Dans les années 1946 à 1948 Paris est la plaque tournante de l’activité de l’Irgoun pour l’achat d’armes et la préparation de la guerre d’indépendance. Ses représentants ont eu des relations avec l’Église catholique qui amorce un changement profond envers le peuple juif.
Le rapprochement entre le judaïsme et l’Église- pour combattre les racines chrétiennes de l’antisémitisme- se réalise sous l’impulsion de quelques personnalités marquantes comme Jules Isaac, Edmond Fleg, le rabbin Jacob Kaplan du coté juif, Jacques Maritain, Paul Claudel et Jacques Madaule du coté chrétien. Au premier rang, figure le philosophe catholique, Jacques Maritain qui avait adressé, dès 1925, un rapport à Pie XII lui demandant de soutenir le sionisme. Dans les années 30, il avait rejeté avec vigueur les théories raciales, comme Péguy, défenseur de la cause dreyfusarde.
Maritain comprend que l’antisémitisme est un dévoiement de la conscience chrétienne : «la tragédie d’Israël est la tragédie même de l’humanité (…) plus exactement, c’est la tragédie de l’homme dans sa lutte avec Dieu. Jacob rêveur et boiteux, exaspérateur passionné du monde…». A la fin de la Seconde Guerre mondiale il a déjà pris conscience de l’ampleur de la catastrophe et des responsabilités des Eglises : « Quand un peuple entier a été mis en croix, et que six millions des siens ont été abominablement massacrés, on ne saurait user de trop de révérence et d’un langage trop attentif pour toucher les questions qui le concernent ». Nommé ambassadeur de France au Vatican, Maritain œuvre pour le rapprochement avec les Juifs en proposant de réformer certaines prières ouvertement antijuives.
Le poète et dramaturge Paul Claudel déplore « l’affreux silence » du Vatican sur la shoah dans qu’il adresse à Maritain dés 1945. Membre de la Ligue française pour la Palestine libre, Claudel voit dans le retour d’exil du peuple juif un signe de sa destinée providentielle.
Une autre personnalité dominante de la reconstruction de l’amitié judéo-chrétienne est l’historien juif Jules Isaac. Il vient d’apprendre la disparition de sa femme et de sa fille : Auschwitz provoque une révolution spirituelle. Pendant la guerre, Isaac réfléchit sur les causes de la catastrophe : l’enseignement chrétien lui parait la cause fondamentale. Avec le rabbin Kaplan, il rédige un programme de réforme de l’enseignement du judaïsme.
Au cours de l’été 1947, il rencontre à Seelisberg, en présence de 70 personnalités (juives, protestantes et catholiques) les personnalités marquantes de la vie intellectuelle et religieuse en France : reconnaissance de l’origine juive de Jésus et des apôtres , un nouvel enseignement du judaïsme est prévu dans la prédiction et la catéchèse, contre les stéréotypes et les préjugés chrétiens. Il s’agit de détruire l’image odieuse du Juif, enracinée depuis dix-neuf siècles dans l’enseignement chrétien.
En 1948, avec ses compagnons de Seelisberg et le Père Chaillet de l’Amitié chrétienne, Jules Isaac fonde l’Amitié judéo-chrétienne. Dans ces années d’après-guerre, le cheminement intellectuel de l’historien est rythmé par la parution de vastes synthèses : Jésus et Israël, en 1948 ; Genèse de l’antisémitisme, en 1956; L’Enseignement du mépris, en 1962.
L’historien se montre particulièrement combatif à l’occasion de démêlés judiciaires avec Xavier Vallat, à la fin des années cinquante : appel solennel dans la presse, jugements de la cour d’appel d’Aix et de la Cour de cassation de Paris, correspondance avec les anciens du Comité d’action de la Résistance, copies des pièces produites en 1947 devant la Haute Cour de justice, illustrant les activités du Commissariat aux questions juives pendant la guerre.
(A suivre 5ème épisode/ L’affaire Finaly) Joël GUEDJ