En évoquant Pessa’h, nous pensons naturellement à la fête fondatrice du ‘Am Israël, du Peuple juif. Les soirées du Seder où notre questionnement sur notre manière de vivre le judaïsme revient de manière lancinante. En dehors de ces aspects intellectuels, Pessa’h se distingue surtout par les nombreux commandements, tant positifs que négatifs, qui y sont afférents.
Ainsi, la Torah nous livre deux injonctions fondamentales concernant la fête de Pessa’h :
- « …vous ferez disparaître le levain de vos maisons. Car celui-là serait retranché d’Israël, qui mangerait du pain levé [‘Hametz], depuis le premier jour jusqu’au septième. »[1]
- « Le premier mois, le quatorzième jour du mois au soir, vous mangerez des azymes [Matsa], jusqu’au vingt-et-unième jour du mois au soir. »[2]
La Torah nous intime l’ordre de respecter scrupuleusement deux injonctions qui, pour vitales
qu’elles soient, relèvent de registres diamétralement opposés.
Pour quelle raison doit-on rigoureusement s’abstenir de tout levain durant la fête de Pessa’h ; pourquoi faut-il consommer de la Matsa ?
A toutes ces questions, le Rav ‘Haym Friedlander[3] zatsal répond de la manière suivante :
Le ‘Hametz provient d’un cheminement physique ; même sans levain, une pâte finit par fermenter. Le ‘Hametz se constitue donc comme une démonstration évidente des lois de la Nature pouvant aller à l’encontre de l’idée d’un D.ieu tout puissant et Maître de l’univers.
La Matsa, elle, doit être fabriquée en un temps très court afin de montrer la célérité de D.ieu pour nous sortir d’Egypte. Cette vitesse dans la fabrication constitue un signe de la toute puissance de l’Eternel, qui se situe en dehors du temps et le domine totalement.
Le Maharal de Prague[4] nous explique que la sortie d’Egypte en précipitation ; en dehors du temps, vient nous montrer la toute puissance de l’Eternel qui nous a placé hors du temps ; à la différence de du ‘Hametz qui lui montre la soumission de l’homme aux lois de la Nature. Un élément important nous est aussi enseigné par la même occasion : les lois de la nature n’ont pas un fonctionnement autonome dans la Création, elles ne découlent que de la volonté divine.
Dans ces conditions, nous ne pouvons que nous demander pourquoi la Torah ne nous a-t-elle ordonné de consommer de la Matsa uniquement le premier soir et non durant les sept jours (huit en dehors d’Israël), alors que le ‘Hametz reste interdit durant toute la fête ? En fin de compte, le ‘Hametz et la Matsa ont des fonctions, somme toute, complémentaires voire similaires.
La réponse tient dans l’appréhension que nous avons de ces rites qui peuvent nous paraître étranges si on ne prend pas la peine de les comprendre. La Matsa, qui symbolise la toute puissance du Saint-Béni-Soit-Il, vient enraciner en notre for intérieur cette croyance fondamentale ! C’est la raison qui pousse la Torah à nous en ordonner la consommation alors que nous sortons d’Egypte pour nous booster spirituellement ! L’Eternel ordonne aux enfants d’Israël de prendre un médicament pour la Foi : la Matsa.[5]
La Matsa nous est impérative le premier soir pour montrer le Don gratuit reçu par les enfants d’Israël à la sortie d’Egypte afin de leur inculquer la Foi en un D.ieu tout puissant. Mais ce don doit ensuite être cultivé par un travail personnel pendant les sept jours de Pessa’h ; qui ne sont eux-mêmes que le préambule au but de la Sortie d’Egypte : le Don de la Torah à Shavouot sept semaines plus tard.
Ainsi, en consommant la Matsa le soir du Seder léshem mitswa (pour accomplir la volonté divine), nous accomplissons les rites inhérents à la fête, mais nous consommons surtout une nourriture saine… pour notre âme !
‘Hag saméa’h à toutes et à tous !!
Grand Rabbin Daniel DAHAN
[1] Exode XII ; 15
[2] Exode XII ; 18
[3]Sifté ‘Haym Mo’adim vol. II, p. 342-345
[4] Gevourot HaShem ch.51
[5] Zohar, Tetsawé 183b