Dans le cadre d’une étude innovante, une équipe multidisciplinaire dirigée par les Prof. Oded Rechavi de la Faculté des sciences de la vie de l’Université de Tel-Aviv et Noam Mizrahi du Département d’études bibliques, en collaboration avec Pnina Shor et Beatriz Riestra de l’Autorité des Antiquités d’Israël, a réussi à rassembler des fragments d’une partie des quelques 1000 manuscrits de la Mer Morte en séquençant l’ADN de la peau des animaux sur lesquels ils ont été écrits. La reconstitution des parchemins par l’analyse de l’ancien ADN apporte un nouvel éclairage sur le monde spirituel du judaïsme à la période du Second Temple.
Un puzzle de dizaines de milliers de pieces
« Il existe de nombreux fragments de ces rouleaux qu’on ne sait pas comment relier entre eux », explique le Prof. Rechavi. « Et si vous assemblez les mauvaises pièces, cela peut changer radicalement la signification de tout le parchemin. Si l’on part de l’hypothèse que tous les fragments fabriqués à partir de la peau du même mouton appartiennent au même parchemin, il ne reste plus qu’à rassembler les pièces comme dans un puzzle ».
Depuis cette découverte historique, les chercheurs ont été confrontés à un énorme défi : trier et réassembler des fragments de près de 1000 rouleaux, dont la plupart ont été cachés dans les grottes de Qumran à la veille de la destruction du deuxième temple en 70 après JC. Une autre question clé est d’essayer d’évaluer à quel point la bibliothèque de la grotte de Qumran reflète l’ensemble du monde spirituel de la fin du Second Temple, ou s’il s’agit d’une collection non representative ayant appartenu à un groupe, membre d’une secte particulière (que la plupart des chercheurs identifient avec les Esséniens), qui est arrivée entre nos mains par hasard.
Résoudre des enigmes historiques par des méthodes du 21e siècle
« Imaginez qu’Israël soit complètement détruit, qu’il ne reste qu’une seule bibliothèque, et que ce soit justement celle d’une secte isolée et excentrique », explique le Prof. Rechavi. « Pourrait-on en déduire quelque chose sur l’ensemble du peuple d’Israël ? Pour pouvoir faire la distinction entre les parchemins de la secte et les autres, qui représentent donc probablement une population beaucoup plus large, nous avons séquencé l’ancien ADN des peaux d’animaux à partir desquelles ces parchemins ont été fabriqués. Le séquençage, le décodage et la comparaison de génomes vieux de 2 000 ans est un défi très compliqué en soi. De plus les fragments restants s’effritent et seules d’infimes quantités d’entre eux peuvent être utilisées comme échantillons ».
Ouverture de la société juive aux différentes vers de la Bible
Compte tenu de la complexité du projet, les chercheurs ont développé des méthodes particulièrement sensibles pour générer suffisamment d’informations à partir de l’ADN ancien, par un dépistage rigoureux des infections possibles et la validation statistique des résultats. Grâce à ces méthodes, ils ont pu relever des défis pratiques, comme le fait que les animaux de la même espèce (deux moutons du même troupeau par exemple) sont presque identiques, et que même les génomes des différentes espèces (comme les moutons et les chèvres) sont très similaires.
Aux fins de l’étude, l’AAI a fourni des échantillons au Prof. Rechavi et à son équipe (les Dr. Sarit Anava et Hila Gingold et les doctorants Moran Neuhof et Or Sagy), parfois uniquement de la poussière soigneusement grattée au dos des parchemins.
Par ailleurs, l’étude révèle que les parchemins écrits selon la méthode typique des textes de la secte des grottes de Qumran sont génétiquement liés entre eux, et différents d’autres sections écrites par d’autres méthodes trouvées dans les mêmes grottes. Les parchemins apportés de l’extérieur reflètent probablement l’ensemble de la culture du judaïsme de l’époque, et pas seulement le monde spirituel des membres de la secte dite de Qumran.
Ces résultats indiquent l’ouverture de la société juive de la période du Second Temple aux différentes versions des livres de la Bible, et renforcent l’idée selon laquelle pour les Juifs de l’époque, l’essentiel était l’interprétation du sens du texte, et non la formulation exacte ou l’orthographe de la Bible.
L’analyse des différentes lignées génétiques des animaux à partir desquels les rouleaux ont été fabriqués contribue à la compréhension de l’histoire de l’ancien mysticisme juif et de son influence.
Photos :
1. De droite à gauche : le Prof. Noam Mizrahi et le Prof. Oded Rechavi (Crédit : Université de Tel Aviv)
2. Parchemin du Livre de Jérémie. (Crédit : Halevi, AAI).
3. Prélèvement d’un échantillon d’ADN à partir d’un parchemin (Crédit : Shai Halevi, AAI).
4. Les parchemins sont photographiés à l’aide de méthodes avancées qui permettent de préserver leur état. (Crédit : Shai Halevi, AAI).