Les milieux les plus conscients du destin juif sont secoués par un dilemme existentiel profond quant à l’avenir et la continuité de la vie juive en France. C’est un phénomène social d’ampleur réelle qui fascine les médias et suscite angoisse, voire panique, pour certains milieux juifs, sermonnage grandiloquent pour l’environnement. On pense en général à la dimension de la sécurité comme facteur déterminant. Il est très réel, effectivement : si la France entière est sous la menace des islamistes français, les Juifs le sont plus particulièrement et sans aucun prétexte : ni caricaturistes, ni « à cause de Gaza » – ce que nous avions dit depuis 15 ans à l’opinion (qui nous avait accusé de racisme) – mais par pure haine religieuse, dont le retour cyclique dans l’histoire de l’islam est avéré par les historiens dignes de ce nom.
Face à cette haine délirante, toutes les armées du monde ne pourront pas protéger des civils paisibles sous peine d’une militarisation étouffante de leur existence. De fait, le dispositif de vigilance armée adopté par le pouvoir s’est vu maintenu. La question est de savoir ce qui se passera quand il cessera. Le caractère endémique de l’antijudaïsme dans le monde musulman ne cessera pas alors – et encore plus avec la prochaine guerre au Moyen Orient. Il se trouvera toujours dans la communauté musulmane française – malgré les efforts qu’elle pourra faire – des milieux activistes dormants pour s’en prendre aux Juifs comme tels. Je crois que les musulmans français ne se sont pas rendu compte de la situation, à voir les réactions de Dalil Boubakeur à la suite des remarques de Roger Cuckierman, qui n’a fait qu’énoncer des évidences sociologiques et policières. Et je dirais plus, la convocation des deux représentants par l’Elysée est encore plus inquiétante quant à la capacité de ce gouvernement de régler avec force la situation. Le projet pour l’islam qu’il a rendu public est de ce point de vue pathétique en matière de compréhension de la situation. C’est l’effet « pas d’amalgame » porté à l’extrême ! De ce point de vue là, il n’y a pas eu de changement de politique, si ce n’est la militarisation de la politique sécuritaire mais rien quant au fond du problème.
Cependant, le critère sécuritaire ne doit pas être le seul. Il faut laisser ouverte la possibilité que la situation sur ce plan là puisse changer. Le critère de la décision doit se hausser pour les individus au dessus du destin individuel, si tant est qu’être juif a un sens et une valeur. Il y a des raisons bien plus profondes qui posent la question du départ.
Pour le comprendre, il faut savoir que l’identité juive qui est la nôtre s’est forgée en France au lendemain de la guerre. Elle n’avait jamais existé auparavant et pour cause. Les Juifs étaient censés n’être que des individus de confession israélite. Or, sous Vichy, ils devinrent en droit et en pratique un « peuple étranger ». Revenir dans la citoyenneté n’était plus possible sans assumer cette réalité devenue évidente : le caractère collectif du destin juif. Au même moment se créait Israël qui donnait à ce destin une forme constructive et affirmative à laquelle les Juifs français s’identifièrent de plus en plus, seule conclusion réaliste de la leçon du XX° siècle.
C’est ce système existentiel qui est devenu aujourd’hui (depuis les années 1990) impossible en France. Un fait morphologique l’explique : la venue d’une puissante immigration du monde arabo-musulman qui, si elle ne suit pas la voie de l’assimilation, met en danger le modèle français et la place des Juifs en son sein. Le fantasme d’une « communauté de l’immigration » a déjà rendu possible l’accusation de communautarisme et d’infidélité à la République lancée aux Juifs depuis le début des années 1990, dépouillant la reconstruction juive d’après guerre de sa légitimité sociale, de sorte que l’on peut dire que l’identité communautaire n’est plus portée par la société.
Un fait idéologique de première importance s’y ajoute : l’antisionisme ambiant, vieux de plus de 20 ans, qui met en demeure les Juifs de se désolidariser d’Israël, au point que certains peuvent comparer l’Alya au départ pour le djihad. La « mémoire de la Shoah », c’est à dire la reconnaissance d’un destin juif collectif, certes, mais mort, s’est substituée à la reconnaissance d’Israël, si ce n’est comme annexe humanitaire de la Shoah. L’inimitié envers Israël de l’Union Européenne, très souvent sous la houlette de la France, illustre parfaitement les limites de la reconnaissance du peuple juif post-Shoah. Le vote de la reconnaissance de l’Etat de Palestine » par une assemblée nationale debout et sous les applaudissements est une scène historique qui marque définitivement la fin d’une époque. L’assemblée a voté pour un Etat destiné à devenir le substitut d’Israël, jetant le destin collectif juif dans une impasse mortelle, 70 ans après Vichy ! Un contrat profond est ainsi rompu.
Mais le plus terrible est ailleurs, à l’interne : il a là aussi l’aspect d’une impasse. Comme les Juifs n’ont absolument aucun intérêt à ce que se constituât en France une « communauté » musulmane plutôt qu’une intégration des musulmans dans la citoyenneté ; comme ils ont tout intérêt à ce que l’Etat-nation français reprenne des forces (si son appartenance à l’Union Européenne le rend possible) pour assurer leur sécurité (c’est la simulation de cela qui se joue actuellement avec l’« union nationale » façon Valls), ils seront les premiers à devoir se sacrifier, à renoncer à l’identité communautaire pour que la condition soit égale pour tous et pour donner l’exemple aux musulmans.
Ils sont donc, par la force des choses, conduits à se »faire hara-kiri » pour assurer leur continuité.
En tel cas, un principe fondamental de la résurgence juive d’après guerre et d’après la liquidation du monde sépharade, sera mis en question, ruinant le sens et la valeur morale d’une continuité diasporique en un temps où il existe un Etat d’Israël, sapant sa légitimité aux yeux mêmes du destin juif cette fois-ci, sauf à opter pour la terrible régression historique que constitue aujourd’hui la voie de l’ultra-orthodoxie, à savoir quitter la scène de l’histoire et l’assomption de toute responsabilité envers soi et le peuple juif.
Se désintéresser et se dissocier du peuple juif, de son existence aujourd’hui et demain, c’est se vouer inéluctablement soi même et chaque individu autant que le peuple à la catastrophe. C’est le principe inamovible de toute stratégie d’existence juive. S’il n’est pas tenable dans la réalité où l’on se trouve, il faut alors choisir le départ pour l’assumer sous d’autres cieux plus propices.
Où partir ?
Ce choix inaugure une aventure existentielle aux conséquences très profondes pour ceux qui l’assument en toute conscience : Il engage l’individu en son âme et conscience mais aussi ses descendants. En un tel moment, il fait face à l’histoire et se donne un destin.
Recherchera-t-il avant tout son intérêt personnel ou ce que l’avenir de sa judéité lui intime ? Et comment savoir ce qu’elle lui intime ?
Elle est forcément en question puisqu’il part du fait de ce qui lui arrive en tant que juif. Qu’est-ce que cette judéité ?
Est-elle plus qu’une exposition permanente à l’hostilité qu’il faudrait sans cesse fuir ?
Cette question, à vrai dire, ne se pose que depuis la création de l’Etat d’Israël, voire même depuis l’existence du Yishouv, de l’établissement juif dans la Palestine mandataire : Depuis qu’il s’agit de partir pour Israël, non pour y mourir, comme ce fut le cas tout au long de l’histoire de l’exil, mais pour y vivre et y construire, se construire.
L’existence d’un Etat d’Israël met en effet la conscience juive devant un choix décisif. Si le Baal Shem Tov pouvait dire au 18è siècle : « Partout où je vais, je vais en Eretz Israël », le Juif contemporain ne le peut plus en toute conscience car Eretz Israël a désormais une adresse dans l’Etat d’Israël. Toute migration sera forcément un choix capital en rapport avec le destin et la vocation juive, si tant est que le candidat à la migration conserve la foi en l’Israël éternel. L’Etat d’Israël a en effet ouvert l’horizon de la fin de 25 siècles d’exil, d’un changement fondamental de la condition juive.
Si, alors qu’Israël existe, on choisit « Miami », c’est qu’on a, en toute conscience, écarté le « retour » et renoncé à une espérance fondamentale du judaïsme et à l’attente des Juifs de toutes les générations passées. On sort alors de la dynamique de l’exil et du retour, de la tension fondatrice de l’identité juive depuis 25 siècles.
De l’ultra-orthodoxie comme bonne conscience
La seule façon d’échapper à ce déchirement et de garder une bonne conscience (juive), ce serait d’opter pour la voie de l’ultra-orthodoxie qui dénie à l’Etat d’Israël la qualité d’incarner légitimement le début de la sortie de l’exil, atkhalta digueoula, reshit tsemikhat gueoulatenou comme dit la prière pour l’Etat d’Israël. L’ultra-orthodoxie pourrait ainsi trouver tout à fait légitime et fidèle au judaïsme de choisir Miami et pas Jérusalem.
Cette option pose néanmoins des problèmes de fond.
D’un côté, elle est en divorce strident avec la réalité objective – l’Etat d’Israël est devenu aujourd’hui le havre de l’ultra-orthodoxie, bien plus que New York – tandis qu’elle a une contrepartie gravissime en diaspora : pour se donner l’illusion qu’elle est encore dans la Galouth, le grand exil, que la Galouth continue, l’ultra-orthodoxie est en effet obligée, pour être cohérente avec elle-même, de se retirer de la vie courante des sociétés occidentales dans lesquelles elle se trouve et même des communautés juives locales , sans lesquelles, à l’instar de sa situation en Israël, elle ne serait pas socialement et politiquement viable.
Le sens du retour
L’extravagance de l’ultra-orthodoxie pose néanmoins, de façon détournée, une question à l’ensemble des Juifs : Une question sur le sens de l’exil… Et du retour.
L’exilé (Goleh) n’est pas un « déraciné », qui, dans son « retour », reviendrait à ses racines, comme on le pense erronément généralement. Dans la pensée juive, la Galouth est un jugement sur la réalité de l’existence terrestre, sur la condition humaine dans « ce monde-ci » et elle ne finit pas en Eretz Israël, si cette destination est pensée comme un « terroir », des « racines ». L’exil précède le lien à la terre d’Israël, il ne se définit pas comme exil par rapport à des « racines ». S’enraciner, faire corps avec la Terre n’est pas un idéal juif que le verset de la Genèse et du Lévitique « Etranger et résident » exprime le mieux. Ce principe difficile à comprendre inscrit la condition d’Israël dans une perspective existentielle et métaphysique et il n’est pas contradictoire de l’établissement sur la Terre d’Israël ni de la souveraineté politique. La Galouth par rapport à ce monde ci ne finit pas. Par contre, la Gola, l’exil politique, elle, finit. Il ne faut pas confondre Galouth et Gola même si les deux notions sont articulées, piège dans lequel tombe la doctrine ultra-orthodoxe qui a renoncé dans son principe à la souveraineté juive, au politique et donc forcément à un peuple juif si ce n’est sur le mode d’une secte en marge de la vie courante et de sa propre vie. Le problème du sionisme, quant à lui, fut par contre de penser que le retour est un retour aux « racines », la fin de la Galouth en même temps que de la Gola, pour être enfin « comme les autres » ….
La « voie d’or » (shvil hazahav) est entre ces deux extrêmes. Elle est encore à trouver et incarner en Israël. C’est un enjeu de tout « retour ». Elle n’est pas acquise.
Quel pays où aller ?
Si l’Etat d’Israël ouvre l’horizon du retour tel que les prophètes l’ont pensé, si, même sans les prophètes, l’expérience qu’il fonde est à nulle autre pareille et offre au Juif la possibilité d’une reconstruction mentale et physique, alors, effectivement, choisir Miami équivaut à une désertion par rapport au destin juif. Ce choix peut d’ailleurs concerner autant les Juifs de la diaspora que les Israéliens, car il y a aussi en Israël un courant d’émigration vers « Miami » ou l’« Australie », pour toutes sortes de raisons, bonnes ou « mauvaises ».
Choisir Miami, choisir l’Australie, une terre vierge d’histoire juive, c’est aujourd’hui faire ainsi le choix d’un destin qui sort du sens que les Juifs ont donné à leur histoire.
Il y a un siècle, choisir les Etats Unis pour un Juif polonais c’était efficace car il s’agissait de fuir un univers où les Juifs n’avaient pas de liberté et étaient réduits à la misère, rechercher les meilleures conditions pour la continuité juive, dans l’absence d’autre alternative possible (quoique le sionisme ouvrait déjà une alternative). Ce n’est plus le cas avec l’existence d’un Etat d’Israël.
Il y a d’autres choix aberrants. Par exemple, choisir le Québec. Cela revient à partir pour rien, pour se retrouver dans une situation quasi semblable à celle de la France avec les mêmes problèmes qu’en France. Choisir Londres, aussi, c’est se tromper soi-même car la situation y est pire qu’à Paris.
Ces choix, évoqués en fonction de ce que l’on entend ici ou là, servent la personne et non le peuple et son ethos. Ils impliquent une dissociation silencieuse d’avec le destin collectif à l’œuvre aujourd’hui et pèsent donc très lourd dans le destin d’une famille, d’une lignée, d’une collectivité. Ils prennent également un sens très aigu à la lumière d’une révolution en train de se produire dans la condition juive et qui pourrait constituer un critère objectif d’évaluation des différents choix possibles. Je fais référence à un tremblement de terre démographique : Désormais plus de la moitié des Juifs du monde résident en Israël et les 3/4 des enfants juifs du monde y naissent. Le judaïsme américain, autre population juive importante, semble avoir été aspiré dans la spirale du déclin, pour toutes sortes de raisons. On peut donc penser que dans l’avenir la majeure partie du peuple juif a des chances de se retrouver dans l’Etat d’Israël qui deviendra la scène centrale du destin juif. Retour des temps bibliques !
Choisir Israël
Si, ce premier moment de trouble passé, on choisit Israël, alors commence un autre questionnement. Pourquoi part-on pour Israël ? Si la motivation est sécuritaire cela signifie implicitement qu’on le choisit pour s’y réfugier. Si on y part pour un motif religieux ou séculier, cela signifie implicitement qu’on tient Israël pour être un instrument au service d’une identité. Israël camp humanitaire, pour les uns, simple changement d’adresse, plus confortable, pour les autres…
Ce n’est pas la bonne façon de choisir Israël car Israël est, dans sa vérité profonde, une aventure créative, celle de la reconstitution d’une condition politique souveraine pour le peuple juif, un chantier de reconstruction de la personnalité juive, ou beaucoup a été fait mais où il reste encore énormément à faire. Il est vrai aussi que le High-tech, les Starts-ups, etc., peuvent faire miroiter en Israël le paysage de Miami. La comparaison est possible. Mais ce serait une dérision que d’y céder, face au bouleversement existentiel que représente l’expérience d’Israël. Et y faire face, à commencer au niveau de sa propre personne, est déjà une épreuve dont il faut triompher.
Le vrai problème d’Israël auquel le nouvel immigrant de France sera au fur et à mesure confronté, c’est la rupture identitaire qui traverse la société israélienne sur une question clef : Le rapport entre le judaïsme ou la judéité et l’israélianité, l’Israël biblique et l’Israël contemporain. Elle prend diverses formes : Religieuse-laïciste, droite-gauche, sépharade- ashkénaze, ultra-orthodoxe-laïcs, Jérusalem-Tel Aviv. Ce sera un choc pour lui qui vient d’une culture juive où cette cassure est restée peu prononcée. C’est d’ailleurs ce qui fera peut-être l’importance de l’apport du judaïsme français au peuple juif qui a encore sauvegardé de sa tradition intellectuelle d’articulation intellectuelle de la pensée juive et de la pensée moderne.
Par ailleurs, il ne fait pas de doute qu’au terme des dernières quinze années de harcèlement et de guerre planétaire contre Israël et le sionisme, un conflit fondamental, une guerre décisive, risque d’éclater dans les années à venir qui décideront non seulement de l’avenir de l’Etat mais aussi du peuple juif et du judaïsme tout court. Il faut être prêt à affronter une telle situation que seule une conviction forte peut nourrir.
Les enjeux prosaïques
Cette transformation mentale mise en œuvre, choisir Israël implique de se mesurer à des obstacles inévitables et prosaïques. Même si Israël est dans le cœur de ceux qui le choisissent, même s’il fait partie de leur intimité, il n’en est pas moins, objectivement, un pays « étranger » dont il faudra apprendre la langue, les mœurs, où il faudra affronter la dureté de la lutte pour la vie et la concurrence individuelle, où les revenus moyens ne sont pas florissants, où il est dur de se loger et encore plus d’acquérir un logement… C’est une remise en chantier de soi et de sa famille que ce choix entraîne, avec tous les risques que cela comporte. Je comparerais l’expérience intime qui accompagne ce parcours à une expérience de type mystique. Cette transplantation amène en effet à comprendre la relativité des choses et avant tout de soi-même. La conscience de l’exil a fait qu’Israël nous est à la fois extérieur et intérieur à nous-mêmes. En ce sens la tentative de faire converger ces deux dimensions est une expérience « mystique » …
Sur le plan collectif des Juifs français, la question se pose avec encore plus de force. Israël est toujours une société d’immigrants, où les couches d’Alyah se rajoutent les unes aux autres, où il y a donc des frictions possibles, des concurrences, etc., entre les différentes origines. C’est une société où la dimension partisane est omniprésente et inscrite dans un marchandage général découlant de rapports de forces politiques et idéologiques. Je veux dire par ces deux caractéristiques que le succès d’une Alyah des Juifs de France dépend de leur capacité à s’organiser en Israël pour obtenir reconnaissance et avantages au sein d’un rapport (politique) de forces. Jusqu’à ce jour cette immigration n’a pas su véritablement s’organiser à la façon d’autres courants d’Alyah et d’originaires (l’exemple russe en est la caricature contraire). Il faut craindre que cette situation soit aussi propice à l’apparition sur la scène publique d’affairistes qui auront compris le pouvoir qu’ils peuvent retirer de l’interface vide entre la population d’origine française et l’Israël officiel.
Le paradoxe veut que pour s’intégrer dans ce pays, pensé objectivement comme un pays d’immigration, il faille s’organiser en premier lieu en fonction de son origine afin de négocier les conditions de l’installation et le respect de la place que l’on occupe dans la société. Cet enjeu très concret et très politique doit s’accompagner d’un autre souci, celui de l’intégration de sa propre identité intellectuelle collective dans le nouveau pays. Une communauté humaine, ce n’est pas un entassement d’individus mais une culture, un réseau de symboles, d’attitudes envers le monde, de réactions toutes faites. Le paradoxe veut qu’il faille d’abord les renforcer pour s’intégrer, de la même façon qu’il faut avoir un bon niveau de grammaire dans la langue d’origine pour mieux apprendre une langue nouvelle.
Une immigration en Israël qui ne se soucierait pas du devenir de la culture et de l’intellect des Juifs de France serait ainsi vouée au non-sens. En effet, on ne vient pas seulement en Israël avec ses pieds et ses valises, mais surtout avec sa tête et son cœur et là il faut se demander ce que le judaïsme français a à contribuer au trésor commun du peuple juif, ce que vont devenir ses livres, comment il va formater son héritage pour le transmettre à tout Israël. Pendant de nombreuses années, les olim ne pourront pas participer pleinement à la vie intellectuelle et culturelle d’Israël en hébreu, que va devenir entre temps leur héritage ? Comment sera-t-il cultivé ? Traduit dans la langue hébraïque ? Par ailleurs, il est clair que le judaïsme français, celui qui « reste », a désormais un deuxième centre avec Israël. Comment le rapport entre ces deux centres va-t-il se faire, être entretenu ?
Ce sont là des enjeux très sérieux qui se posent quand on choisit Israël. Il va de soi qu’ils ne se posent qu’en Israël, car dans les autres pays de destination, c’est purement et simplement la faillite de l’identité culturelle des Juifs de France, sa disparition, qui serait ipso facto prononcée.
Au-delà de ces épreuves, tout à fait franchissables, s’ouvre alors l’écriture d’un nouveau chapitre d’une histoire juive trimillénaire en route vers un avenir de résurrection, de construction et de grandeur !
Shmuel Trigano
Shmuel Trigano est un sociologue, philosophe et enseignant universitaire français. Spécialiste de la tradition hébraïque et du judaïsme contemporain, il est président de l’Observatoire du monde juif qu’il a fondé en 2000 et directeur du Collège des Etudes Juives de l’Alliance israélite universelle. Il dirige les revues Pardès et Controverses qu’il a lancées en 2006.