Une équipe de chercheurs, sous la direction du Dr. Adi Stern du Département de microbiologie moléculaire et de biotechnologie de la Faculté des sciences de la vie de l’Université de Tel-Aviv, ont réussi pour la première fois à séquencer le code génétique (génome) du coronavirus tel qu’il apparaît en Israël, et l’ont comparé avec celui de milliers de coronavirus dans le monde, parvenant ainsi à retracer avec précision sa trajectoire de transmission à partir des pays étrangers (70% des Etats-Unis, Belgique 8%, France 6%), ainsi que sa chaine de propagation à travers le pays. Ces données pourront grandement contribuer à aider les décideurs à adopter des mesures telles que quarantaine ou fermeture et réouverture de frontières, ainsi qu’à mieux faire face à une prochaine épidémie eventuelle.
Ont participé à l’étude les doctorants Daniel Miller, Noam Harel, Talia Kostin, Omer Tirosh et Moran Meir de l’Université de Tel Aviv, ainsi que des chercheurs de l’Université américaine Emory, de l’Institut Gertner de l’hôpital de l’hôpital Sheba, de l’Institut de Technologie de Holon, du Genome Center du Technion ainsi que les centres médicaux Sheba Medical Center, Assuta Ashdod, Hadassah Ein Kerem, Poriya, Soroka et Barzilay.
L’étude est basée sur l’analyse des séquences génomiques de plus de 200 patients en Israël, provenant d’une configuration géographique des hôpitaux israéliens, qui constituent un échantillon représentatif de l’ensemble de la population du pays. Elle a été publiée sur le site Internet medRxiv pour un partage immédiat avec la communauté internationale des chercheurs.
70% en provenance des Etats-Unis
« Mon laboratoire s’occupe de l’évolution et de la génomique des virus », explique le Dr. Stern. « Nous utilisons entre autres la technologie du séquençage de l’ADN/ARN. Lorsque l’épidémie de corona a éclaté, nous nous sommes mobilisés, comme les chercheurs du monde entier, pour étudier le virus qui en était à l’origine. Le coronavirus se caractérise par une accumulation rythmique de mutations, qui ne l’affectent pas directement, c’est-à-dire qu’il reste stable et que son intensité ne change pas, mais qui permettent de retracer ses chaînes de propagation d’un pays à l’autre. Par exemple, au début de l’épidémie en Chine, une à deux mutations sont intervenues. Le virus a alors émigré vers l’Europe où il a enregistré une nouvelle mutation, et de là vers les Etats-Unis etc. Ces mutations constituent donc une sorte de code-barre qui permet un suivi du virus d’un pays à l’autre ».
Dans le cadre de l’étude, les chercheurs ont comparé les codes génétiques de malades en Israël à 4 700 séquences génomiques provenant de différents pays du monde, obtenant ainsi une image complète de la chaîne de contamination vers l’Etat d’Israël et à l’intérieur du pays. A partir de ces données, ils ont ensuite développé un modèle mathématique et statistique complexe permettant l’évaluation de la situation épidémiologique du virus.
Les résultats montrent que plus de 70% des patients en Israël ont contracté un virus originaire des États-Unis, c’est-à-dire provenant de sujets contaminés aux États-Unis qui ont « amené » le virus avec eux en Israël. De même, près de 30% des patients appartiennent à des chaînes de contamination en provenance de pays européens : Belgique (environ 8%), France (environ 6%), Angleterre (environ 5%), Espagne (environ 3%), Italie (environ 2%), Australie (environ 2%), Philippines (environ 2%) et Russie (environ 2%). Il convient de noter que bien que toutes les séquences génomiques identifient la Chine comme point de départ, il n’y a pratiquement en Israël aucun cas de contamination dont l’origine directe provienne de Chine, de Corée ou du Japon, ni d’aucun autre pays asiatique.
Les « super-propagateurs »
Par ailleurs, l’étude a identifié une grappe de patients dont le génome était identique à 100%, ce qui laisse à penser qu’une grande partie de l’épidémie en Israël a été due à de « super-propagateurs », des porteurs du virus qui pour diverses raisons se déplacent de ville en ville et qui ont contribué à une infection de masse. « Selon le modèle, plus de 80% des cas de contamination proviennent de moins de 10% des patients. Cela signifie que la plupart des infections dans le pays sont survenues à cause de ‘super-propagateurs’. Par exemple, des virus identiques ont été détectés dans des échantillons de patients provenant d’endroits éloignés les uns des autres, tels que Tibériade et Jérusalem, ce qui indique probablement un porteur voyageant d’une ville à l’autre ».
Selon le Dr. Stern, ces données précises obtenues à partir du séquençage du génome pourront servir de base solide pour prendre de bonnes décisions en cas de récidive de la pandémie : « Le séquençage du génome fournit des données précises et objectives sur les migrations du covid19 à l’intérieur de l’Etat d’Israël, ajoutant un élément essentiel aux enquêtes épidémiologiques, basées jusqu’à présent sur un interrogatoire subjectif des porteurs et des malades, sur les lieux où ils se sont rendus et les personnes avec qui ils ont été en contact », explique le Dr. Stern. « Il permettra de fournir une grande quantité d’informations vitales de nature épidémiologique, par exemple, les pourcentages de contamination dans divers contextes (famille, immeuble, école, quartier etc.), et de prendre de bonnes décisions sur les questions qui nous préoccupent tous ces jours-ci : quand et où imposer une quarantaine ? Quand peut-on ouvrir des marchés / centres commerciaux / jardins d’enfants etc. ? ».
L’influence positive du confinement
« De plus, nos résultats indiquent clairement que la plupart des chaînes de contamination en Israël proviennent des États-Unis et des pays européens. Il est possible que le cas échéant dans l’avenir, il faille fermer directement le pays dès le début de la pandémie, ce qui permettra de diminuer de manière significative les chances du virus de pénétrer en Israël. De plus, le modèle montre que le coefficient de contamination d’infection du virus (c’est-à-dire le nombre de personnes contaminées par un malade unique) a diminué de manière significative après le confinement. Enfin, au jour d’aujourd’hui, sur la base du modèle et du séquençage, on peut estimer que pas plus de 1% de la population d’Israël n’a été infectée par le virus, ce qui signifie qu’Israël est très loin de l’immunité collective ».
« Nous avons réalisé pour la première fois un séquençage génomique massif du coronavirus en Israël », conclut le Dr. Stern. « Les informations fournies par cette technologie sont d’une grande importance pour comprendre la manière dont le virus se propage dans la population, et pourront servir de base scientifique et objective pour les processus décisionnels locaux et nationaux, notamment des questions telles que l’imposition de quarantaine, la fermeture des frontières, la détection et l’isolement des super-propagateurs, etc. Elle apporte donc une contribution significative à la lutte contre l’épidémie de corona en Israël, et plus encore, fournit des outils qui nous permettront de mieux faire face, en temps réel, à la prochaine épidémie éventuelle de corona et / ou à toute autre épidémie qui pourrait survenir.
Photos: Le Dr. Adi Stern (Crédit: Université de Tel-Aviv)