Il y a 71 ans, le 19 avril 1943, éclatait la révolte du ghetto de Varsovie. Cet évènement occupe une place à part : d’abord parce qu’on y a concentré entre les murs du quartier plus de 500 000 personnes. Et surtout parce que pour la première fois, en avril 1943, quelques centaines de combattants civils y ont résisté les armes à la main. Elle est devenue l’un des symboles de la résistance juive contre le nazisme et le jour anniversaire de la fin du soulèvement a été proclamé Jour souvenir de la Shoah.
En septembre 1939, les troupes allemandes étaient entrées dans la ville où habitaient près de 400 000 juifs, un tiers de la population de la capitale polonaise. D’emblée, les nazis commencèrent à persécuter les Juifs : obligation de porter un brassard avec l’étoile de David, aryanisation des entreprises juives, création d’un conseil juif, le judenrat. A Varsovie cette tache est imposée à Adam Czerniakow. Dès octobre 1939, les hommes sont contraints au travail forcé. : on compte près de 14 camps de travail dans la région de Varsovie. Les Juifs de Pologne sont obligés de vivre dans des quartiers fermés : les ghettos. Il y eut ainsi un ghetto à Lublin, à Lodz. Celui de Varsovie fut créé le 12 octobre 1940 (jour de la fête juive de Yom Kippour). Le ghetto était entouré d’un mur de 3 mètres de haut et de barbelés. Les ghettos constituent une étape essentielle dans l’extermination radicale des juifs partout où s’installe la domination allemande.
Les habitants du ghetto se voient accorder par l’occupant une ration quotidienne de 184 calories. C’est dix fois moins que le minimum indispensable au maintien en bonne santé et qui plus est, cette nourriture se présente sous une forme rebutante (pain noir, légumes défraîchis, viandes avariées….).
Dans les hôpitaux, les médecins confrontés à un manque cruel de médicaments sont confrontés à de douloureux cas de conscience : vaut-il mieux réserver les médicaments disponibles aux malades qui ont les plus grandes chances de survie et sacrifier les autres, ou plutôt les répartir de façon équitable jusqu’à épuisement des stocks, avec la quasi-certitude de perdre tous les malades à brève échéance ?…
Malgré ces tragédies – ou à cause d’elles -, les habitants du ghetto entretiennent une vie culturelle intense. C’est, pour beaucoup, une façon de s’accrocher à la vie. La présence de 40 à 50 musiciens de niveau international conduit à la formation d’un orchestre symphonique. Il donne en deux ans 50 concerts payants en faisant salle comble, cela malgré le danger qu’il y a à sortir de chez soi ! Notons aussi que le ghetto inclut, outre les synagogues, quatre églises en activité pour quelques milliers de Juifs convertis au christianisme, lesquels n’en sont pas moins persécutés par les nazis !
Pour les autorités allemandes, la volonté de tuer par la faim est manifeste en appliquant une politique draconienne de rationnement. Entre octobre 1939 et juin 1942 100 000 personnes succombent à cause de la faim et des épidémies.
Dès l’application de la Solution finale, bien que la mise en scène par les nazis soit tenue secrète, les informations commencent à circuler sur ce qui se déroule. Ainsi, à Varsovie, on apprend ce qui se commet à Treblinka, camp d’extermination où les juifs du ghetto de Varsovie sont envoyés à partir de 1942
La terreur nazie fonctionne implacablement, elle accentue ses demandes de quotas pour une « réinstallation à l’est », en langage codé. Entre juin et septembre 1942, depuis Varsovie, près de 300 000 juifs sont déportés vers Belzec, Maïdanek et surtout Tréblinka. Pour les 40 000 qui restaient dans le ghetto, la déportation semblait inéluctable.
C’est de Vilna que l’idée de résistance juive va se diffuser dans toutes les communautés juives russes et polonaises. A Varsovie, le 28 juillet 1942, tous les mouvements politiques décident de créer l’Organisation Juive de Combat (OJC). La résistance se heurte d’emblée à des problèmes insurmontables : aucun secours extérieur n’est envisageable malgré les contacts existants avec la résistance polonaise et le gouvernement en exil à Londres. L’armement introduit de l’extérieur ou fabriqué de façon artisanale à l’intérieur, est dérisoire. Face aux troupes allemandes bien entraînées, bien équipées, bien nourries, les combattants juifs ne peuvent aligner que des hommes affamés et presque désarmés. Tous sont conscients de l’inégalité de l’enjeu et pourtant le ghetto de Varsovie se soulève.
Le 19 avril, la police et les forces auxiliaires SS entrent dans le ghetto sous le commandement du SS afin de faire reprendre les déportations. Bien qu’équipées de tanks et d’artillerie, les forces allemandes rencontrent une très vive résistance et le plan prévoyant une prise intégrale du ghetto en trois jours échoue. Aussi le Général Stroop met quatre semaines à anéantir le ghetto.
La nourriture manquait terriblement. Marek Edelman indique : « nous ne mourions pas de faim. On peut vivre pendant trois semaines simplement avec de l’eau et du sucre », que lui et ses hommes trouvaient chez ceux qui avaient été déportés4.
Durant les combats, environ 7 000 résidents du ghetto ont été tués, 6 000 ont été brûlés vifs ou gazés durant la destruction totale du quartier, les Allemands déportèrent les survivants dans le camp d’extermination de Treblinka et dans les camps de travail de Poniatowa, de Trawniki et de Majdanek.
6.000 Juifs trouvent la mort dans les combats ou se suicident (c’est le cas de Mordechai Alinewicz, le 8 mai 1943), 7.000 sont fusillés sur place. Les autres sont déportés. Une poignée de miraculés vont échapper à la mort en s’enfuyant par les égoûts. Parmi eux, Marek Edelman. Il va rejoindre la résistance non-communiste et va mettre un point d’honneur à demeurer en Pologne après la chute du nazisme, poursuivant la lutte contre toutes les oppressions. Il meurt couvert d’honneurs le 2 octobre 2009, à 90 ans.
Le ghetto est rasé sitôt l’insurrection écrasée. Cette absolue tragédie va devenir pour les Juifs et les adversaires du nazisme le symbole de l’esprit de résistance et du renouveau. Ainsi le chancelier allemand Willy Brandt va-t-il s’agenouiller devant le Mémorial du résistant juif du ghetto le 7 décembre 1970 dans un émouvant geste de contrition.
Dans ses rapports quotidiens, le général nazi Stroop se garde bien de mentionner la présence d’enfants parmi les « tués » ou « capturés.
Les leçons de la révolte du ghetto de Varsovie sont doubles : l’une tragique, l’autre optimiste. Ainsi Samuel Zygelboim représentant du Bund auprès du gouvernement polonais à Londres, se suicide le 11 mai 1943, pour attirer l’attention du monde sur le drame qui se joue pour les juifs de Varsovie.
Bien que le combat soit désespéré il faut mettre en évidence le message d’espoir légué par les insurgés. Si la résistance polonaise n’a pas fourni d’armes, elle n’a pas manqué pour autant d’exprimer son soutien politique à travers ses journaux clandestins. « Depuis une dizaine de jours, nous sommes témoins d’un spectacle inédit lequel, au delà de son aspect tragique, compromet et ridiculise les Allemands » lit-on dans le journal Szaniec (la Défense) du mois de mai 1943. Ces sentiments de sympathie et de solidarité ne sont nullement partagés par la grande masse de Polonais dominés par l’antisémitisme séculaire.
En France occupée, les premières nouvelles sur l’insurrection du ghetto de Varsovie, diffusées par la BBC, ont été captées fin avril par les écoutes radio de la résistance juive MOI à Paris. La plupart des militants originaires de Pologne, l’ont perçue comme une tragique confirmation de la fin du judaïsme polonais signifiant aussi la disparition de leurs familles. On peut lire dans les journaux clandestins juifs à Paris : « écoutez les cris de millions de nos frères suppliciés dans les camps de Pologne et dans les ghetto !… Le spectre de la défaite hante les bandits » peut-on lire dans Notre parole n° 58 du 15 juin 1943. En fait, la révolte du ghetto de Varsovie a accéléré le processus d’unification de la résistance des juifs immigrés et par la suite, leur rapprochement avec le Consistoire Central au sein du Conseil Représentatif Israélite de France créé en 1944. Joel Guedj