A l’époque, la rentrée des classes était fixée au 1er octobre nous, les enfants, n’étions donc pas occupés par nos devoirs scolaires, nous aidions donc nos mamans à la préparation des fêtes d’automne et même du printemps à venir.
Nous avions nos occupations d’été, chacun selon son goût ou ses possibilités : confection d’un herbier, constitution de collections diverses : cartes postales qui arrivaient de l’extérieur, ou collections de timbres, de vignettes quelconques, d’images parfumées dites « sent-bon » et bien d’autres encore. En ces années, les légumes et les fruits n’apparaissaient sur les étals au marché qu’en leur propre saison et ainsi, la préparation de mets particuliers à chaque fête retrouvait son sens, son fumet et son charme.
En été nous jouissions pleinement des tomates juteuses, charnues et goûteuses, les poivrons verts ou rouges tentaient tout le monde et les marchands les vendaient dans de grandes corbeilles tressées. De jeunes garçons Arabes louaient leurs services de porteur jusqu’au domicile et volaient de ménagère en ménagère pour accomplir le plus de travail possible puis, apparaissaient les olives vertes à casser et à mettre en saumure, puis c’était le tour des figues, du raisin « rosé » appelé « Bou Amar », puis des coings et des patates douces pour en faire de délicieux desserts.
Les femmes Arabes elles aussi louaient leurs services pour faire griller, peler et épépiner les poivrons puis les saler et les mettre à sécher au soleil sur des planches en contreplaqué. Elles coupaient les tomates en tranches épaisses salées qui étaient séchées elles aussi. Ces légumes-là, une fois séchés, étaient enfermés dans des bocaux à conserves remplis d’huile d’olives avec des feuilles de laurier, des gousses d’ail rôties des baies de genièvre, parfois on ajoutait des grains de poivre et des graines de moutarde……… Les mamans cuisinaient en hiver en ajoutant des tomates séchées pour optimiser les saveurs.
Notre part à nous, les jeunes enfants, consistait à « casser » les olives qui seraient mises à tremper pendant trois jours afin d’ôter l’amertume du fruit encore vert foncé, puis en saumure dans des pots de conserve avec des aromates : fenouil, laurier, tranches de citron, et, pour ceux qui appréciaient le piquant étaient ajoutés quelques piments « oiseaux » et le tout recouvert d’huile. Pour ne pas tâcher nos vêtements d’éclaboussures verdâtres indélébiles, on épinglait sur nos tabliers des feuilles déployées de l' »Echo d’Alger« ……….
Quelques jours avant les fêtes, équipés de plumes « sergent-major » neuves, nous avions pour devoir d’épépiner les gros grains de raisin rosé « Bou Amar ». Ainsi avant les fêtes étaient confectionnées des confitures de figues, de raisin rosé, de coings qui étaient rincés puis coupés en quartiers citronnés et bouillis afin de pouvoir les peler plus facilement après avoir vérifié qu’ils n’étaient pas « habités » de locataires disgracieux et indésirables après quoi, il était beaucoup plus aisé de procéder à la confection de gelée, de confiture ou de pâte de coings. Avec les patates douces, on faisait de la pâte, ou des patates caramélisées mais il est à signaler que la qualité de ces tubercules était blanche et en conséquence moins filandreuse que la qualité orangée.
La France a commis à plusieurs reprises des erreurs qui ont entraîné par la suite le désastre de l’exode. De nombreuses opinions se sont fait jour et tout le monde en a parlé mais, il y avait une erreur de plus qui prouva s’il en était besoin que la France n’avait pas considéré l’Algérie tout-à-fait comme un département français et en voici la preuve : les billets et pièces de monnaie avaient été émis au nom de la « BANQUE D’ALGERIE » et non sous l’égide de la BANQUE DE FRANCE » ! Or, si l’Algérie avait été considérée véritablement comme un département français au même titre que le Rhône, la Gironde ou le Haut Rhin, la monnaie aurait été émise par la Banque de France. Enfin, mon propos s’est aventuré sur un autre terrain, revenons-en à nos souvenirs.
Parmi les fruits nouveaux dont nous décorions les tables pour les fêtes d’automne, il y avait donc les dattes, les grenades, les coings mais aussi les jujubes qui, pour moi, ressemblaient beaucoup à des olives marrons avec une écorce fine mais légèrement craquante et une pulpe vert clair sucrée et légèrement juteuse autour d’un noyau ressemblant à celui de l’olive.
L’une des tâches qui incombaient aux enfants était de planter à espace régulier et serré des clous de girofle dans des coings, des pommes ou des oranges ceci afin de nous permettre d’en humer le parfum d’une part pour nous remettre parfois des légers malaises qui accompagnent le jeûne mais aussi pour nous permettre à chaque fois de prononcer une bénédiction supplémentaire sur les « bessamim » (bénédiction faite sur des plantes aromatiques). Les fruits devenaient marrons et ramollissaient au contact de la girofle qui distille une essence très puissante utilisée d’ailleurs en dentisterie (l’eugénol). Pour les oranges en dehors du fait que le jus du fruit suintait par les trous occasionnés par l’épice, la peau se moirait de tons allant du marron au vert de gris.
Pour éviter de se salir, nous achetions de petits flacons d’alcool de menthe Ricqlès et, de cette manière, l’inspiration de cette essence forte nous permettait de nous remettre très vite des petits malaises. Par la suite, lorsqu’apparurent les « inhalers » de Vicks ou autres marques pharmaceutiques, nous étions remis beaucoup plus facilement de notre mal de tête (ou autre).
A la veille, ou quelques jours avant Kippour, nos parents s’efforçaient d’acheter des vêtements neufs à étrenner à la fin de kippour comme signe de renouveau. Parfois, on n’achetait qu’une paire de chaussettes ou des bas ou un petit foulard.
A l’époque, chaque juif -dont les moyens le lui permettait- pratiquait la kappara avec des poules pour les femmes et des poulets pour les hommes. Cependant, certains faisait la kappara avec des poissons vivant. Personnellement, j’ai toujours éprouvé une certaine réticence à propos de cette pratique et c’est donc avec beaucoup plus de plaisir que je fais la kappara en argent ce qui permettra aux défavorisés de profiter de la fête, chacun selon ses besoins sinon, les indigents se retrouvaient avec des quantités incroyables de poulets que ceux qui en avaient les moyens leur offraient.
La Tradition veut que l’on déjeune tôt la veille de Kippour car la journée passe vite et il y avait un bon nombre d’obligations à remplir comme rendre visite au cimetière pour y réciter des prières pour le repos de l’âme des défunts. La Tradition veut que l’on mange 7 collations ou repas (ftir en arabe et judéo arabe) par la suite, on transforma les 7 collations par un repas comportant 7 plats comme par exemple une salade de tomates, des bestels (borègues), de la meguina (minina) qui pouvait être simplement un maâkod (pâté de pommes de terre) ou une minina avec des légumes ou avec du poulet et des pois-chiches, ou avec de petits cubes de viande), de la viande rôtie, du poulet rôti ou cuisiné autrement, du couscous avec son bouillon et ses légumes et, en dessert des cigares au miel. Pour le repas précédant le jeûne, on avait l’habitude de manger encore du poulet avec du couscous ou du riz.
A la maison, à la fin du jeûne, après que les hommes aient fait la « havdala » et le »kidoush levana » (bénédiction mensuelle de la nouvelle lune), toute la maisonnée, après s’être souhaité les uns aux autres « gmar hatima tova » (que le sceau soit bien apposé pour une vie longue et heureuse) s’attablait pour déguster un verre d’une boisson chaude chacun selon ses préférences (thé ou café) et déguster toutes les friandises et pâtisseries proposées par la maîtresse de maison (en général, on confectionnait des cigares aux amandes et au miel et des gâteaux soit recouverts de « fondant » blanc ou de sucre glace en l’honneur de kippour où les pêchés pardonnés deviennent blancs comme neige), en attendant que le bouillon de poulet et que les mets traditionnels soient réchauffés. En général étaient présentés des petites pâtes faites à la maison (drimeth) sorte de petits carrés de pâtes grillés et cuisinés avec quelques copeaux d’oignon et des petits pois puis le traditionnel « humrine » poulets mijotés dans des oignons et des coings. Le poulet devenait rouge foncé presque marron à cause du coing et la chair du poulet attendrie par les oignons et la très lente cuisson était d’une saveur incomparable c’est pourquoi ce plat se nomme humrine du mot arabe qui indique la couleur rouge.
Caroline Elisheva Rebouh Ben Abou
אלישבע רבוה בן אבו
MA Hebrew and Judaic Studies
Administrative Director of Eden Ohaley Yaacov