Justice pour la musique mizrahi

L’exposition Zamar boded hou halev au musée d’Art moderne d’Ashdod s’est donné pour mission de réparer cette injustice. Son commissaire, Eran Litvin, fait partie de ces artistes qui s’investissent énormément pour faire connaître la musique mizrahi et lui permettre de gagner les cœurs.

Le succès grandissant que rencontre ce genre musical depuis une vingtaine d’années prouve que les clivages ethniques ont fait leur temps. « J’ai commencé à m’intéresser à la musique mizrahi à l’âge de 11 ans », explique Eran Litvin, qui travaille également comme monteur musique pour la station de radio Kan Guimel. « A l’époque, à Kfar Saba, ce style était absent des magasins de disques, simplement parce que les gens étaient en grande majorité ashkénazes. »

Ce qui se passait sur la scène musicale reflétait assez bien l’ostracisme ambiant qui régnait alors dans le pays. « A l’image des Séfarades qui ont été maltraités, les artistes mizrahi ont été écartés des émissions télévisées et radiophoniques. Or, nombre d’Ashkénazes comme moi ont été frustrés par cet état de fait. On nous a privés de cette musique quand on était mômes. Et on ne savait même pas ce qu’on ratait. Je veux combler ce manque, toute cette super-musique à côté de laquelle on est passé, et je veux en faire profiter les autres », explique-t-il.

L’exposition, qui s’étend sur les trois étages du musée, est grandement enrichie par la collection privée de vinyles et cassettes audio de Litvin, qui compte plusieurs milliers de disques. Zamar boded hou halev se présente donc comme la rétrospective la plus complète à ce jour concernant ce genre musical.
Cette exposition est un véritable plaisir pour les yeux. Les pochettes de disques retracent l’histoire et l’évolution de la musique composée et interprétée par ces Israéliens originaires de pays musulmans du Maghreb et du Moyen-Orient, du Maroc à l’Irak. On peut presque sentir l’odeur des vieux vinyles conservés avec amour, et entendre les sons d’une joyeuse surprise-partie ou d’un bœuf entre musiciens.La rétrospective d’Ashdod se veut aussi exhaustive que possible. « Nous exposons des reliques authentiques, comme des instruments ayant appartenu à ces musiciens disparus, que leurs familles nous ont prêtés », se réjouit Litvin. Tous ces objets côtoient de véritables œuvres d’art. On peut admirer notamment un portrait impressionnant de la superstar de ce genre musical, le chanteur Zohar Argov représenté par l’artiste Uri Lifshitz. Ou cette photographie provocante du chanteur populaire Shlomi Saranga, interprète de chansons traditionnelles en hébreu et en grec. « Mon idée était aussi de faire venir le plus de monde au musée, même des gens qui n’ont pas l’habitude d’y aller, et leur donner la chance d’admirer aussi ses œuvres. »

Y a-t-il une volonté didactique derrière tout cela ? « Je ne pense pas que le but de l’exposition soit d’éduquer le public », précise Litvin, «il s’agit plutôt de lui montrer cette richesse à côté de laquelle nous sommes passés pendant toutes ces années. »

Melting-pot culturel

L’exposition jette également un éclairage sur les différentes couleurs qui composent la musique mizrahi. « Les gens mélangent tout », observe le commissaire. « Ils confondent la musique irakienne, kurde et perse. Chaque culture a sa facture musicale propre. Toutes ces créations ont chacune une particularité qui fait leur originalité. »
La rétrospective du musée d’Ashdod est aussi le reflet d’une époque en Israël. « Tous ceux qui passaient par les quartiers populaires dans les années 1980 autour de la gare routière de Tel-Aviv, ont entendu ces chanteurs. Les stands de falafels, étals de fruits et légumes, échoppes et magasins qui vendaient du maquillage, des vêtements et des jouets, résonnaient des chansons de Zohar Argov, Haim Moshe et Boaz Sharabi, à un niveau de décibels impressionnant. On écoutait aussi Shimi Tavori, Jackie Mekaiten et la célèbre Ofra Haza, devenue une star mondiale dans les années 1980, suite à la sortie du remix disco de son album de chansons yéménites.

Litvin a tout compilé : des chanteurs qui n’ont connu que le succès populaire de la rue, comme Mekaiten et Sharabi, à ceux qui ont eu une réussite commerciale comme la diva yéménite Shoshana Damari. Dans le domaine de la musique classique arabe locale, beaucoup de ceux qui sont restés marginaux en Israël avaient été, avant leur aliya, des stars dans leur pays d’origine. Après avoir gagné la Terre promise, et connu la célébrité en Irak, en Egypte ou ailleurs, nombre de ces artistes sont tombés dans l’oubli. Leur talent est resté méconnu et injustement méprisé. On leur reprochait principalement de véhiculer l’arabe, considéré comme la langue de l’ennemi.

A voir également également, la belle collection de clichés artistiques réalisés par Micha Simhon, célèbre pour ses portraits de stars du monde de la musique arabe classique, dont le flûtiste Albert Suissa, le violoniste Felix Mizrahi et les joueurs de oud, Elias Sassa et Ezra Aharon, qui ont fondé l’ensemble musical de la radio Kol Israël (la Voix d’Israël). Ou encore le portrait d’Albert Mugrabi, né en Egypte, mieux connu sous son pseudonyme professionnel de Filfel El-Masri.
L’exposition ouvre sur un trait d’humour, sous la forme d’un clip vidéo du roi de la guitare électrique Yehuda Keisar, âgé de 63 ans, qui revisite une Hatikva en lui donnant une sonorité mizrahi assez décoiffante et pour le moins originale. En l’entendant, on ne peut s’empêcher de penser à Hendrix et son tube The Star Spangled Banner (La bannière étoilée) qui a marqué Woodstock en 1969. Et ce n’est pas Litvin qui démentira cette parenté musicale.

De l’ombre au firmament

La visite suit un ordre chronologique. Elle commence dans les années 1950, avec le chanteur marocain à succès, Jo Amar, l’un des rares à l’époque à attirer aussi un public ashkénaze. Le point d’orgue de cette rétrospective est le tournant opéré en 1997, date à laquelle la musique mizrahi a obtenu la reconnaissance du public et conquis ses lettres de noblesse. Cette année-là, Eyal Golan et Sarit Haddad ont été respectivement élus chanteur et chanteuse de l’année. Le genre avait gagné sa place au soleil. A partir de ce moment, la musique mizrahi a inondé les talk-shows et les radios. « C’était énorme car il faut savoir qu’à mes débuts à Kol Israël, personne ne connaissait ce style. C’était l’époque où Eyal Golan commençait sa carrière avec son groupe Ethnix. Il n’y avait aucun disque disponible, ni documentation, rien du tout », relate Litvin. Il aura donc fallu 50 ans à cette musique pour percer, mais elle a finalement réussi à s’imposer.

Zamar boded hou halev offre un voyage fascinant, à la fois visuel, auditif, cérébral et émotionnel. Avec une mention spéciale pour ses clips documentaires très divertissants, tel celui sur un magasin de disques situé sur la place de la Tour de l’Horloge, à l’entrée nord de Yaffo. La boutique est encore tenue par les deux frères Azoulai, qui l’ont fondée dans les années 1950. Ces derniers s’étaient en effet rendu compte que des milliers d’Israéliens, fans de disques vinyles, peinaient à trouver des enregistrements d’artistes comme la diva égyptienne Oum Kalsoum, Sallah et Daoud el-Kuwaiti, le grand-père du rocker Dudu Tasa. Les frères disquaires ont donc progressivement accumulé une bonne collection des œuvres de ces artistes et ont même monté leur propre studio d’enregistrement, qu’ils ont appelé Koliphone.

Bien qu’assez rudimentaire, il est à l’origine de ces enregistrements originaux sur cassettes qui ont suppléé à la pénurie de disques de ces artistes, et alimenté un marché parallèle qui a pu contourner le monopole des maisons de disques occidentales qui dominaient le marché. En diffusant la musique mizrahi, Koliphone a permis de la faire connaître plus largement.

Jusqu’au 14 octobre 2017.
www.ashdodartmuseum.org.il
08 854 51 80 ou 08 854 51 81

 http://www.jpost.com

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