1940. Paris, ville occupée. Et si, dans le flot des bombardements, la guerre emportait La Vénus de Milo, La Joconde, Le Radeau de La Méduse ? Que deviendrait Paris sans son Louvre ?
Deux hommes que tout semble opposer – Jacques Jaujard, directeur du Louvre, et le Comte Franz Wolff-Metternich, nommé à la tête de la commission allemande pour la protection des œuvres d’art en France – s’allient pour préserver les trésors du Musée. Au fil du récit de cette histoire méconnue et d’une méditation humaniste sur l’art, le pouvoir et la civilisation, Alexandre Sokourov nous livre son portrait du Louvre.
Francofonia, un «récit-fiction», selon l’expression du grand cinéaste russe, sur le sujet historique des œuvres du Louvre sous l’Occupation. La confrontation entre Jacques Jaujard, interprété par Louis-Do de Lencquesaing, et Metternich (Benjamin Utzerath) est marquée à la fois par l’opposition du vaincu et du vainqueur, et par les affinités de deux hommes de même sensibilité profonde à l’art, qui se vouent également à la sauvegarde de la beauté. Comme Jaujard, Metternich a caché des œuvres d’art, en Rhénanie, pour les mettre à l’abri de la guerre et des pillages. «Ces deux hommes sont les deux faces de la même vie, de la même médaille…», entendra-t-on dans le film.
Francofonia, le Louvre sous l’Occupation
Des décors naturels
Alexandre Sokourov, qui a parcouru en visionnaire le Musée de l’Ermitage dans L’Arche russe, est comme chez lui, au Louvre. Toute son œuvre est nourrie de peinture, de sculpture, de musique, de littérature. «Je ne me considère pas comme un auteur de films accompli, simplement comme un élève, dit-il. Seul un peintre, un compositeur, un écrivain peut m’enseigner.»
Quelques jours plus tard, on retrouve Metternich arrivant au château de Sourches, dans la Sarthe, accueilli par le conservateur en chef, Germain Bazin (joué par le poète Jean-Claude Caër). Un décor naturel authentique: la magnifique demeure du XVIIe siècle a été un dépôt important, abritant dans ses vastes caves non seulement des œuvres monumentales du Louvre comme Le Radeau de la Méduse, mais aussi les collections privées de David-Weill et Beistegui, et la tapisserie de la reine Mathilde, très convoitée par les nazis.
Le propriétaire de Sourches a ouvert avec une grande hospitalité son domaine à l’équipe légère et précise de Sokourov, qui y fait surgir les échos d’un temps disparu. Des sentinelles allemandes patrouillent autour du secret des lieux. De grandes housses blanches noient le mobilier, quelques caisses (qui seront multipliées numériquement), encombrent la salle à manger lambrissée où Metternich et Germain Bazin consultent des papiers en prenant une tasse de café – le maître des lieux joue obligeamment les accessoiristes.
Une méditation qui dépasse le récit historique
Sokourov filme longuement les mains de Benjamin Utzerath, lui demande de les presser, de les malaxer. «Je travaille avec un acteur comme avec une vie sculptée, ou comme avec une sculpture vivante.» Du travail, il en sera fait beaucoup en postproduction, sur la bande-son et les effets numériques. Mais on devine déjà au tournage que Francofonia va vers une méditation qui dépasse le récit historique. On y rêvera sur le destin des civilisations et les violences de l’Histoire. Le fantôme de Napoléon est là pour rappeler que l’Europe a pu être prédatrice autant que gardienne. On y verra un navire pris dans la tempête. Faudra-t-il sacrifier les œuvres d’art qu’il contient pour sauver les passagers?
sources : Judaicine -Lefigaro.fr