Pour nous exprimer avec modération mais avec lucidité, l’on dira que ce week-end du 25 mai 2014 aura vu se restreindre encore plus les marges existentielles de la communauté juive de France, non seulement en raison de la victoire électorale du FN mais aussi à cause de la tuerie de Bruxelles et de l’agression de Créteil.
La victoire du FN aux élections européennes ne saurait être minimisée. Le premier Ministre en personne l’a qualifiée de séisme politique. Elle signifie que le régime politique français mute gravement, et qu’il mute parce que la société française connaît elle aussi des mutations aveugles et régressives que l’Etat ne peut plus accompagner, ni réguler. Aussi bien le score de l’UMP que celui du PS révèlent que deux des composantes idéologiques de la culture politique française: le gaullisme et le socialisme sont en voie d’effacement. Quelque chose d’autre prend leur place dont rien n’assure qu’elle sera mieux remplie. La victoire du FN était prévisible, annoncée. Point besoin d’ergoter: elle résulte autant de l’habileté politicienne de ses nouveaux dirigeants que du discrédit dans lequel ont sombré les deux partis dits de gouvernement dans lesquels l’addiction au pouvoir, les scandales, les échecs, le verbiage, nourrissent la chronique quasiment quotidienne. Le grand philosophe anglais Thomas Hobbes nous en a avertis depuis longtemps: le Léviathan surgit surtout dans les époques de décomposition. Nous y sommes. Tout souligne, au train où vont les choses que, sauf miracle, la Vème République fondée en 1958 s’effondre. Voilà pour les Juifs en tant que citoyens.
Pour les Juifs en tant que Juifs, si l’on peut ainsi s’exprimer, s’ajoutent, comme on l’a dit, d’abord la tuerie de Bruxelles. En Europe il est donc possible de tirer à vue au fusil sur des Juifs en visite dans un musée pour la seule raison qu’ils le sont et qu’ils suscitent une haine dont même la psychiatrie de guerre ne saurait rendre compte. Et ensuite l’agression de deux jeunes religieux à Créteil, dans le même contexte psychique.
Il apparaît alors avec une netteté de cristal que la communauté juive de France se trouve à la croisée des chemins. Il lui est possible de s’accommoder de cet état de fait, de se contenter d’un judaïsme de plus en plus couleur-muraille, un judaïsme de survie pour ne pas dire d’agonie, couvrant la kippa par la casquette et la casquette bientôt par un casque métallique. Elle peut choisir une autre voie, à part celle de l’expatriation aux Etats Unis ou en Australie, une voie compatible avec ses valeurs: celle qui la dirige vers l’Etat d’Israël, avec les problèmes mais aussi avec les solutions des citoyens de ce pays.
Qui pourrait lui en faire grief lorsqu’il y va de la vie de ses membres, quotidiennement jouée à la loterie de cette haine sans merci?
Désormais la décision appartient à chacun et à chacune, en pleine responsabilité vis à vis de soi et au regard des générations à venir.
Raphaël Draï, Radio J, le 26 mai 2014.