Nous avons déjà évoqué les fiançailles et les mariages à Alger et, pour les « miloth » ou circoncisions il n’y avait pas, à mon souvenir de coutumes spéciales sinon qu’avant la « brith », la veille au soir, les messieurs se réunissaient pour lire des textes du zohar et le lendemain, vers midi, les invités composés de la famille du couple de parents, amis, voisins ou relations simples se pressaient autour de la chaise du « Prophète Elie ». Le Mohel installait sur une petite table d’appoint tous ses ustensiles : la plaque d’argent qui servirait à la circoncision et le « bistouri » puis, un ravier avec un peu de sable qui servirait à recueillir le prépuce coupé et le sang aspiré de la brith, la coupe à kidoush, les aromates, les gazes pour panser la petite plaie, et une petite fiole contenant de la poudre de couleur jaune au pouvoir désinfectant et cicatrisant – ce n’était en fait que du curcuma qui est aujourd’hui si prisé pour ses valeurs cicatrisantes et anti oxydantes.
En général, l’une des deux grand-mères avait pour tâche de préparer une « sucette » pour le jeune bébé : dans deux morceaux de gaze –compresses stérilisées – on mettait un petit morceau de biscuit de Savoie imbibé d’eau de fleurs d’oranger dont les vertus apaisantes ne sont plus à prouver. Après la circoncision, le nouveau-né vagissant, le mohel trempait son doigt dans la coupe à kidoush pour donner une petite goutte de vin au bébé pour endormir le bébé et puis on lui donnait la sucette qu’il tétait goulument pour se calmer puis on menait le bébé à sa maman afin qu’elle puisse le nourrir et le serrer sur son cœur pour apaiser la douleur et le désarroi dans lequel il se trouvait.
la chaise de Eliahou HaNavi
A cette époque, on ne servait pas à table pour une brith on offrait à l’assistance, ce qui était considéré comme « très chic » : une « assiette anglaise ». Il s’agissait d’assiettes en porcelaine – le concept des assiettes à jeter n’existait pas encore – que l’on remplissait généralement avec un petit pain maison, un « bestel » ou pastel à la viande ou aux pommes de terre, une barquette remplie au thon ou un chou rempli au thon à la mayonnaise, et une autre barquette remplie de salade cuite ou tchoutchouka à Alger, une tranche de « meguina », du saucisson et ou du poulet rôti , des salaisons comme ces magnifiques olives vertes énormes et si savoureuses que l’on trouvait à Alger, de la viande froide ou du poulet etc…. puis, sur des plateaux d’argent ou en autre matière étaient rangées des pâtisseries telles que biscuits, cigares aux amandes et au miel, et bien d’autres friandises.
ustensiles de brith mila
A cette époque, le whisky n’avait pas encore signalé son apparition bien que chez nos frères marocains cet alcool coulait aussi abondamment que la mahiya. Chez nous, l’anisette Phénix des distilleries Phénix (Kanouï et Lashkar) recueillait la faveur mais l’anisette Crystal était beaucoup consommée aussi à l’époque ainsi que le Martini et le Cinzano et, beaucoup de gens ignoraient que ces apéritifs étaient fabriqués à partir de vins ! ….
Le rachat du 1er né se déroulait de manière sensiblement semblable. En revanche, les choses étaient traitées de façon tout-à-fait différente dès lors qu’il s’agissait de la naissance d’une fille où les heureux parents ne saluaient la naissance d’une fille que d’un simple « apéritif » dans la famille ou maximum avec certains voisins.
Lorsque le garçon dont on avait célébré la naissance atteignait l’âge de neuf ou dix ans, dans les familles « religieuses », le garçon était inscrit à « l’alliance ». Il est nécessaire ici d’ouvrir une brève parenthèse : lorsque la France était présente dans un pays tel que la Turquie, l’Irak, la Syrie, l’Iran…. Elle fondait des écoles réputées être d’un très bon niveau d’enseignement : les Ecoles de l’Alliance Française à différencier de l’Alliance Israélite Universelle mais, les uns comme les autres, qui avaient inscrit leurs enfants dans ces établissements, disaient que ceux-ci étudiaient à « l’Alliance ». La différence est qu’à l’Alliance Israélite Universelle, on enseignait aux enfants un peu ce que l’on enseigne à présent dans les classes du Talmud Torah, c’est ainsi que mon Père avait appris par cœur toutes les prières usuelles, le kiddoush du shabbat et des fêtes, la Haggadah de Pessah (qu’il récitait le soir de Pessah plus qu’il ne la lisait) et certaines halakhot, on y apprenait ce qui était lié au talith et aux tefiline et ce qu’un Juif était tenu de savoir sur le shabbat, le kaddish, etc………….Cependant, deux fois par an, pour Hanouka et un peu avant Pessah, les enfants provenant de familles nécessiteuses recevaient outre quelques gâteries dans un grand sachet, des bons pour un manteau – en hiver – et des chaussures tant en hiver qu’en été et selon les disponibilités financières, en hiver, ils avaient aussi parfois droit à une couverture.
Le futur bar mitsva allait donc le jeudi matin et le dimanche matin (par la suite ce fut changé pour les mercredis et dimanches matins) au Talmud Torah pour y apprendre la base de l’enseignement juif, certaines familles pouvaient se permettre de prendre un répétiteur qui venait à domicile quelques mois avant la Bar Mitsva pour faire apprendre au jeune garçon les signes de cantillation d’un paragraphe de la parasha de la semaine où serait célébrée cette entrée dans le monde des adultes qu’est la montée à la Torah du Bar Mitsva. Parallèlement ce qui préoccupait d’avantage les parents étaient les festivités qui se devaient d’entourer cette étape de la vie.
En effet, ce passage à l’âge de 13 ans de jeune adolescent à un état de religieusement responsable se devait d’être fêté : la date fixée depuis un certain temps avec le rabbin de la synagogue, et le répétiteur, les parents dressaient une liste d’invités devant être conviés à chacune des réceptions qui se déroulaient ainsi : si la montée à la Torah était fixée au jeudi matin (plus commode à cause de l’interruption scolaire hebdomadaire), le mercredi en fin d’après-midi un coiffeur se rendait au domicile de la famille (parfois avec des apprentis coiffeurs pour l’aider dans sa tâche) pour y procéder à « la coupe de cheveux » du bar mitsva et de ses frères et des cousins et meilleurs amis. Puis, en général, on demandait –selon les moyens de la famille – à un chanteur connu ou simplement à une relation connaissant quelques chansons en judéo-arabe de réjouir l’assistance avec des chants judéo-andalous et un repas festif et évidemment le henné pour tous les jeunes-gens devait présager d’une vie heureuse et longue. Mon père avait pour ami le chanteur Lili (diminutif de Elie/Eliahou) Laabassi, qui avait honoré l’auditoire de deux ou trois chansons. Je me souviens de l’une d’elle car nous avions un disque qui était à portée de ma main (car, à l’époque j’étais une toute petite fille) et que je plaçais souvent sur le tourne disque et qui s’intitulait « fakôubikofakôubiya » le second disque était une marche indienne sur laquelle j’inventais des pas.
Le lendemain matin, très tôt car, apparemment on priait au « netz » (au lever du soleil) les membres de la famille habillés avec soin et le bar mitsva vêtu de son premier costume, entouré de ses amis, se dirigeaient en cortège vers la synagogue réservée à cette occasion. Un violoniste égrenant des mélodies andalouses accompagnait le cortège. Dans un sac en velours bordeaux (en général) entièrement brodé au fil d’or, se détachaient les initiales du bar Mitsva. Ce sac avait en général la forme d’une lyre. C’était le sac dans lequel on plaçait le talith et, à l’intérieur du sac doublé de satin bordeaux, se trouvait une pochette fermée par une coulisse en cordelière de même coloris pour y glisser les tefiline. A l’époque, on ne se servait guère que de talitoth en soie à rayures bleues. Et, souvent l’on faisait broder au centre du Talith les initiales du Bar Mitsva entourées de fioritures.
sac à talith
Une jeune-fille était chargée d’un aspersoir en argent généralement dans lequel avait été versée de l’eau de fleurs d’oranger ou d’eau de Cologne – le symbole étant que rien ne peut être aussi odorant et agréable que la Torah et, lorsque le Bar Mitsva apparaîtrait tenant en ses bras pour la première fois le Sefer Torah, les grands-mères ainsi que les autres femmes de la famille rivaliseraient de youyous tout en aspergeant l’assistance de gouttes d’eau de fleurs d’oranger.
Après que la lecture de la Torah ait été faite, une jeune enfant pourvue d’une coupe à dragées se faufilait entre les rangs pour distribuer des dragées aux fidèles.
L’office terminé, tous les invités étaient priés de se rendre au domicile de la famille. Généralement chaque immeuble, à Alger, possédait une terrasse que l’on louait à l’occasion d’évènements exceptionnels. En été, la terrasse était bâchée de façon à mettre les commensaux à l’abri de l’ardeur des rayons du soleil. Le petit-déjeuner –pour l’heure, un véritable et succulent chocolat – serait servi aux enfants et à tous ceux qui le désirerait accompagné de pâtisseries. Puis, les enfants jouaient, chantaient et piaillaient.
Vers 13 heures, un plantureux repas était servi agrémenté par le jeu d’un clown ou d’un serveur réputé par sa drôlerie. Les plus jeunes invités étaient « chargés » d’entraîner le nouvel adulte à fumer sa première cigarette pour prouver en quelque sorte qu’il n’était plus un enfant. C’est aussi à cette occasion qu’il recevait sa première montre, son premier rasoir….. Le soir de ce même jour chargé en émotions les parents du héros du jour recevaient leurs autres relations et membres de toute la famille.
Pour le shabbat de la Bar Mitsva, il était nécessaire de prévenir le boulanger une ou deux semaines à l’avance étant donné que lui seraient confiées de nombreuses marmites contenant la tefina. Chez nous, mes parents disposaient d’un véritable « kanoun[1] » qu’avait confectionné mon arrière-grand-père mais, pour une bar mitsva où seraient invités de nombreux parents, le kanoun ne suffirait pas.
A Bab-El Oued, notre boulanger se nommait Nekrouf. Il était au courant des coutumes juives car chaque semaine, des enfants, en général, venaient apporter la marmite avant la tombée du shabbat et la reprenaient le shabbat à midi. Le vendredi on payait une somme dérisoire. Chaque famille avait son système de marquage pour distinguer sa marmite de celle des autres. Le couvercle de la marmite était généralement scellé par une sorte de lut fait à base de farine et d’eau. Les ouvriers boulangers à l’aide de leurs pelles en bois à long manche rapprochaient ou éloignaient les marmites dans le four selon les besoins. Les marmites étant assez lourdes par elles-mêmes, en dehors du poids du contenu, deux enfants suffisaient à peine à traîner ces marmites brûlantes déposées dans de grands couffins de paille tressée. Je me souviens de la Bar Mitsva de mon frère où Nekrouf nous avait fait livrer nos marmites par des apprentis boulangers….
Dans chaque marmite avaient été disposés tous les ingrédients de la tefina de manière à ce que si, par hasard, se perdait une marmite ou que l’une d’entre elles ne brûlât, toute la tefina serait entière ainsi, l’hôtesse avait rangé dans le récipient : épinards, pommes de terre, œufs durs, pois chiches, pied de veau, viande de paleron et saucisse de viande dans laquelle avaient été mélangés savamment de la viande hachée, avec des grains de riz, de la menthe séchée et réduite en poudre, des amandes grillées ou des pistaches grillées et décortiquées bien entendu, quelques pétales de roses séchées, et autres épices mais parfois, les belles tranches comportaient en leur centre une rondelle d’œuf dur. Le tout était proposé avec du riz légèrement coloré au safran.
Les pâtisseries fines aux amandes et au miel apportaient toujours la si délicieuse touche finale….
Et puis, ainsi va la vie, de bonheur et de joies, parsemée pour la plupart du temps, mais, à la fin de chaque banquet, il faut partir…………… (le plus tard possible, jusqu’à 120 ans)
La halakha fixe une durée de deuil selon les degrés de parenté : pour les parents le deuil est de un an (onze mois + 1) alors que pour les autres degrés de proche parenté (fratrie, enfants et conjoints) il est d’un mois. A Alger, existent des coutumes que je n’ai vues nulle part ailleurs : lors de la première année des azguir (azkara) à un mois, trois mois, et certains ajoutent à six mois et neuf mois et pour tous, à un an.
Les azkaroth se font en général dans un domicile où après l’office du soir on servait un café noir et un sachet de cellophane contenant un gâteau sec (bracelet aux anis ou sans) des cacahuètes, des amandes ou des dattes, et, parfois, selon la saison une petite banane ou une clémentine ce qui en fait regroupait toutes les berakhot que l’on demandait de faire à la mémoire du disparu : mezonot, perihaets et perihaadama et shéhakol avec le café.
Lorsque le défunt avait dépassé les 90 ans, ses enfants, après la première année,organisaient une ziara (petite soirée) avec « musique arabe » au cours de laquelle il était rendu grâce au Créateur d’avoir permis au disparu de vivre si longtemps.
Que D fasse que nous puissions tous jouir d’une excellente santé et d’une longue vie !!!
Caroline Elishéva REBOUH
[1] Réchaud à charbon en général dans lequel la tefina cuisait sur des braises.