Publié dans le Jérusalem Post le 10/01/2014 By Kathie Kriegel
Edouard Cukierman n’est pas de ceux qui se contentent d’une réussite exemplaire, mais de ces personnalités qui n’ont de cesse de s’investir pour passer le flambeau, aider et stimuler les français qui veulent réussir en Israël
Si Edouard Cukierman parle de lui et de son parcours sans faute ce n’est certes pas pour impressionner son monde bien au contraire. Ce faisant, il veut prouver que la réussite est possible. Son objectif est d’encourager les jeunes à avoir de l’audace et surtout leur donner confiance dans leur avenir en Israël. C’est un pays où il est facile d’entreprendre, veut-il faire savoir. « J’ai créé ma propre structure de Venture Capital quand j’avais 26 ans. Je n’avais pas un network important en Israël, mais j’ai initialement obtenu le support financier d’investisseurs israéliens qui ne me connaissaient pas et ont mis des capitaux en fond d’amorçage alors que l’industrie du Venture n’était pas encore développée », se souvient-il. « On était 3 à l’époque en 93 et j’avais réussi à lever 5 million de dollars d’investisseurs israéliens. Par la suite après avoir coté mon premier fond en 97 à Paris, j’avais 5000 actionnaires à Paris et certains de ces suiveurs ont investi dans les fonds qu’on a établis par la suite. Créer un fond de capital risque à cet âge-là en France n’aurait pas été possible », dit-il en connaissance de cause.
Le fait est qu’il y croit en cette relève qu’il appelle de ses vœux à sauter le pas de l’alya. Les français sont sionistes dans leur cœur. Il serait dommage de les voir choisir d’autres latitudes pour épanouir leurs compétences. « Les Russes n’avaient pas le choix. Leur alya leur était imposée par Shamir qui avait fait un lobbying sévère en bloquant la voie des USA ; seuls les visas d’immigration pour Israël leurs étaient délivrés. Aujourd’hui l’antisémitisme en France est certes un catalyseur, mais le facteur déterminant est sous tendu par un véritable engouement pour Israël », affirme Cukierman.
Partir de zéro, « from scratch »
Il faut oser partir de rien. Confiance et détermination sont les deux piliers de la réussite. On peut entreprendre en Israël sans nécessairement avoir un diplôme d’ingénieur et venir du monde de la high tech. Il n’est que de se souvenir que sur 4 opérateurs de téléphonie israéliens, deux sont des entrepreneurs français, Mickaël Golan et Patrick Draï, qui ont démarré de zéro leur activité, aime à rappeller Cukierman.
Les exemples de français qui sont partis de rien en Israël et ont réussi à s’imposer sur un marché relativement compétitif sont nombreux. Leader dans le secteur de désalinisation de l’eau, Veolia fondé en Israël par Henri Starkman par un olé français est le plus gros acteur de l’environnement en Israël avec 80% du marché des déchets. Une activité démarrée from scratch qui l’a propulsé market leader et ce, sans capital initial. « Véolia a adopté une technologie de désalinisation de l’eau israélienne et ne l’a pas rapportée de France. Ce qui lui a permis par la suite de gagner de gros marchés dans les Emirats ou en Australie » », explique l’homme d’affaires, « et en adoptant une technologie israélienne pour la plus grosse unité de désalinisation d’eau au monde, avec 150 millions de mètres cubes à Ashkelon, il a pu par la suite vendre d’autres projets dans d’autres pays », affirme-t-il. Idem pour David Harari qui a créé de toutes pièces l’activité d’avion sans pilotes, au sein de IAI (Israeli Aerospace Industries) pour devenir le plus gros groupe dans le domaine. « On peut encore citer Decaux (les affiches), Sodexo pour les tickets restaurants, qui ont acheté un acteur local israélien pour développer cette activité. Il y a de nombreux secteurs comme ça », insiste Cukierman fier de ces market leaders qui sont des immigrants français. Ce sont des exemples à suivre. Lui-même n’est-il pas devenu un des plus grands dans la banque d’affaires en levant 4 millions d’euros pour des entreprises israéliennes. « Et on a démarré from scratch aussi », dit-il fièrement, « on est aussi un des 3 plus gros fonds de private Equity, un métier qu’on peut aussi entreprendre en tant que nouvel émigrant », dit-il encourageant.
Le gouvernement présent mais pas envahissant
Le fait est que de plus en plus d’entrepreneurs français, cherchent à s’impliquer et à investir dans l’économie israélienne pour s’implanter sur le marché local dans différents domaines. Le gouvernement incite à l’entreprenariat avec une fiscalité avantageuse. Les entrepreneurs bénéficient d’un ESOP (Stock Option Plan pour les Employés) sans être taxés sur les plus-values qu’ils réalisent. « Pour encourager les investisseurs étrangers à investir dans les sociétés de high Tech et les Start up technologiques, dès la création de notre fond on a demandé un prêt rouling auprès de l’autorité fiscale israélienne pour qu’ils soient exemptés de taxes sur les plus-values », confie Cukierman. « Déjà dès les années 90, le fond gouvernemental Yozma a obtenu de très bonnes performances en soutenant les investissements réalisés par les fonds privés » rappelle l’homme d’affaire. L’intelligence du gouvernement a été d’aider au développement de l’industrie du venture capital et de la high tech tout en ne laissant pas les fonctionnaires de l’Etat gérer ou sélectionner les entreprises. Il en est allé de même des incubateurs, initialement sous la coupe de l’Etat par le biais du Chief Scientist de l’OCS, la gestion a très vite été confiée à des organisations privées.
Recherche ingénieurs désespérément
Qu’on se le dise, les ingénieurs seront accueillis à bras ouverts en Israël. A peine foulé le tapis rouge, on leur offre sur un plateau, du travail, un salaire et une foule d’avantages. Fraîchement diplômés ou avec une expérience professionnelle derrière eux peu importe ; « on prend » affirme Edouard Cukierman qui a ses entrées et son réseau d’informations. Et l’homme n’est pas coutumier des paroles en l’air.
« Yehuda Zisapel, une sommité dans le monde de high tech, chairman de l’association des sociétés de high tech et de soft ware et d’électronique, le RAD-Bynet Group, me confirmait qu’il manquait en Israël 5000 ingénieurs. Ça prend du temps de les former et les besoins sont immédiats », confie Edouard Cukierman. « Avec un salaire en moyenne de 5000 € multiplié par un besoin de 5000 ingénieurs venant de France, si vous donnez ça à une société de recrutement c’est déjà un marché potentiel de 25 million d’euros. Donc je pense que n’importe quel entrepreneur qui sait qu’il y a un marché à prendre de 25 millions d’euros devrait s’attacher à cette opportunité pour faire un acting entre les besoins de la high tech israélienne et les ingénieurs français qui peuvent s’intéresser à des opportunités d’emploi dans le secteur », soutien Cukierman. Cette approche entrepreneuriale est actuellement initiée et gérée par l’association Gvahim, dirigée elle aussi par un Ole qui a réussi, Mickael Bensadoun. Il en veut pour exemple Tufin, une société dans son portefeuille, fondée par des anciens de check point, qui tient le haut du pavé dans le domaine de la sécurité sur internet. « Quand ils m’ont dit qu’ils recrutaient 30 ingénieurs je leur ai demandé de nous allouer 15 ingénieurs de France, ils ont dit d’accord », se félicite l’homme d’affaire. « Cette société n’est qu’un exemple de start-up parmi d’autres qui recrutent, talonnées par des sociétés plus mûres et pas seulement dans le domaine technologique, comme Motorola et Google, mais également internationales implantées en Israël font de même » affirme-t-il.
Que ces ingénieurs francophones vers lesquels lorgne l’Etat bleu blanc se rassurent ; s’ils ne parlent pas l’hébreu tant pis, ils l’apprendront sur le tas, avec le temps, et en attendant, le français et l’anglais feront l’affaire.
Un enthousiasme contagieux
Les hommes exceptionnels gardent ces capacités d’enthousiasme et de foi propices à la réussite. Cukierman est aux antipodes de l’homme blasé. Aujourd’hui Tufin et Mobileye font sa joie. « On vient de lever pendant le conflit un montant assez important pour Tufin, et Mobileye a fait une transaction de plus d’un milliard de dollars », dit-il ravi, « 500 millions de dollars levés à Wall Street, c’est un record historique pour une start up israélienne ».
Mobileye est considéré comme la plus grande introduction en bourse dans l’histoire du pays bleu blanc. Avec une technologie qui va révolutionner la façon de conduire, elle va permettre d’avoir un système de pilotage automatique qui évitera les accidents, un peu comme celui des avions. Pendant la guerre, la société a atteint 10 milliards de dollars de valorisation boursière. « Quand on a investi il y a 5 ans dans cette entreprise on n’était que 5 administrateurs : notre représentant, Yair Shamir, les deux fondateurs, les deux représentants de Goldman Sacks et Motorola. Aujourd’hui tout le monde de la high tech parle de Mobileye comme d’une succès story. On a battu tous les records ; supprimer cette phrase : « cotée il y a 3 semaines à 5 milliards de dollars la société en vaut déjà 10 aujourd’hui ». Elle a recruté 300 ingénieurs à Jérusalem et ils cherchent à embaucher encore », pointe-t-il satisfait.
Se donner les moyens de réussir
Le Ministère de l’Intégration a alloué un budget pour faciliter la venue des Français en Israël. Les salons de l’emploi bénéficient aussi d’un soutien. Mais pour sa part, Edouard Cukierman croit beaucoup aux initiatives non gouvernementales. « L’association AMI et Gvahim sont très actifs en la matière, et je pense que le secteur privé a aussi un rôle à jouer pour faire le lien entre les entreprises de high tech qui recrutent et les ingénieurs français qui peuvent envisager une alya dès la sortie de l’école d’ingénieurs ou après une expérience professionnelle en France », précise Cukierman.
Grand homme d’affaires, Cukierman à ses heures qui ne sont jamais perdues, revêt volontiers la casquette de chasseur de tête. Et on ne frappera pas à sa porte en vain ; il aime œuvrer pour assurer la relève. C’est là pleinement s’investir pour les valeurs juives de transmission. En siégeant au conseil d’administration de Gvahim, Cukierman donne un cadre à son désir d’agir, et s’investit avec enthousiasme à cette nouvelle fonction. Gvahim, cible les talents quelque soit leur domaine d’expertise et a déjà formés plus de 1000 personnes. Selon une étude menée par Mc Kinsey, la plus grande société de conseil stratégique au monde donne un indice de satisfaction de 88%. A l’université de Tel Aviv, Gvahim a développé un incubateur destiné aux immigrants appelé « la Ruche », afin de leur permettre de créer leur propre start-up dans leurs locaux et d’amorcer leur opération. Les acteurs du venture capital les aident à trouver les financements pour l’amorçage et leur allouent des fonds de roulement. Ashdod, et d’autres villes sont intéressées par cette approche qui permet d’identifier des projets à fort potentiel à l’international et dont l’innovation technologique est importante. Les organisations gouvernementales ne peuvent pas offrir le networking important de Gvahim qui permet d’ouvrir des portes et faire reconnaître les diplômes auprès des chefs d’entreprise israéliens. Gvahim enseigne également le « business hebrew », une initiative qui contribue beaucoup à l’intégration professionnelle des immigrants.
Le challenge de l’intégration réussie…. lire la suite