Cher Bibi, Nous sommes montés en Israël, ma femme et moi, en 1984. A ce moment-là, nous commencions tous à entendre parler de ce jeune et brillant diplomate israélien en poste à Washington et qui, dans un anglais parfait, parvenait à défendre l’image d’Israël sur tous les plateaux de télévision et dans les campus universitaires. Quelques mois plus tard, te voici nommé ambassadeur d’Israël à l’ONU !
Quelques années plus tard, la droite de la droite, celle du « tout ou rien » réussit (déjà) à faire tomber le gouvernement Likoud après près de 15 ans de pouvoir : Tsomet, Hatehiya et Moledet quittent la coalition jugeant Shamir (Shamir!!) pas assez à droite….Et je me souviens très bien de ce moment où on annonce la chute du gouvernement. Le seul qui ne baisse pas la tête, qui promet, avec un étonnant aplomb que la gauche ne tiendra pas longtemps, c’est toi. Le jeune loup dévore les dinosaures du parti aux élections internes et te voici chef du Likoud à 44 ans !
Puis vinrent les années d’Oslo et leur insoutenable cortège d’attentats. Nous déménageons à Jérusalem et participons à toutes les manifs contre Rabin et Perès. Ma voiture se transforme en Q.G anti Oslo et les stickers qui la décorent sont si nombreux que je me ferais un jour arrêté pour « manque de visibilité suffisante ». En tant que chef de l’opposition, tu mènes la campagne médiatique de main de maitre. C’est alors qu’ils ont commencé à te haïr. Un mélange de peur et d’admiration secrète. Peur que, doué comme tu es, tu réussisses à faire voler en éclats les folles illusions d’Oslo ! Admiration secrète pour celui qui est capable de démonter rationnellement leur idéologie, mélange de dangereuse naïveté et de certitudes quasi messianiques envers le partenaire palestinien. Ah, s’ils pouvaient te faire passer pour un de ces manifestants déchainés qui traitent Rabin de traitre ! Pour un vil incitateur à la violence ! Mais voilà, tu t’obstines à critiquer leur politique sans les accuser de trahison. Je t’entends encore , lors de cette fameuse manif de Kikar Tsion: « non, non, il n’a pas trahi! Il se trompe mais ce n’est pas un traitre ! » Et la droite est maintenant donnée gagnante dans tous les sondages …. Jusqu’à ce que l’un de ces irresponsables fanatiques que tu méprises tant commette l’irréparable et redistribue les cartes. Le peuple en état de choc ne veut plus entendre parler de la droite rendue par la presse complice, sinon coupable, de l’assassinat. Du coup, c’est Perès qui caracole en tête des sondages ! Le 29 mai 1996, je passe la journée au Q.G du Likoud à Beer Sheva pour chercher les vieux et tous ceux qui ont des difficultés à se déplacer et les aider à venir voter. Je rentre exténué à la maison mais pas question d’aller dormir. Le dépouillement est un insupportable suspens : au fur et à mesure que la nuit s’achève, ta victoire se dessine et au petit matin, tu es élu premier ministre ! Fini Oslo, finis les attentats ! Le plus jeune de nos premiers ministres à 47 ans (Benett en a 49 aujourd’hui). Contrairement au narratif fantaisiste que la gauche s’est inventée, tu n’es pas passé grâce à l’assassinat de Rabin mais bien malgré lui.
La droite de la droite, celle du « tout ou rien », t’en voudra de ne pas avoir aboli les accords d’Oslo et d’avoir signé avec Arafat l’accord de Hevron. Moi pas. J’ai au contraire trouvé génial ton « s’ils donnent, ils recevront, s’ils ne donnent pas, ils ne recevront rien » qui nous a permis d’étouffer ce qu’il restait d’Oslo puisqu’il était clair qu’Arafat ne donnera rien, sans pour autant se mettre à dos l’administration Clinton.
Admiratif , je constatais comment tu avais progressivement jugulé le terrorisme (4 victimes « seulement » en 1999), réduit l’inflation (de 11% en 1996 à 1,3 % en 1999), réduit le déficit, ouvert le marché de la communication …. C’est grâce à toi que je suis alors devenu membre du Likoud en me promettant de tout faire pour que tu en restes le chef.
Mais le jeu démocratique est parfois cruel et injuste. Après la défaite devant Ehoud Barak, tu te retires, laissant Sharon prendre la tête du Likoud. La roue tourne, avait-il pourtant l’habitude de dire et le jeu consiste à ne jamais s’en décrocher… Tu l’apprendras à tes dépens et lorsque tu voudras revenir en 2002, tu échoueras lamentablement dans ta tentative de lui reprendre sa place. Faussement magnanime, il te propose le poste de ministre des finances dans son nouveau gouvernement, un poste disait-on, où on ne peut qu’échouer. Pourtant tu finis par accepter et les spécialistes disent que tu parvins à redresser l’économie avec tes réformes audacieuses et courageuses.
Notre rupture définitive ne doit rien à tes procès.
J’ai lu avec attention les chefs d’accusation dont ils t’accusent et, comme beaucoup, ils ne m’ont jamais convaincu. Ta faiblesse pour les cigares, le champagne ou les articles élogieux ne font pas de toi l’être corrompu qu’ils s’acharnent à vouloir décrire. Personne que je sache ne te soupçonne d’avoir mis de l’argent dans tes poches, d’avoir reçu des enveloppes pleines de billets, comme ce fut le cas de certains de tes collègues ou de tes prédécesseurs qui, comble de l’hypocrisie, s’acharnent aujourd’hui à vouloir te mettre sous les verrous au nom d’une éthique à sens unique….
Non, notre rupture définitive date de l’expulsion des juifs de Gouch Katif. Comme une femme amoureuse délaissée par un mari devenu méconnaissable, je notais comment, vote après vote, tu permettais la réalisation du plan d’évacuation de Sharon, tout en prétendant que tu étais contre ! Au moment où nous, le public orange, avions tant besoin de toi, tu nous as laissés seuls nous époumoner de manif en manif, de chaine humaine en marche de protestation, de Nétivot à Kfar Maimon ! Le pire pour moi, ce fut lorsque tu choisis de démissionner théâtralement quelques jours avant l’expulsion, lorsque tu savais pertinemment que ça ne changerait plus rien et que tu t’envolas alors vers les Etats-Unis pour je ne sais quelle importante mission, nous laissant à nouveau crier seuls nos dernières protestations ! Je pris alors la décision de ne plus jamais voter pour toi. Et j’ai tenu parole.
Ce qui ne m’empêchera pas d’admirer tes talents d’orateur après la défaite cinglante devant Kadima et Olmert, de me réjouir de ton retour à la tête du pays en 2009, et de m’émerveiller devant les réussites de tes gouvernements successifs, ces 12 dernières années.
12 années ou je me suis senti en sécurité, malgré mon lieu de résidence, à quelques kilomètres du hamasland. 12 années durant lesquelles tu as transformé notre pays en puissance économique, en acteur incontournable de la diplomatie de la région ! 12 années durant lesquelles tu nous as donné maintes fois, depuis New York ou Jérusalem, cette fierté que nous avons à être israéliens. Tu as réussi à faire reconnaitre Jérusalem comme capitale par nos alliés américains, à renforcer la légitimité de notre présence au Golan!
Et puis je dois te l’avouer aujourd’hui : ta fermeté durant les 8 années d’Obama m’a agréablement surpris et j’ai presque failli à ce moment-là me réconcilier.
La droite de la droite, celle du tout ou rien, te reprochera longtemps ton discours de Bar Ilan. Enfoncés dans leurs convictions sans nuance, ils ne seront jamais capables de faire la différence entre le possible et le souhaitable.
La vraie question c’est comment un homme aussi doué peut être aussi nul en relations humaines ? Comment as-tu pu ainsi réussir à te faire rejeter par les plus proches de tes collaborateurs au point de ne pas pouvoir trouver les deux doigts qui manquaient à ta coalition alors que la Knesset n’a pratiquement jamais été aussi à droite qu’aujourd’hui ?
Je laisse les spécialistes de l’âme humaine tenter de répondre à cette question. Mais l’histoire retiendra certainement que ce qui a fait tomber Netanyahou, ce ne sont ni les juges, ni les manifestants de la rue Balfour, ni les journalistes haineux. Le tombeur de Netanyahou, c’est Netanyahou lui même.
Ainsi , nous savons toi et moi à quel moment précis tu as perdu ces élections : lorsque , après des jours de martellement durant lesquels on aurait pu croire que ton seul redoutable adversaire était Benett, tu réussis à lui faire signer qu’il ne siègera jamais sous Lapid. Jusque-là , Gants tournait autour de 4 ou 5 voix dans les sondages et Benett restait stable entre 9 et 11. Et le lendemain, Gants montait à 6 et Benett descendait à 7: des anciens électeurs de Gants prêts à voter Benett retournèrent à la maison, convaincus que Benett était à présent enchaîné au clan des « rak bibi »… Si Benett avait fini à 10, tu serais aujourd’hui chef d’un gouvernement de droite soutenu par 62 députés ! Bibi est finalement venu à bout de Netanyahou! Quel gâchis!
Quel gâchis puisque sans toi, le pays ne se serait pas transformé si rapidement en Start up nation et nous en serions encore à nous balader masqués, évitant consciencieusement les cafés et les salles de spectacle, les synagogues et les musées! Et tout ceci tu as pu le réaliser sous les insultes incessantes de tes opposants et dans un incroyable déferlement de haine et de mauvaise foi ! Chapeau!
Je ne sais pas si tu pourras retrouver un jour les rênes du pouvoir mais, au moment de faire ce bilan, je sais que tu fus, malgré tes faiblesses l’un des plus grands dirigeants de l’histoire d’Israël !