De nombreux articles ont été écrits ces derniers jours au sujet des événements récents – l’assassinat de Shira Banki, une jeune âgée de 16 ans, lors de la Gay Pride à Jérusalem, et celui du petit bébé, Ali Saad Dawabsha, assassiné dans son sommeil, alors que des terroristes ont jeté des cocktails Molotov à l’intérieur de sa maison. Sa mère se trouve toujours dans un état grave, suspendue entre la vie et la mort.
Nulle est à l’abri : que ce soit dans les rues de la capitale, où à son propre domicile, la haine peut nous atteindre partout. Il est d’autant plus alarmant de voir que de nos jours, cette même haine pénètre facilement notre espace le plus personnel, à travers les réseaux sociaux, les blogs et les journaux en ligne. Car aujourd’hui, les lecteurs ont une place primordiale. La possibilité d’interagir en ligne leur donne un pouvoir qu’ils ne possédaient pas auparavant, dans les médias traditionnels.
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Je suis israélienne. Ma mère est d’origine française et mon père israélien. Je n’ai jamais vécu ailleurs qu’en Israël. Je « respire » la vie et les médias israéliens, et chaque jour je lis la violence qui s’abrite au sein de notre société, une violence qui n’a d’égale que celle qui régnait à l’époque de Rabin, lorsque ce dernier était représenté en keffieh ou en SS. A l’occasion du 20e anniversaire de son meurtre, les mêmes images resurgissent, cette fois-ci visant le Président Rivlin.
En bonne israélienne que je suis, je passe des heures perdues à lire tout ce qu’il y a à lire sur les événements dans notre pays. Je m’informe de tout, habituée sans doute depuis mon plus jeune âge à avoir une douzaine de journaux traînant dans le coin du salon.
Cette tâche, je me confis à vous, devient de plus en plus difficile. Les idées, non pas des auteurs, mais celles de milliers de lecteurs, sont visibles de tous, se logeant à leur tour dans mes pensées. Ces idées forment, entre autres, la femme que je suis et celle que je deviens.
On accuse Monsieur tout le monde, alors qu’on appartient à « tout le monde ». On pense porter la vérité absolue dans sa poche, et on est nourri par la haine d’autrui, pendant que l’on récite jour et nuit les versets bibliques de «Ahavat Hinam » (l’amour gratuit).
L’union de ce peuple, qui était autrefois sa fierté (sans avoir réellement exister dans son Histoire), se fait remarquer seulement lors des guerres contre l’Ennemi. Mais l’on réalise de plus en plus, que ce même ennemi est d’abord et avant tout, nous-même.
Pourtant, j’essaie de prendre du recul. Ma profession de psychothérapeute et de sociologue me permet de rationaliser cette hystérie nationale dont nous sommes tous, à un certain degré, atteints.
Et dans ce rationalisme, je rencontre d’autres logiques faites par certains, lors de leurs explications, justifications, ou même excuses de ces actes atroces.
On y trouve souvent des « mais » dans chaque paragraphe qui cherche à justifier ces actes indéfendables.
On y trouve, « Ces actes sont affreux ! Mais pourquoi défiler dans la ville sainte ? Pourquoi ne pas respecter les religieux ?! », où encore, « Quel pauvre bébé ! Mais rappelons-nous aussi de la famille Fuguele !».
Et sinon, il y a ceux qui s’indignent de ces mêmes actes, soulignant que « Ce n’est pas un Juif, ça ».
J’imagine que ce sont les mêmes personnes qui scandaient, lorsque les musulmans indignés tentaient de se désolidariser des actes perpétrés par Daesh, « Mais si ! Ça fait partie de l’Islam ! ».
Bienvenue au mécanisme de défense appelé « le clivage ». Une division de soi ou de l’autre, par deux réactions simultanées et opposées. En langage familier : « deux poids deux mesures », ce qui s’applique à l’égard de l’autre, ne s’applique pas à mon égard.
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Agnostique, je le dis à haute voix : la religion n’est pas la source du mal. Par contre l’être humain, qui se veut être son porte-parole et le seul titulaire de « la vérité absolue » devient source du mal. Sa rigueur, ses peurs, ses défenses, son ego, prétention et son appartenance à une idée insaisissable, sont aussi l’origine de la justification de l’injustifiable.
Au nom de tout et de rien, nous sommes prêts à faire presque n’importe quoi, tout en se disant plus moraux que les autres.
On trouve des « mais » à chaque événement, car seul ce « mais » nous apaisera, nous expliquera l’inexplicable, mettra de l’ordre dans ce bordel.
Avec grande humilité, je propose de laisser de côté ce besoin de tout expliquer et de tout justifier, même au prix de nos propres valeurs.
Je propose de mettre en veille nos convictions, et de revisiter les récits bibliques, les bases de nos dogmes ou autres, et admettre que parfois – personne n’a de réponses.
Car le cheminement dans lequel nous marchons aujourd’hui nous mène qu’à une seule destination : celle du déchirement total de nos croyances, de nos idéologies et de notre rapport à autrui.
Ça parait simpliste, aucun doute là-dessus, mais c’est bien plus difficile que ce que l’on pense.
« Ouvrir ses oreilles », comme l’on dit en Hébreu, et moins sa bouche !
Écouter.
Rester dans le Being (être), et non pas passer au Doing (faire). Ressentir cette douleur primaire qui nous envahit, et opprimer le besoin de réagir.
Surtout lorsque nous ne comprenons rien à l’affaire. Et bon gré mal gré, il est important de reconnaître que l’enjeu de certains sujets nous échappe complètement.
Nous ne saisissons pas la portée d’être un homosexuel dans une société orientée par sa religion, qui s’oppose à l’homosexualité.
Nous ne comprenons pas le vécu d’une personne appartenant à un peuple opprimé par un autre.
Nous avons oublié, bien trop facilement, la difficulté de vivre sous la délégitimation de notre droit à s’auto-définir comme peuple. Nous ignorons la dure réalité de certain(e)s de vivre sous une hégémonie militaire et machiste-cisgenre, ou celle d’être noir dans une société blanche.
Et si nous ne le comprenons pas, c’est surtout parce que nous sommes privilégiés – tout cela est invisible à nos yeux. Lorsque nous nous regardons dans le miroir, nous voyons un(e) homme/femme, et non pas un noir, un palestinien, un homosexuel.
A nous d’accepter et de comprendre que nous ne comprenons à peu près rien, mis-à-part notre propre vécu. A nous d’arrêter de parler au nom de l’autre, ou bien au nom de Dieu.
A nous d’acquérir un peu plus d’humilité.
Je ne demande pas de la tolérance – ça n’a jamais marché, même pas après la claque que nous avons reçu, lors de l’assassinat de notre Premier Ministre.
Nous sommes une société déchirée, détestée par les autres, mais aussi de l’intérieur. Je n’ai pas de réponse à ça, ni de solution à fournir. Mais je pense qu’on pourrait commencer déjà par un humble acte : fermer un peu plus souvent nos gueules.
Stephanie Kastel
Diplômée d’un PhD au sujet de la violence sexuelle, Stéphanie pratique sa profession de psychothérapeute en cabinet, et gère le service psychologique dans un campus de jeunes ados’ au centre d’Israël. Depuis cinq ans qu’elle fait du bénévolat au centre d’aide de victimes d’agression sexuelle, et forme ses nouveaux bénévoles et des groupes d’adolescents à ce sujet.