Je profite de mes longues journées de convalescence pour mettre de l’ordre dans le plus riche héritage que nous a légué notre cher père : son livre de souvenirs et les nombreuses notes en annexe.
Lorsqu’il arriva en Algérie au seuil des années 30 comme jeune réfugié de Pologne il fut très vite accueilli avec beaucoup d’amour et de chaleur par les Juifs sur place. Un jour, après plusieurs années dans le pays lorsque les dangers de ce qui allait s’abattre sur les juifs d’Europe commençaient à se dessiner à l’horizon son employeur, qui l’estimait beaucoup, le fit appeler « pour parler sérieusement ». « Salomon, as-tu des frères et des sœurs en Pologne ? Sont-ils aussi sérieux et travailleurs que toi ? J’ai besoin d’hommes de confiance comme toi, pourquoi ne les fais-tu pas venir ici ? La situation commence à être très préoccupante pour les juifs d’Europe ». « Mais, répondit mon père, je viens de me marier, je suis nouveau dans ce pays, je n’ai ni les moyens financiers ni administratifs pour faire venir toute une famille. Et comment leur faire obtenir des permis de séjour et de travail ici » ? Son patron l’interrompit et lui dit : « Salomon, nous nous occuperons de tout cela et un jour ils nous rembourseront ».
Quelques mois après cette conversation, documents de voyage et titres de transports prêts, mon père les achemina à sa famille en Pologne. Malgré les télégrammes pressants de mon père qui s’était assuré que tout était bien arrivé, pas de réaction. Mon père envoya un télégramme assez rude à sa mère exigeant leurs dates de départ et surtout celles de leurs arrivées à Oran. Nous étions déjà en 1938. Les réponses n’arrivaient pas. Il envoya un télégramme urgent à son frère aîné exigeant une réponse immédiate. Quelques jours après il reçut un télégramme en yiddish avec des lettres latines : « Mon cher fils nous n’arriverons pas. Les gens du village nous disent que rien n’arrivera, qu’il ne faut pas avoir peur. Pourquoi aller vers un pays inconnu. Merci. Nous te renvoyons tout le dossier ». Ils finirent tous anéantis la première semaine de la guerre avec 30000 autres Juifs innocents dans la ville de Stanislawow.
Pilar Rahola, cette grande écrivaine défenseur d’Israël, ancienne vice maire de Barcelone raconte souvent l’histoire de ces mineurs qui descendaient dans les profondes mines tenant à la main une cage avec un canari, car à la moindre alerte de grisou les canaris commençaient à agoniser. Les juifs se doivent d’avoir aujourd’hui leur canari. C’est une info vitale et pas du tout de l’intox.