Au cœur de l’explosion du Covid-19, des bénéfices se font ressentir. Sophie Swaton, experte de l’environnement, nous en dit plus.
Alors que la quasi-totalité de la planète est aujourd’hui confinée en raison de la pandémie, la baisse de l’activité humaine est à l’origine de quelques effets salutaires. En premier lieu une diminution drastique de la pollution, mais aussi une nature qui reprend ses droits, entre les eaux soudainement transparentes des canaux de Venise, les dauphins de retour dans le port de Cagliari ou ce puma aperçu dans les rues de Santiago. Et ce ne sont pas les seuls bienfaits observés. Sophie Swaton, maître d’enseignement et de recherche à la faculté des géosciences et de l’environnement de l’UNIL, nous dresse le bilan de la situation.
– Le coronavirus: mauvais pour l’homme mais bon pour la planète… On pourrait résumer la situation ainsi ?
– Si on se penche sur la question du climat et de la pollution, entre l’arrêt d’une activité économique et celle du trafic aérien, on constate des effets immédiats, notamment sur ces images de la Chine, prise par la NASA, qui ont beaucoup circulé. Mais ce qu’on réalise aussi c’est qu’on ne peut pas séparer la problématique sanitaire de l’écologie. Il y a quelques années, quand nous parlions de collapsologie (ndlr: courant de pensée qui étudie les risques d’un effondrement de la civilisation industrielle et ce qui pourrait succéder à la société actuelle) face aux climatosceptiques, les politiques nous regardaient de travers en argumentant que l’effondrement était encore loin… Aujourd’hui, avec le virus, tout le monde se sent concerné. Et ça c’est positif! Ecologie ou pandémie: même combat! Pour moi, c’est fondamental: le Covid-19 permet de prendre conscience de l’ampleur de la crise écologique actuelle.
– Certains craignaient que la pandémie éclipse l’écologie. Vous dites le contraire…
– Absolument. Les spécialistes nous expliquent que la destruction des écosystèmes, au-delà du réchauffement climatique, participe notamment à la prolifération des insectes ravageurs et des agents pathogènes… Mais on craint aujourd’hui que cette crise associée à la pandémie actuelle fasse par exemple doubler le chikungunya. Je ne veux pas faire peur aux gens mais il s’agit d’identifier de manière concrète la situation et d’envisager comment mieux se protéger à l’avenir.
– Entre l’arrêt des usines, les transports paralysés… Les émissions de CO2 ont-elles considérablement diminué?
– Oui, bien sûr. Même s’il est difficile de s’en réjouir à 100% compte tenu des circonstances. Après, je vois aussi du positif dans la concertation des acteurs politiques. Il y a cette idée de quand on veut, on peut. Ce qui paraissait impossible à l’échelle du climat semble aujourd’hui envisageable quand on voit les 5000 milliards de dollars que le G20 va débloquer pour relancer l’économie. Des chiffres qui donnent le tournis. Alors si on arrive maintenant à prendre conscience que la santé est liée au climat, parce que c’est finalement ce qui est en jeu dans la lutte contre le réchauffement climatique et la destruction du vivant, on peut espérer une partie de cette somme pour soutenir l’économie durable.
– On a vu ces vidéos des canaux de Venise avec une eau devenue clair comme de l’eau de roche ou ces dauphins revenir dans un port de Sardaigne…
Le changement peut-il être aussi rapide et radical après cette baisse soudaine de pollution?
– C’est compliqué… Après Fukushima, on disait que plus jamais la nature n’y reviendrait. Et puis oui. Je pense qu’on oublie quelque fois la résilience du vivant. En même temps, il faut savoir que le carbone stocké dans l’atmosphère est dû à nos émissions d’il y a 40 ans. Il y a un décalage entre ce qu’on perçoit aujourd’hui et le moment où ces pollutions ont été émises. Si on se mettait aujourd’hui à hiberner en arrêtant toute activité économique, on aurait quand même une augmentation de près de 2° de la température en 2040. Quels que soient les efforts fournis, on ne va pas pouvoir en bénéficier immédiatement. Mais en ce sens, le virus est pour moi une opportunité inouïe pour imaginer comment mettre nos moyens au service d’une société meilleure, repenser nos modèles économiques à la fois sur le court et le long terme. Regardez ces réseaux de solidarité qui se sont développés envers les plus démunis: c’est magnifique! L’idée est maintenant de voir comment valoriser ces activités jusqu’ici laissées de côté. Les cartes sont rebattues.
– Y a-t-il d’autres remèdes envisageables?
– Il va surtout falloir éviter le retour au «comme avant», éviter de continuer à produire tout et n’importe quoi, à autoriser des pesticides dans l’agriculture, à soutenir l’énergie fossile… Mais des mesures ont déjà été proposées pour changer de direction.
– La crainte, c’est de voir l’environnement passer au second plan une fois la crise maîtrisée, lorsqu’il s’agira de relancer l’économie? Et les entreprises se mettre à redoubler d’efforts pour rattraper le retard pris en début d’année, c’est bien ça?
– Exactement. Mais les enquêtes d’opinion nous indiquent que partout en Europe les gens sont prêts à payer un peu plus pour s’assurer un développement durable dans le long terme. L’Etat doit maintenant se réveiller et arrêter de dissociez le climat de l’économie: la crise sanitaire pourrait très bien être une conséquence du réchauffement climatique. On sait que la fonte des glaces dans les latitudes nord pourrait libérer des virus. Personne n’a envie de ça.
– Revers de la médaille, l’explosion du streaming? En 2019, le streaming vidéo seul a représenté 300 millions de tonnes de CO2, soit l’équivalent annuel des rejets d’un pays comme l’Espagne. Aujourd’hui, on parle d’une augmentation du trafic internet de 50% selon certaines entreprises françaises, de 70% du côté de Telecom Italia…
– Oui, espérons que ça nous permette de prendre conscience que nos ressources naturelles, alimentaires et énergétiques sont limitées. On a par exemple beaucoup parlé de la pollution engendrée par le nombre impressionnant de vidéos de chat, de ce que leur stockage dans les data centers du monde entier engendrerait comme émission de C02. Si le fait d’effacer ces séquences permettait de relancer l’économie d’un pays à l’autre bout du monde, pourquoi ne pas s’en débarrasser?
– Sauf que ces vidéos peuvent aussi avoir une fonction d’apaisement, de relaxation…
– Bien sûr… Mais vous soulevez là une problématique essentielle: la transition intérieure, soit tout ce qui touche au bien être, à notre intériorité. Voilà un autre aspect positif de la crise: en étant confiné chez nous, nous voilà forcés à nous interroger sur notre bien-être, réfléchir à l’émotionnel, souvent tabou dans notre société. Ça veut dire redécouvrir la vie: les bons et mauvais côtés avec ses enfants, avec son mari, son couple… Y aura-t-il plus de divorces que de baby-booms dans quelques mois? La question reste en suspens.
– Quels outils avons-nous à disposition pour nous sentir mieux face aux horreurs annoncées dans les médias?
– Plutôt que de regarder des vidéos de chat, il existe des groupes de discussions, des méthodes comme les conversations carbone ou les TQR, «travail qui relie», pour nous reconnecter en tant qu’êtres humains… Il faut que les gens prennent conscience de leur valeur. On a besoin de se marrer, de pleurer, de parler, de partager nos peurs et nos angoisses, choses que notre modèle économique actuel, en nous vendant la compétitivité à tout prix, ne nous permet plus vraiment de faire. Là, avec l’apparition du télétravail, et avec les formidables espaces de communication que la crise a créée, ça devient intéressant. Votre entreprise vous proposera peut-être dorénavant de travailler à la maison une journée ou deux. C’est cet épanouissent individuel qui doit maintenant être à la base d’un nouveau modèle économique et sociétal.
– La crise va-t-elle avoir une influence dans vos rapports humain, sur la façon dont vous donnez vos cours à l’UNIL?
– Complètement. Dans l’enseignement, on a vu se développer des créativités incroyables. Il ne faut pas sous-estimer cet aspect de l’être humain. On s’était, je crois, un peu endormi de ce côté-là et peut-être qu’avec moins de moyens on s’en sortira mieux… De mon côté, j’étais en plein burn-out en décembre dernier. La crise m’a donc offert un ralentissement forcé salutaire et plus jamais je ne voudrais retomber dans la situation d’avant. Là, j’ai apprécié de pouvoir prendre le temps de parler avec vous, mais aussi de me remettre à lire au quotidien, de maintenant passer par le parc – loin des autres! – en faisant les courses… Je n’ai jamais autant senti qu’en ce moment l’importance des liens, la nécessité de me retrouver et de me connecter aussi bien aux autres qu’à moi-même. Et ça, j’ai envie de le privilégier pour la suite. On est à un moment charnière: la question est maintenant de savoir si on va arriver à faire en sorte que ces quelques points positifs – moins de pollution, plus de bien-être, des liens renforcés – soient maintenus une fois la crise maîtrisée. Il s’agit aussi de réfléchir à ce dont on pourrait se passer. Des vidéos de chat à la surproduction textile… Si demain on avait moins de choix de jeans, je pense que la planète s’en relèverait.
Christophe Pinol – Sophie Swaton, experte de l’environnement – 29.03.2020
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