Une étude menée dans le laboratoire du Dr. Uri Ben-David de la Faculté de médecine de l’Université de Tel-Aviv, en collaboration avec six laboratoires de quatre autres pays (USA, Allemagne, Pays-Bas et Italie) montre pour la première fois comment un nombre anormal de chromosomes (aneuploïdie), caractéristique spécifique des cellules cancéreuses connue des chercheurs depuis des décennies, peut devenir le talon d’Achille de ces mêmes cellules. Elle pourrait mener à l’avenir au développement de médicaments qui exploiteront ce point faible des cellules cancéreuses pour les éliminer.
L’aneuploïdie est une caractéristique spécifique du cancer. Alors que dans les cellules humaines normales, il existe deux ensembles de 23 chromosomes, l’un provenant du père et l’autre de la mère, les cellules aneuploïdes présentent un nombre inégal de chromosomes. Ce processus est non seulement « toléré » par les cellules cancéreuses, mais il peut même favoriser le développement du cancer. Le lien entre aneuploïdie et cancer a été découvert il y a près de 140 ans, bien avant que l’on ne soit conscient que le cancer était une maladie génétique, et avant même la découverte du rôle de l’ADN dans le processus d’hérédité.
La mutation génétique la plus courante du cancer
Selon le Dr. Ben-David, l’aneuploïdie est en fait la mutation génétique le plus courante du cancer. Environ 90% des tumeurs solides, comme celles du cancer du sein et celles du côlon, et 75% des leucémies, sont aneuploïdes. Cependant, notre compréhension de la manière dont ce phénomène contribue au développement et à la propagation du cancer est limitée.
Dans le cadre de l’étude, les chercheurs ont détecté les phénomènes d’aneuploïdie dans environ un millier de cultures de cellules cancéreuses, à l’aide de méthodes avancées de bioinformatique. Ils ont ensuite comparé la sensibilité génétique des cellules présentant un haut niveau d’aneuploïdie à celles en présentant un niveau bas, ainsi que leur sensibilité à divers médicaments et produits chimiques. Ils ont découvert que les cellules cancéreuses aneuploïdes présentaient une sensibilité accrue aux perturbations du processus de contrôle de la séparation des chromosomes pendant la division cellulaire (point de contrôle mitotique).
Une médecine anticancéreuse personnalisée
L’étude a des implications importantes pour la découverte de traitements dans le cadre d’une médecine anticancéreuse personnalisée. Des médicaments qui inhibent le mécanisme de séparation des chromosomes font actuellement l’objet d’essais cliniques, mais on ne sait pas quels patients y réagiront ou non. Grâce à cette étude, il sera possible d’utiliser l’aneuploïdie comme marqueur biologique sur la base duquel on pourra identifier les patients qui répondront le mieux à ces médicaments. Autrement dit, on pourra effectuer un ajustement des médicaments aux caractéristiques génétiques spécifiques des tumeurs.
En outre, les chercheurs proposent de concentrer le développement de nouveaux médicaments sur des composants spécifiques du mécanisme de séparation des chromosomes, identifiés comme particulièrement critiques pour les cellules cancéreuses aneuploïdes. En effet, le mécanisme de contrôle de la séparation des chromosomes fait intervenir plusieurs protéines. L’étude montre que la sensibilité des cellules aneuploïdes à l’inhibition des différentes protéines n’est pas la même et que certaines protéines réagissent plus fortement que d’autres. Aussi, l’étude engage-t-elle à développer des inhibiteurs spécifiques pour d’autres protéines du mécanisme de contrôle mitotique.
«Il convient de souligner que l’étude a été réalisée sur des cellules en culture et non sur des patients cancéreux. De nombreuses études de suivi seront nécessaire afin de la traduire en traitement pour les patients. Cependant, déjà à ce stade il est clair que cette étude pourra avoir de nombreuses conséquences médicales », conclut le Dr. Ben-David.
Ont également participé à cette étude les Dr. Zuzana Storchova (Université technique de Kaiserslautern, Allemagne), Jason Stumpf (Université du Vermont, États-Unis), Stefano Santaguida (Université de Milan, Italie), Floris Foijer (Université de Groningen, Pays-Bas) et Todd Golub (Broad Institute du MIT et Harvard, États-Unis).
Photos :
- Le Dr. Uri Ben-David et les chercheurs de son laboratoire.
- Cellules cancéreuses.
Crédit : Université de Tel-Aviv.