Les trois individus recherchés par les services de renseignement après l’attentat de Charlie Hebdo ont été identifiés, a confirmé à 20 Minutes une source au sein du renseignement intérieur, après que des noms ont été dévoilés sur Twitter. Désormais, les policiers cherchent non plus des visages cagoulés mais des identités. Il s‘agit de trois hommes dont deux membres de la même famille âgés de 34 et 32 ans. L’un d’entre eux a déjà été remarqué dans une filière irakienne du 19e arrondissement de Paris. Le troisième est âgé de 18 ans et serait Rémois mais sans domicile déclaré.
L’élite antiterroriste française est lancée à leurs trousses depuis le massacre à Charlie Hebdo, ce mercredi matin vers 11h30. Le parquet antiterroriste de Paris a déclenché sa cellule de crise, déjà mise en place lors de l’affaire Merah et lors du démantèlement d’une filière syrienne à Torcy. Une vingtaine de magistrats sont désormais mobilisables 24h/24 et 7j/7, «le temps qu’il faudra», a précisé à 20 Minutes une source judiciaire. Concrètement, des magistrats de permanence pourront se rendre dans des commissariats et «assister aux autopsies» afin de faire avancer l’enquête.
Les investigations sont confiées à trois services. La section antiterroriste de la brigade criminelle, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et la sous-direction antiterroriste de la direction centrale de la police judiciaire. Autrement dit, ce qui se fait de mieux en matière de renseignement intérieur. Les policiers ont déjà commencé le travail. Ils ont investi deux appartements dans l’après-midi, l’un à Pantin (Seine-Saint-Denis), l’autre à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) avec le concours de l’antigang, rapporte Le Parisien. Il pourrait s’agir d’une «planque», a rapporté une source policière.
«Vous direz aux médias que c’est Al-Qaida au Yémen»
Selon L’Union, l’enquête se déplacerait désormais à Reims où le Raid et les services de police judiciaire seraient en train de mener des perquisitions. Une information qui ne nous a pas été confirmée ni de source policière ni de source judiciaire.
Les enquêteurs envisageaient dans l’après-midi la piste de Al-Qaida au Yémen (AQPA). C’est «probable», avait indiqué plus tôt à 20 Minutes une source au sein de la DGSI. Une piste qui est corroborée par les déclarations d’un témoin, joint au téléphone par 20 Minutes, dans l’après-midi, qui croise les assaillants, quand ces derniers, dans leur fuite depuis Charlie Hebdo, braquent, armés d’un lance-roquettes, une autre voiture. «Ils ont sorti un homme de la voiture qui était derrière. Et ils sont montés en disant “vous direz aux médias que c’est Al-Qaida au Yémen”», a-t-il raconté.
Charb, cible d’AQPA
Plusieurs observateurs ont noté, dans la façon qu’avaient les assaillants de tenir leurs armes, leur professionnalisme. «Ils sont entraînés, c’est certain», estime une source policière, relevant que les hommes armés s’étaient une première fois trompés d’adresse dans la rue de la rédaction de Charlie Hebdo mais n’avaient pas «paniqué» avant de se diriger vers le bon numéro.
Enfin, Charb, le patron du journal satirique était officiellement une cible d’AQPA depuis que l’organisation l’avait placé comme homme «recherché vivant ou mort» dans un numéro de la revue Inspire. Ces indices apportent des précisions aux enquêteurs mais ne les enferment pas uniquement dans cette piste. Sur Twitter, de nombreux partisans et sympathisants de l’Organisation de l’Etat islamique y ont vu, au contraire, la marque de fabrique de Daesh. Seule certitude, celle de l’islamisme radical
http://www.20minutes.fr/societe/1512363-20150107-attentat-charlie-hebdo-trois-suspects-identifies-policiers
Au lendemain de l’attentat qui a coûté la vie à 12 personnes, l’enquête a semblé progresser dans la nuit. La police a en outre diffusé les noms et portraits de deux individus recherchés. Un suspect présumé s’est rendu mercredi soir et a été placé en garde à vue.
Les deux hommes de 32 et 34 ans sont bien connus de l’antiterrorisme. L’un d’eux, Chérif, a été membre de la fillière dites des Buttes-Chaumont, qui envoyait au milieu des années 2000 des jeunes se battre en Irak.
Pour mieux comprendre le massacre de Charlie Hebdo, il faut remonter presque dix ans en arrière dans les HLM anonymes du quartier Curial-Cambrai, dans le XIXe arrondissement de Paris. Chérif Kouachi, 22 ans à l’époque, et son frère Saïd, 24 ans, suspects numéro un de la tuerie de mercredi, y avaient été interpellés par la Direction de la surveillance du territoire en janvier 2005 dans le cadre du démantèlement de la filière djihadiste dite «des Buttes-Chaumont». Un peu moins de deux ans après l’intervention américaine en Irak et le renversement du régime de Saddam Hussein, le pays attirait en effet déjà des fous de Dieu mais en bien moins grand nombre qu’aujourd’hui.
Si Saïd avait été remis en liberté après sa garde à vue, Cherif avait été mis en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et écroué. Les enquêteurs le soupçonnaient d’avoir voulu s’envoler pour la Syrie pour gagner ensuite l’Irak et s’engager dans le djihad contre l’armée américaine. Un billet d’avion pour Damas avait été retrouvé lors des perquisitions ainsi que des documents détaillant le fonctionnement d’une kalachnikov. Son avocat de l’époque, Me Vincent Ollivier, se souvient d’un «apprenti looser, d’un livreur à casquette qui fumait du haschich et livrait des pizzas pour acheter sa drogue. Un gamin paumé qui ne savait pas quoi faire de sa vie et qui, du jour au lendemain, a rencontreé des gens qui lui ont donné l’impression d’être important».
Comme pour les autres membres de la filière des Buttes-Chaumont au profil identique, l’homme qui a donné à Chérif Kouachi l’impression d’être important est un imam autoproclamé de 24 ans,Farid Benyettou, le cheveu long et le regard un peu lunaire. Benyettou n’était pas tout à fait inconnu dans le petit monde du terrorisme: dès l’âge de 18 ans, il avait été conseillé et formé par son beau-frère, Youcef Zemouri, islamiste expulsé de France en 2004, et par un ami de ce dernier, Mohamed Karimi, une figure en région parisienne du groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC, groupe terroriste algérien né en 1998, ancêtre d’al-Qaida au Maghreb islamique). Fort de cette «formation», Farid Benyettou a joué un rôle de véritable gourou auprès d’un groupe de jeunes Français musulmans d’origine africaine et maghrébine. Au total, il aurait ainsi converti à l’islam radical une cinquantaine d’entre eux.
Condamné à une peine de trois ans de prison
Entouré de ses disciples, dont Cherif Kouachi, Benyettou se fait remarquer pour des incidents pendant des manifestations contre la loi sur le voile ou la guerre en Irak. Il encourage surtout les membres de son groupe à partir pour l’Irak. Avec un certain succès puisqu’au moment de l’interpellation de Kouachi et de ses compagnons en janvier 2005, le bilan de la filière des Buttes-Chaumont était déjà édifiant: trois djihadistes morts en 2004 en Irak (l’un tué dans un bombardement à Faloudja, le second abattu par une patrouille américaine, le troisième dans une attaque suicide), deux détenus dans ce pays par l’armée américaine, un autre emprisonné en Syrie. Lors de leur interpellation Cherif Kouachi, et l’un de ses amis, Thamer Bouchnak, étaient donc sur le point de rejoindre leurs frères djihadistes.
Jugé en mars 2008, Kouachi a été condamné à une peine de trois ans de prison, couverts par une détention provisoire au cours de laquelle il a pratiqué la musculation et s’est enfermé dans le silence. Une fois libre, il a apparemment disparu de la chronique judiciaire antiterroriste. Mais la filière des Buttes-Chaumont n’avait pas fini de faire parler d’elle.
Deux ans plus tard, le nom de Chérif Kouachi est cité dans le projet de tentative d’évasion de prison de l’islamiste Smaïn Aït Ali Belkacem, ancien membre du Groupe islamique armé algérien (GIA), condamné en 2002 à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir commis l’attentat à la station RER Musée d’Orsay en octobre 1995 à Paris (30 blessés). Il est notamment soupçonné d’être proche de Djamel Beghal, une autre figure de l’islam radical français, qui a purgé dix ans de prison pour la préparation d’attentats, avec lequel il était soupçonné d’avoir participé à des entraînements.»
En 2013, les autorités tunisiennes mettent en cause un ancien membre de la filière des Buttes-Chaumont et ancien camarade de Cherif Kouachi. Condamné en France en 2008 et libéré en 2011, Boubaker el-Hakim est accusé d’être impliqué dans l’assassinat de deux responsables politiques, Chokri Belaid et Mohamed Brahmi. Le 18 décembre 2014, el-Hakim a revendiqué ces assassinats dans une vidéo.
Une question se pose alors: el-Hakim, qui a combattu en Irak en 2004, avait-il conservé des liens avec Kouachi et a-t-il pu aider ce dernier à acquérir la maîtrise des armes? Le massacre de Charlie Hebdo est en tout cas bien une conséquence lointaine de la filière des Buttes-Chaumont. En 2005, un policier expliquait d’ailleurs au Figaro: «dans le cas de ce groupe, le chef appelait au sacrifice en Irak. Que serait-il arrivé s’il leur avait demandé de frapper en France?»
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