vertu marchera devant toi, et derrière toi la Majesté de l’Eternel fermera la marche. » (Isaie 58, 8)
Rony Akrich