Si le nom de Jérusalem en Hébreu utilise la sonorité propre à la forme grammaticale du duel, c’est peut-être parce qu’elle est toujours insaisissable, comme si même une fois arpentée, apprivoisée, restait toujours une moitié mystérieuse, surprenante d’inconnu. « Yeroushalayim » – un nom double, comme celui qui désigne les yeux. Un mois à Paris aurait presque su faire oublier: notre conflit est partout, tellement intégré, qu’il n’est plus évident nulle part. 
 
Alors que les discussions de comptoir vont bon train sur l’intransigeance de notre gouvernement face aux demandes américaines de gel des implantations à Jérusalem et le refus des Palestiniens à reconnaître la judéité du pays, de nouveaux autocollants couvrent les voitures tandis que les vieux sont recyclés. On colle à nouveau des slogans politiques sur les arrêts de bus, des programmes entiers contenus dans une phrase courte, assez évocatrice pour signifier toute une politique.

Mais de quelle dualité parle-t-on? Et de quelle unité? La tradition juive imagine la ville comme une cité double, construite d’une partie terrestre et d’une autre céleste, loin des convoitises et conflits humains. Le slogan même des soutiens de son indivisibilité – « Yéroushalayim A’hat! » – porte en lui une contradiction linguistique. Tout en proclamant l’unité de la ville, il admet sa dualité, ne serait-ce qu’étymologiquement. Entre ville moderne et vieille ville, partie arabe et moitié occidentale, chacun participant à une situation inextricable, les contrastes semblent à eux seuls définir l’espace urbain. D’aucuns disent que Jérusalem rend fou. Elle en bouscule plus d’un de son charme fascinant, de sa lumière particulière, de ses opposés souvent complémentaires.
  
Perchés sur le toit de l’Hospice autrichien, au coeur de la vieille ville, j’explique à des amis de passage l’étrange phénomène des réservoirs d’eau. Les firmes israéliennes les recouvrent d’un revêtement blanc, tandis que les marques arabes laissent apparent le métal de couleur noire. Ainsi, profitant de la vue donnant sur les quatre parties de la vieille ville, il est possible de mesurer combien les populations sont mélangées, parfois malgré elles, dans l’enchevêtrement de constructions d’une vieille ville presque entièrement absorbée dans la contemplation de sa propre sainteté.

Et pourtant, rien ne serait moins aisé que de conclure que la division de la ville est naturelle. Le nom même de la ville est sujet à controverse, rajoutant un degré au paradoxe. Ainsi, faut-il lire plutôt « Yeroushalayim », qui littéralement pourrait se décomposer pour signifier double héritage, ou héritage de paix? Ou bien « Yeroushalem », tel que le fait l’Hébreu biblique, dont le sens alors diffère significativement? Entre le mot paix (« shalom ») et le mot complet (« shalem ») il n’y a en Hébreu qu’une voyelle de différence. Pour Jérusalem, il s’agira à moyen terme d’un choix aussi crucial que chargé de sens.

Carnets d’alya-Perle 14/10/2010
http://perleinisrael.blogspot.co.il/

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