Personne n’aime se retrouver seul. Divorcer, essuyer une trahison, subir le feu de la moquerie, devenir un bouc émissaire, perdre la confiance de son entourage, sont des exemples de situations qui suscitent la peur car elles parlent de solitude.
Mais entre la peur et l’effroi, il y a une marge.
Ainsi, les personnes qui éprouvent une peur d’abandon n’ont pas « peur », justement. Elles sont plutôt paniquées à cette idée ! La peur d’abandon n’est pas une peur rationnelle. Ce n’est pas une peur qui se laisse apprivoiser par la raison et qui, dès lors, peut être gérée facilement. Comme toute peur irrationnelle, la peur d’abandon renvoie à la notion primitive à l’origine de toutes les réaction d’effroi : le néant. Appelons aussi cette notion le vide, la mort, l’oubli, le sens sera le même. La peur d’abandon est la peur de l’annihilation de soi par un « quelque chose » dont on ne sait rien. La peur d’être absorbé par l’inconnu, pour partir ensuite vers un autre inconnu encore. En fait, la peur de disparaître, où chacun des deux mots composant l’expression seraient portés au paroxysme de leur signification.
Ceci étant posé, on comprend sans peine que la peur d’abandon place celui ou celle qui l’expérimente dans une situation particulièrement délicate. Elle se retrouve alors dans état extrêmement instable. La peur d’abandon soumet le sujet à un sursis permanent. À son propos, il n’est pas vraiment opportun de parler de vivre, mais plutôt de survivre. Survivre en tâchant d’éviter en permanence toute situation qui pourrait mener à l’indicible, à la perte de moyens face au néant[1], auquel il sera bien difficile de résister car, le sujet le sait, le sujet le sent, ce néant l’emportera vers des états d’âme terribles qui le pétrifient par avance.
Dans la vraie vie, cette seule crainte par anticipation suffit d’ailleurs à rendre le sujet, inexplicablement méfiant ou tendu aux yeux de son entourage. Ou alors, il exprime ses émotions de façon beaucoup plus intense que la normale, ou son attachement aux autres, pour qu’ils le gardent et ne laissent pas glisser vers cette peur qui le hante.
Au fond, le quotidien de la personne sujette à la crainte de l’abandon se situe aux antipodes de la sérénité. La sérénité appelle à l’abandon de soi, un abandon reposant, régénérant dirions-nous même. Mais là, il est question au contraire d’un qui-vive permanent et non raisonné[2], ce qui le rend du reste encore plus perturbant. Et cela ne peut pas être qualifié de vie. Car en plus de redouter le spectre hideux de l’abandon, le sujet doit bien faire des sacrifices pour le repousser, ce spectre. Et plus son spectre cauchemardesque se rapproche, se fait menaçant[3], plus les sacrifices consentis pour y échapper sont immenses. Le sujet est alors prêt à donner ce qu’il n’aurait jamais pensé donner en d’autres circonstances. C’est contre son gré qu’il se déshonore, qu’il accepte de payer une espèce de « rançon existentielle » simplement pour ne pas se sentir abandonné, pour ne pas se sentir arraché du monde des vivants. En fait, pour ne pas se retrouver tout seul, face à lui-même, face à ce trou béant de désamour qu’il charrie avec lui en secret et qui lui fait honte, et qui lui fait mal.
Dans ce contexte, la pire situation qui puisse survenir, croyons-nous, serait de se retrouver sous l’emprise d’une autre personne qu’il serait juste de qualifier de prédateur. Elle aurait décelé la vulnérabilité du sujet et, surtout, l’exploiterait pour retirer un profit personnel détestable[4]. Et plus l’emprise est forte, plus la vie devient infernale. Car alors, pour ne pas être abandonné par le triste individu qui a pris le sujet en otage en lui distillant le pseudo-amour ou la pseudo-attention dont il a tant besoin, de dernier est prêt à tout donner de lui. Ses opinions, son temps, sa présence, ses forces, son amour-propre enfin. Vraiment tout.
Il est évident que l’on ne peut supporter un tel état de fait. De ce sursis permanent, il faut s’extraire au plus vite. Mais est-ce seulement possible ? Et en premier lieu, comment ce mal apparaît-il ? Nous y réfléchirons dans la prochaine partie de cet article.
[1] Du moins le néant tel qu’il s’exprime sous forme de symbole chez le sujet lui-même.
[2] C’est-à-dire qui, de manière strictement tangible, ne répond à aucune situation de stress ou de danger.
[3] Toujours du point de vue du sujet. Ce vocabulaire quelque peu grandiloquent que nous employons nous a paru la meilleure alternative pour restituer les soubresauts subjectifs produits par un monde fantasmatique en plein fonctionnement.
[4] Dont fait partie le plaisir sadique et gratuit obtenu en détruisant une personne qui n’est alors plus qu’une proie vulnérable et méprisable.
Analyste, je partage mon intérêt pour la construction de soi. J’aide par ailleurs des personnes en souffrance à se reconstruire.
david@torahcoach.fr