Et donc vous bossez dans la même salle ?
– Oui.
– Tu n’as pas peur qu’en temps de guerre vos divisions entre juifs et arabes prennent le dessus ?
Cette remarque je l’ai entendue tant de fois depuis le lancement d’i24news. La question était posée sincèrement. Comment faire travailler ensemble des personnes censées appartenir à deux camps ennemis ?
Les 30 derniers jours m’ont apporté la réponse. En 30 jours, nous avons vécu ensemble l’enlèvement puis l’assassinat de 3 adolescents israéliens, le meurtre d’un jeune Arabe brûlé vif, les émeutes à Jérusalem, les sirènes, les roquettes, les courses aux abris…
Dimanche 6 juillet, quartier de Shuafat à Jérusalem-Est avec une équipe de la chaîne. Les rues sont dévastées par plusieurs jours d’affrontements. Les stations de tramway sont détruites. Le vent emporte avec lui les cendres dispersées sur le sol. Sur la façade d’un immeuble est dressé un immense portrait du jeune Arabe tué par des terroristes juifs. La population sur place se restaure après la journée de Ramadan. Rapidement, dès la nuit tombée, des jeunes masqués par des keffiehs envahissent le carrefour principal.
Ils amassent des pierres, mettent le feu à une benne à ordure, crient. L’envie d’en découdre avec les policiers israéliens se lit dans leurs yeux. Des drapeaux islamistes sont présents ici et là. Certains parmi nous sont juifs et israéliens. Si les émeutiers l’apprennent ils s’en prendront directement à nous. Nous faisons attention à ne pas prononcer le moindre mot en hébreu pour ne pas être repérés. A plusieurs reprises c’est le journaliste de la chaîne arabe qui vient à notre secours en parlant pour nous aux émeutiers. C’est lui qui se met en avant pour nous protéger. C’est lui qui nous dit quand il devient urgent de quitter les lieux et par où partir en voiture pour éviter d’être ciblés par les pierres.
La même semaine à Sderot. Ville martyr des tirs de roquettes palestiniennes depuis des années. La population sur place nous regarde, complètement médusée. Elle tente de comprendre qui nous sommes. A quelle chaîne appartient cette caméra devant laquelle se succèdent des journalistes qui s’expriment en anglais, français et arabe.
« Encore un truc anti-israélien », lance un homme sur place.
« Mais ils parlent entre eux en hébreu », lui répond un autre perplexe.
Je m’approche d’eux pour leur expliquer qui nous sommes. Derrière moi le journaliste arabe est en direct.
« Qu’est-ce qu’il fait là lui ? », me demande un jeune.
« Son boulot. Il habite à Jérusalem, il explique au monde ce que l’on vit. »
« Je m’en fous, qu’il dégage je peux pas entendre cette langue ici ».
Je comprends que je n’arriverai pas à dialoguer avec lui, sa colère est immense. Je m’assure simplement qu’il ne s’approche pas de notre équipe et qu’il ne tente pas de perturber notre travail.
Quelques jours plus tard au Dôme de Fer anti-roquettes d’Ashdod. Il fait nuit. Les sirènes retentissent. Subitement le ciel au-dessus de nous s’illumine par des explosions à répétition. Le Dôme de Fer tire plusieurs missiles sous nos yeux pour intercepter des roquettes. La scène semble durer une éternité. Nous sommes dans un champ. Il n’y a aucun abri autour de nous. Les explosions semblent venir de partout et les débris peuvent tomber n’importe où. Nous sommes quatre de la chaîne sur place : un Israélien druze, une Israélo-américaine, un Arabe israélien et moi.
En nous observant nous aider mutuellement à mettre nos casques et gilets pare-balles pour nous protéger, je ne peux m’empêcher de penser à ceux qui étaient persuadés que nous ne pouvions travailler ensemble. La vérité est que les menaces que nous affrontons ont prouvé le contraire.
Et au lieu de nous diviser, ces évènements vécus ensemble ont souligné ce que nous avions en commun : un pays.
Julien Bahloul est présentateur et reporter à i24news en français.
Twitter : @julienbahloul