Déchirée. Tôt ce matin, j’ai regardé partir mon fils. Droit dans son uniforme, une kippa crochetée sur la tête, il m’a lancé, tout en réajustant son M16 sur l’épaule, un sourire empreint de fierté et de tristesse mélangée.
Je n’ai pas eu le temps de l’interroger, déjà la porte de l’ascenseur se refermait sur lui. « Près d’un demi million de Juifs vont se réunir aujourd’hui à Jérusalem pour protester contre une proposition de loi visant à obliger les h’aredim à servir dans Tsahal » m’avait-il soufflé une heure auparavant en bouclant son sac.
Je me souviens ne pas avoir accordé à ces paroles l’importance qu’elles méritaient. J’avais négligemment haussé une épaule en jetant un « pff, c’est n’importe quoi ! », préoccupée que j’étais par les derniers préparatifs liés à son départ : une bouteille d’eau, une tablette de chocolat-noisettes pour l’ami puni resté à la base depuis 5 semaines, le sandwich du voyage, une couture de dernière minute…
Mais à présent que la tension du départ était retombée, que l’appartement redevenait malheureusement le mien, cette phrase résonnait douloureusement à mes oreilles. Ainsi donc, voici qu’en la ville sainte, une immense manifestation s’apprêtait à se dérouler. Déjà, j’imaginais les futurs titres des journaux « Thora contre armée » ; « Les Juifs religieux sur le pied de guerre »… ou les propos furieux des inconditionnels d’un monde sans D.ieu : « Traitres ! « « Lâches ! » « Chauffeurs de bancs ! » Et de ceux plus mesurés, qui comme moi estiment que chacun doit se mettre à la disposition du pays qui nous abrite : Chaque enfant doit consacrer deux ou trois années de sa jeune vie à défendre sa patrie, sa famille, son peuple. Pourquoi y aurait-il des différences ? Pourquoi les religieux seraient-ils exemptés de ce fardeau ? » Un fardeau ? Assurément, quand on pense à ce qu’endurent ces jeunes gens qui passent en trois mois de l’état d’enfant à celui d’homme et de femme. Mais comme ce lourd fardeau est léger aussi ! Et plutôt que ce terme péjoratif, ne devrait-on pas plutôt accorder à cette charge celui de responsabilité ? La responsabilité engage l’honneur, la droiture, la fierté et la joie aussi.
Pourquoi les Religieux serait-ils exemptés de cette joie de faire leur devoir ? Pourquoi se soustrairaient –ils à cette responsabilité ? « Ah parce que chacun son job ! affirmeront certains. Des jeunes pour étudier la Thora et des jeunes pour se battre au front ! » Laissez moi rire… jaune…Quelle ineptie ! A ceux qui osent prétendre cela, je répondrai par une image qui restera gravée dans mes yeux ad vitam aeternam, celle du serment prêté par plus d’une centaine de jeunes hommes devant le Mur, l’arme à la main et la Bible dans l’autre.
Je me souviendrai à jamais du frisson violent qui a parcouru l’échine de la foule venue assister à cette cérémonie lorsque nos fils d’une voix puissante et concentrée se sont mis à crier de part et d’autre des rangs qu’ils formaient « Ani nichba ! » « Ani nichba ! » « Ani nichba !» j’ai regardé le ciel, et j’ai vu le roi David sourire. De ses doigts habiles, ce pieux chef de guerre caressait sa lyre en chantant la paix.
Un Juif, et d’autant plus s’il se dit religieux, a le devoir de protéger son pays contre l’ennemi… en prenant l’arme comme il est dit dans le Tanah’. Et la prière direz-vous ? Vitale aussi. Mais au risque de choquer bien des gens, j’affirme sans honte que les prières de jeunes hommes à kippa ou non, risquant réellement leur vie pour que nous puissions faire nos courses au supermarché, envoyer nos enfants à l’école et assurer l’existence de tout un peuple, percent le ciel bien davantage que la plus belle des prières s’élevant d’une Maison d’études.
Déchirée aujourd’hui oui, comme mon peuple dont je lis certains commentaires. Voyons, cessons d’urgence d’opposer de manière factice Thora et armée. Les deux vont de pair quand le peuple ou la Terre sont menacés. Cette opposition est une vaste machination visant à nous diviser…
Mon soldat préféré vient d’appeler … Tu sais chéri la manif dont tu m’as parlé… « Oui, je sais …T’inquiète pas maman… »
Yael Bensimhoun