«La fiscalité luxembourgeoise: comment un si petit État peut être à l’origine d’un système d’évasion fiscale à si grande échelle», s’interroge le quotidien britannique le Guardian, l’un des quarante médias (dont Le Monde) à avoir eu accès à des documents publiés par le consortium de journalisme d’investigation américain ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists). Ces données révèlent comment le plus petit des États européens a privé ses voisins et partenaires européens de milliards de recettes fiscales, en aidant des centaines de grands groupes à faire de l’évasion fiscale, et ce en conformité avec la loi du Grand-Duché.
Dans son enquête de six mois baptisée «Luxembourg Leaks» ou «LuxLeaks», le consortium de journalistes a passé au peigne fin plus de 28.000 pages d’informations sur des arrangements fiscaux entre le Luxembourg et 340 multinationales. Ces documents montrent comment des groupes très connus ont échappé aux impôts des pays dans lesquels ils réalisent pourtant d’importantes recettes.
Une seule adresse héberge 1600 multinationales
Tous les secteurs sont concernés, à commencer par les groupes de technologie comme Apple, Amazon, Accenture, Vodafone. Le secteur de la finance figure également en bonne place avec en tête les français Axa, Aviva, BNP, Crédit agricole, CNP assurance, Caisse d’épargne-banque populaire, Groupe Edmond de Rothschild ou groupe Rothschild, l’américain JP Morgan, le suisse UBS, les britanniques HSBC, Barclays, et l’italienne Unicredit. Des géants de la grande consommation sont aussi cités, comme LVMH, Pepsi, Ikea, Burberry, Procter & Gamble, Heinz ou Dyson.
Le seul point commun entre toutes ces entreprises: elles ont toutes été conseillées par le même grand cabinet de conseil et d’audit PricewaterhouseCoopers (PwC), indique Le Monde. Elles ont exploité les failles juridiques de la réglementation mondiale et surfé sur le droit luxembourgeois pour délocaliser des profits et ainsi éviter les taxes. Pour ce faire, ces multinationales ont créé de toute pièce des structures au Luxembourg avec très peu de salariés et de faibles activités mais qui réalisent d’importantes recettes…Ces entités sont utilisées comme siège social «ou encore pour porter des actifs ou réaliser des acquisitions», souligne le quotidien du soir. L’ICIJ souligne ainsi l’existence d’une adresse particulièrement symbolique: le 5, rue Guillaume Kroll, qui héberge pas moins de 1600 entreprises.
Indignations
En fonction des objectifs assignés aux structures luxembourgeoises, le niveau d’évasion fiscale n’est pas identique pour tous les groupes. Ikea, Dyson, Amazon, notamment, réalisent des milliards d’euros d’économies chaque année grâce à la création d’une filiale, d’une holding ou au déplacement d’un siège social sur le territoire du Grand-Duché, là où des groupes comme Axa ou Crédit agricole apparaissent «dans les données émanant de PwC mais à un moindre niveau», explique Le Monde. «Ils profitent d’un environnement favorable à la gestion de fonds d’investissement», ajoute le quotidien.
Quel que soit le degré d’évasion fiscale, ce système légal mais qui privent les États membres d’importantes recettes fiscales est de plus en plus contesté dans un contexte de disette budgétaire. Le G20, par l’intermédiaire de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique), fait pression pour que le Luxembourg retire les mesures qui permettent cette évasion fiscale à grande échelle. Les pays eux-mêmes s’indignent ouvertement contre ces procédés, à l’image du britannique David Cameron qui a redit à Davos qu’il ne tolère plus ce système. La Commission européenne a également lancé une grande enquête à l’encontre des pratiques fiscales d’Amazon ou de Fiat dans le Grand-Duché. Des thèmes qui seront abordés lors du prochain sommet des chefs d’État et de gouvernement, prévu à Brisbane, en Australie, les 15 et 16 novembre, où un plan de lutte contre l’optimisation fiscale agressive des multinationales doit être adopté.
http://www.lefigaro.fr/