Un des problèmes médicaux majeurs aujourd’hui est la sur-médication. En effet, les bactéries, comme tous les êtres vivants, sont soumises à la sélection naturelle. Ainsi, celles capables de lutter contre les antibiotiques deviennent peu à peu prédominantes, rendant les médicaments existants inutiles. En France, des associations tentent d’alerter le grand public : l’utilisation massive, abusive et peu efficace de médicaments favorise l’apparition de souches résistantes plus vite que notre capacité à créer de nouvelles molécules pour les combattre. Le professeur Roy Kishony du département de biologie du Technion – Israel Institute of Technology conduit depuis plusieurs années des recherches sur l’apparition de la résistance anti-antibiotiques des bactéries.
Un des grands enjeux scientifiques de notre temps
Le combat du professeur Kishony commence en 2005 avec un article paru dans Genetics, dans lequel il identifie dans une population de bactéries un sous-groupe dit « persistant » qui se multiplie lentement mais résiste aux antibiotiques communs. Cette propriété, qui n’est pas génétique et héritable, est développée lorsque le sous-groupe arrive à survivre en présence de larges concentrations d’antibiotiques.
Depuis 2005, le professeur Kishony a poursuivi ses travaux, débouchant sur la publication de nombreux articles de haut vol. En 2011, il répondait ainsi dans Nature Chemical Biology en 2011 à la question « Quels mécanismes existent dans la nature pour contrer la résistance aux antibiotiques ? ». En effet, les souches résistantes et les souches sensibles aux antibiotiques coexistent dans la nature, laissant penser qu’il existe des mécanismes compensant la sélection naturelle. Les produits de dégradation des antibiotiques permettent ainsi de stimuler la propagation des souches sensibles.
Un nouvel outil d’analyse, le « morbidostat »
Le groupe du professeur Kishony a également développé un ingénieux procédé d’analyse appelé « morbidostat ». Une culture de bactéries est soumise à un antibiotique et le flux d’antibiotique est ajusté pour maintenir un taux d’inhibition constant. Ainsi, si une résistance apparaît, le flux augmente. Combiné à un séquençage génétique des souches mutantes qui peuvent apparaître, cette méthode permet d’étudier la réaction d’une population de bactéries face à un type d’antibiotiques. Les premiers essais ont été réalisés sur E. Coli , traitée par du triméthoprime [10]. Ils ont montré que la résistance de la bactérie se manifestait par le développement de cinq souches mutantes en parallèle. Ces souches étaient mutantes au niveau du gène qui code pour la cible de la triméthoprime, à savoir la dihydrofolate réductase.
Toujours en 2011, le groupe publiait dans Nature une extension de l’expérience avec deux autres antibiotiques : la doxycycline et le chloramphénicol . Ces deux composés agissent sur les ribosomes des bactéries et la résistance à leurs effets découle de mutations au niveau des protéines de surface des bactéries. Dans les deux cas, une résistance aux antibiotiques apparaît au cours du temps : soit par à-coups, dans le cas de mutations touchant la cible de l’antibiotique (premier cas), soit progressivement en ralentissant l’accès de l’antibiotique à sa cible (second cas). Depuis, le « mordibostat » a fait l’objet d’autres publications par le groupe pour évaluer son efficacité.
Reconstituer l’histoire des bactéries
Toutes ces études montrent que plusieurs souches « soeurs » existent en parallèle, ayant simplement trouvé une mutation différente pour résister à l’antibiotique. S’inspirant de ce résultat, le groupe a étudié les profils génétiques de colonies de bactéries Burkholderia dolosa trouvées chez des patients atteints de mucoviscidose. Les résultats sont intéressants car en étudiant les profils génétiques, il est possible de savoir quelles pressions biologiques les bactéries ont subies. Autrement dit, il est intéressant de savoir ce qui a pu affecter la colonie de bactéries au point que des mutants minoritaires sont devenus majoritaires. On peut, à partir de ces informations, proposer des traitements plus précis et efficaces. Le groupe souhaite maintenant prédire les évolutions génétiques probables d’une bactérie et mettre au point des tests simples pour étudier l’évolution de la résistance en sur-exprimant la cible de l’antibiotique.
Un problème qu’il faut faire connaître
Le professeur Kishony s’est joint en 2011 à un appel de plusieurs grands chercheurs dans le domaine pour alerter sur le danger de la résistance aux antibiotiques. Plus récemment en France, une nouvelle alerte a été lancée par l’Alliance contre le développement des bactéries multi-résistantes (AC-2-BMR). Espérons que le message sera entendu par le plus grand nombre et que nous n’abandonnerons pas les chercheurs qui travaillent sur cette question ainsi que ceux qui cherchent de nouveaux antibiotiques.
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