Si la création de l’Etat d’Israël suscite admiration et fierté silencieuse auprès des juifs de France, l’identification aux pionniers n’a pas eu lieu ou les a surpris totalement. Les nécessités de la reconstruction, le besoin d’afficher le patriotisme les empêchent de manifester leur enthousiasme pour Israël en public, sur leur lieu de travail, cela les incite à en faire un pan leur vie privée. Si les juifs de France vivent une relation ambiguë avec Israël, il n’en est pas de même entre les deux Etats.
Pendant la Quatrième République, grâce à des intérêts géopolitiques convergents et des liens intenses, la France en mal de puissance et le jeune Etat d’Israël vivent une période qualifiée de roman d’amour. La langue et la culture françaises sont très prisées en Israël, l’amitié et l’admiration pour les réalisations du jeune état ne cessent de grandir en France. Pour renforcer la sécurité et la défense, Israël compte sur l’industrie militaire française, les gouvernements français cherchent l’appui d’Israël pour combattre le panarabisme qui encourage les mouvements indépendantistes contre la domination française en Afrique du nord. Il y a aussi des affinités politiques : le travaillisme israélien suscite la curiosité de la gauche non communiste en quête de modèle.
La crise de Suez, en novembre 1956, est alors l’apogée de l’alliance franco-israélienne : « Israël peut compter sur le soutien de la France pour obtenir la paix qu’il attend et mérite », proclame Guy Mollet. L’opinion publique française applaudit au succès militaire d’Israël.
La reconstruction du judaïsme français prend une forte dimension spirituelle grâce au rayonnement intellectuel de trois grandes personnalités : Emmanuel Lévinas, André Néher et Léon Ashkénazi, dit Manitou , qui forme une génération d’étudiants juifs et leur transmet le message du rav Kook tout en s’impliquant dans le dialogue judéo-chrétien .
De 1948 à 1967, environ 235 000 Juifs d’Afrique du Nord se réfugient en France, principalement quand ils sont citoyens français (comme en Algérie, indépendante en 1962) ou francophones (dans les protectorats comme le Maroc et la Tunisie, indépendants en 1956, ou l’Égypte, pays qui compte une importante population juive francophone). Grâce à eux, la population juive en France, entre 1950 et 1967, double et se transforme totalement.
Le choix d’installation des « séfarades » répond à plusieurs critères : présence d’un bassin d’emploi, existence d’une communauté juive leur permettant de pratiquer le judaïsme, climat méridional proche de celui de l’Afrique du Nord. Les besoins sont énormes à partir de 1962, avec l’arrivée des rapatriés d’Algérie, et les constructions, souvent plus fonctionnelles qu’esthétiques, se multiplient. À Paris, rue de la Roquette, à Villiers-le-Bel, Massy, Sarcelles et Fontainebleau, des synagogues sont bâties avant 1965.
Dans les premières années de la cinquième république le roman d’amour franco israélien semble se poursuivre. Dans la France gaullienne, les juifs s’épanouissent. Aussi, dès 1958, des entreprises françaises ont opéré une percée sur l’économie israélienne remportant notamment les marchés de construction de l’autoroute Beer-Sheva – Eilat et de l’aménagement des facilités portuaires d’Haïfa. La visite officielle de Ben-Gourion à Paris, en 1961, laisses augurer tous les espoirs d’une longue coopération. En 1962, un protocole commercial est signé entre les deux capitales dans le but de créer une zone de libre-échange pour certains produits finis. En 1964, la France va également appuyer la signature d’un accord commercial avec Israël, auprès de ses partenaires communautaires européens.
Parallèlement aux avancées dans le secteur économique, la coopération franco-israélienne s’estt aussi développée dans le domaine de l’énergie atomique. Signé conjointement en 1955 par le ministre de la Défense Pierre Koenig et le ministre des Affaires atomiques Palewski, l’accord avec l’État d’Israël est maintenu dans le plus grand secret alors qu’en 1958, la France a officiellement déclaré avoir cessé toute collusion avec les scientifiques à Dimona.
Toujours au niveau de la coopération technique et dans le prolongement du programme atomique israélien, le gouvernement français participe activement au programme balistique israélien. Au début des années 1960, le lanceur Shavit (en français, « comète ») est propulsé avec succès grâce à la technologie française, celle-ci est aussi utilisée bien plus tard dans les projets de missiles Jéricho. Le général De Gaulle et l’état-major des armées ne sont pas opposés au départ à une coopération qui pouvait être bénéfique en termes d’apports technologiques à l’arsenal stratégique français.
En dépit des nombreuses tentatives de diversification de la coopération entre les deux États, le secteur de l’armement demeure cependant la part la plus importante des échanges. Non seulement la France est le plus gros fournisseur d’armes d’Israël mais ces échanges portent également sur du matériel de très haute technologie à l’époque, à l’instar du chasseur-bombardier Mirage III qui sera massivement utilisé lors de la guerre des Six jours.
Joël Guedj