Après la prise d’otage dans l’épicerie casher de la porte de Vincennes à Paris, l’appréhension était palpable partout en France au sein d’une communauté régulièrement frappée par des actes antisémites.
Après les journalistes et les forces de l’ordre, la communauté juive faisait donc partie des cibles retenues par les terroristes. La mairie du IVe arrondissement avait d’ailleurs, dans l’après-midi, conseillé aux commerçants de la rue des Rosiers, cœur et symbole du quartier juif de la capitale, visée par un attentat en 1982, de fermer boutique.
L’appréhension était palpable partout en France dans une communauté régulièrement frappée par des actes antisémites. À moins d’une heure du shabbat, vendredi, un jeune rabbin de la banlieue de Strasbourg, qui demande à rester anonyme, ne savait pas s’il allait ouvrir ou non sa synagogue. «J’attends la réponse des services de police. Ce n’est même plus de la panique, c’est pire: les gens de la communauté n’osent plus sortir de chez eux…» Il évoque le cas de familles juives qui vont conduire et chercher leurs enfants en voiture à l’école depuis la tuerie de mercredi, pour ne pas les laisser marcher seuls dans la rue. «La communauté est rongée d’inquiétude, poursuit le rabbin. Beaucoup pensent qu’ils vont quitter la France si la sécurité des Juifs n’y est plus assurée.» Le religieux reprend à son compte les propos de la compagne du dessinateur Charb, assassiné à Charlie Hebdo, l’ancienne secrétaire d’État Jeannette Bougrab: «Nous avons trop vite oublié la tuerie de Toulouse» (en mars 2012,Mohamed Merah avait tué 4 personnes, dont 3 enfants, dans une école juive). Il ajoute: «Pour ces tueurs, qui veulent mourir en “martyrs”, la vie n’a strictement aucune importance. Cela, nous n’arrivons pas à le réaliser.»
À Paris, le rabbin Haïm Schneour Niesenbaum, effondré, s’apprêtait, vendredi après-midi, à partir à la synagogue. Il confie «ne plus savoir» ce qu’il va devoir dire à sa communauté tant la situation est dramatique: «Nous sommes bouleversés. Cette semaine, c’était la liberté qui était touchée, celle de la presse en particulier, mais cette fois nous sommes touchés dans notre chair. Le magasin de la porte de Vincennes a été visé parce que les gens qui y font leurs courses sont des Juifs. Ce sont toutes les valeurs de l’Occident qui sont maintenant attaquées. On n’a pas assez relevé ce que le pape François a déclaré avec beaucoup de clairvoyance: nous sommes entrés dans une forme de troisième guerre mondiale. Et comme toujours dans l’histoire, c’est le peuple juif qui, le premier, fait les frais de la guerre.» Et d’ajouter: «Nous n’allons pas changer nos modes de vie, même si des enfants ont dû être sécurisés dans des écoles ce matin ; il est hors de question de donner, en plus, cette victoire» aux terroristes. Pour le rabbin Schneour, «tout cela laissera des traces profondes, et la manifestation de dimanche n’aura plus le même sens qu’initialement prévu».
Moché Lewin, le conseiller spécial du grand rabbin de France, Haïm Korsia, lui-même rabbin, commente l’actualité avec effroi: «On n’imaginait pas que cela arriverait en France. Il faut maintenant que les autorités prennent des mesures très fermes pour éradiquer l’islamisme. Ces gens sont entraînés à tuer. Ils ne veulent pas autre chose: regardez le sort de la policière municipale de Montrouge. Il faut encore relever la garde, car la voiture des deux tueurs avait été abandonnée devant un restaurant casher. Il y a des explications à donner de la part de l’État à la communauté juive pour sa protection, même si nous mesurons tous les efforts accomplis. Si les moyens mis en œuvre ne sont pas suffisants, les efforts du grand rabbin pour convaincre les Juifs français de ne pas quitter le pays seront vains. Sans compter que ce n’est pas seulement la communauté juive qui est touchée, car quand un Juif est touché, les présidents Sarkozy et Hollande l’ont dit, c’est toute la France qui est touchée. Cette semaine, c’était le premier pilier de la République qui était touché, la liberté. C’est maintenant l’égalité et la fraternité qui le sont. Ce sont les piliers de la France qui sont bousculés, il faut que chacun en ait bien conscience.»