Je n’ai pas demande a naitre francophone, mais je le suis, j’en suis fier et heureux. Comment, des lors, peut-on me contester cette partie intrinsèque de mon identité culturelle ?
C’ est pourtant ce qu’ a fait la communauté francophone, qui ne reconnait ni mon existence, ni celle de 600 000 francophones (selon les pessimistes) ou d’un million (selon les optimistes) d’Israéliens.
Cette histoire se conjugue sur le mode de l’irrationnel depuis plus de vingt ans. En effet, après l’avènement des Sommets des chefs d’Etat et des gouvernements francophones en 1986, une volonté politique s’était faite jour et s’était concrétisée en 1997 par la nomination du Premier secrétaire général de la francophonie, porte-parole politique et de son représentant officiel.
C’était M. Boutrous Boutrous Ghali, dont l’histoire personnelle et le rôle important joué dans la conclusion des accords de Camp David laissèrent augurer un espoir. N’avait-il pas écrit dans son ouvrage Le Chemin de Jérusalem « Les Etats-nations ont besoin, comme tous les êtres humains, de vivre en société et détestent I ‘exclusion. L’isolement diplomatique venant des pays frères du monde arabe et islamique qui nous blesse. Pour la première fois, je comprenais la solitude que devaient ressentir les israéliens du fait de leur exclusion par les pays voisins. » En outre, il aimait a rappeler que « la francophonie reconnait d’emblée la pluralité et la complexité des identités culturelles ( … ]. Elle est respectueuse d’une gestion véritablement démocratique des relations internationales [ … ]. »
Mais hélas, durant tout son mandat, Monsieur Ghali admettra que son organisation était plus politique que culturelle. En fait, il faut reconnaitre que le processus d’Oslo permettra une certaine ouverture. Ainsi, à Tel Aviv, en 1993, lors d’une conférence au Centre culturel français, l’ambassadeur de France, Jean Louis Lucet, demande en public à Shimon Peres, le plus francophone et francophile des ministres israéliens des Affaires étrangères : « Il y a beaucoup de francophones en Israël et ces francophones me demandent toujours pourquoi Israël ne fait pas partie de I’ Association des pays francophones.
Comment voyez-vous les choses ? Une collaboration plus étroite d’Israël avec le mouvement francophone est-elle possible? »
« Si vous êtes prêts, nous sommes prêts », répondit en français du tac au tac Shimon Peres. C’est ainsi que, lors de son passage à Paris, quelques semaines plus tard, il demandera à l’ ambassadeur Yehuda Lancry d ‘entamer la procédure. Et Lancry de me confirmer : « J’ai immédiatement fait la démarche auprès de Madame l’ambassadeur de l’lle Maurice qui était la présidente à l’époque. »
Le dossier contenait tous les éléments qui devaient mener à l’admission d’ Israël. L’ambassade de France à Tel Aviv, sous les recommandations de Chirac et Juppé, préparent les états généraux de la langue française à Tel Aviv. Une enquête est menée, laquelle nous apprend que 22 % des Israéliens, ce qui repentait plus d’un million de personnes, possèdent une connaissance de la langue française; 5,2 % de la population déclarent en outre parler parfaitement le français. Ces pourcentages élevés faisaient de la communauté francophone israélienne une des plus importantes au monde, cela pour un pays qui n’est pas habituellement classé parmi les Etats francophones.
Qui sont-ils, ces francophones ? Nous apprenons que la moitié d’entre eux sont nés à l’étranger et pour l’ensemble leurs parents sont originaires du Maghreb (34 %), d’Europe de l’Est (26 %),
d’Europe de l’Ouest (5 %), d’Israël (11 %) et du Proche-Orient (9 %). Le portrait-type de ce francophone montre qu’il a entre vingt-cinq et quarante-cinq ans (la moyenne d’âge était plus élevée pour les personnes ayant une bonne connaissance du français) ; il habite Tel Aviv et ses environs, Jérusalem, Beer Sheva et le Sud; il possède généralement le baccalauréat et a souvent suivi des études universitaires; 11 jouit dans l’ ensemble de revenus moyens et élevés.
La francophonie est devenue un microcosme de la société israélienne, une passerelle entre les différentes perspectives culturelles : de la baguette – qui a supplante le pain traditionnel, la pita – au croissant, du succès des voitures françaises à l’engouement pour les chansons de Patricia Kaas et de Michel Jonas, des films de Matthieu Kassovitz a ceux de François Truffaut (l’ ambassade de France organise de puis plusieurs années un festival du film français dont le
succès va sans cesse grandissant); sans parler enfin du millier de livres traduits du français en hébreu : d’ Amine Malouf a Marguerite Duras, de Daniel Pennac à Fernand Braudel, d’Emmanuel Levinas a Albert Memmi.
Enfin, on constate que la France est pour les touristes israéliens la troisième destination et que, proportionnellement a la population, c’est avec Israël que les villes françaises ont conclu le plus d’accords de jumelage.
C’ est en mars 1995 que se clôturèrent les états généraux de la langue française, en présence du ministre français de la Culture et de la Francophonie, Monsieur Jacques Toubon qui déclarait : « Si tout se passe bien, l’admission d’Israël devrait être soumise au vote des pays membres, lors du prochain Sommet de la francophonie en décembre 1995, a Cotonou. »
Tout semble aller pour le mieux et Yehouda Lancry me confirme qu’en juin 1995, lors de Ia visite au Salon aéronautique du Bourget du Premier ministre Itzhak Rabin, le président Chirac lui promet de faire tout ce qui est en son pouvoir pour qu’Israël soit accepté. Quelque temps plus tard, la réponse définitive ne tarde pas a venir : «Nous ne pouvons rien faire tant que le Liban s’oppose a I ‘admission d’Israël. »
En effet, il faut se rappeler que l’une des règles de fonctionnement de I ‘Organisation de la francophonie est celle de I ‘unanimité, qui est incompréhensible et anachronique. Donner en effet a un seul pays – le Liban – le pouvoir de refuser l’admission d’un autre pays – Israël – présentant toutes les caractéristiques nécessaires, et qui constituerait un atout réel et majeur dans cette région du monde, c’est non seulement faire preuve d’une courte vue, mais
également oublier les leçons de I’ Histoire. Le « liberum veto» a, en son temps, perdu la Pologne et l’a faite disparaitre du reste du monde pendant cent vingt-trois ans. II est navrant et décevant de se rendre compte que cette législation ne gène aucun des Etats et aucun des gouvernements membres de la francophonie. La Jordanie a finalement accepté de s’ incliner, ce qu’aurait pu ou non faire le Liban en l’an 2000 ! Rappelons que la raison invoquée par le Liban était I ‘occupation israélienne du Sud de son territoire ; or, en mai 2000, le Premier ministre Ehoud Barak décide du retrait unilatéral du Liban. Le Conseil de Sécurité de l’ONU constate la mise en œuvre complète par les Israéliens des résolutions 425 et 426. On effet j’ imagine un changement de la position libanaise, mais on s’aperçoit que l’occupation n’était qu’un prétexte.
Que penser de ce parti pris constant, de cette hostilité à Israël, contraire a l’esprit de Montesquieu ?
Si l’on venait a compter le pourcentage de députés et d’élus francophones dans les différents
pays de la francophonie, on serait surpris de découvrir qu’Israël est parmi les premiers. Dans aucun autre pays, Bourdieu, Derrida et Foucault n’ont autant de disciples et de lecteurs. Paris continue d’être plus que Londres ou New York l’atelier de maturation des meilleures vocations littéraires et artistiques. Alors pourquoi refuser d’offrir cette extraordinaire opportunité
de faire valoir ces racines francophones à une population qui risque de les oublier dans une génération? Quel espoir peut-il y avoir pour ce véritable vivier de perdurer, alors que l’anglais vient immanquablement occuper le terrain perdu, continuant ainsi a nous renvoyer définitivement dans le monde anglo-saxon ?
Cependant, une ère nouvelle semble avoir vu le jour depuis 2002 avec l’élection de M. Abdou Diouf comme secrétaire général de 1’0rganisation. L’ancien président du Sénégal, homme
de paix et de dialogue, a affirmé publiquement sa volonte de changer la situation et a amorcer une démarche positive en intégrant Israël dans un certain nombre de commissions universitaire et économique.
Enfin à la veille des élections présidentielles françaises de mai 2007, les principaux candidats ont signe un appel en faveur de l’entrée d’Israël dans l’Organisation internationale de la francophonie. (rappelons que le budget de cette institution est couvert a près de 80 % par la France). Un pan de la langue de bois a implose ou, comme j’aime a le répéter, « la francophonie est devenue une idée neuve en France ».
Le président Sarkozy, s’il tient sa promesse, pourra contribuer à ce que la France joue un rôle original et retrouve, en partie ou en totalité, l’influence qu’elle n’aurait jamais du perdre.
En conclusion, j’écrirai comme Vladimir Jankélévitch: «il faut commencer par le commence-ment et le commencement de tout c’est le courage. » A tous ceux qui diront« ce n’est pas le moment », il faut répondre « en Histoire ce n’est jamais le moment». Il va sans dire que cela rendra possible un dialogue des cultures d’Orient et d’Occident, du Nord et du Sud, et contribuera à un dialogue judéo-arabe plus fécond.
Je crois que j’aurais renoncé à mon interpellation – moi à qui la France avait fini par faire croire que mes ancêtres étaient des Gaulois -, s’il se trouvait un autre pays lésé par une telle décision.
Le débat autour de la francophonie – qui est pour nous autres Israéliens une véritable aventure spirituelle – est assure d’une longue histoire et ce sera une chance et un gage de fécondité pour la francophonie.
Claude SITBON