Juives et Marocaines – Saga d’une diaspora, par Mouna Izddine
Aujourd’hui est un jour spécial pour moi. C’est l’amour du Maroc qui m’a fait traverser l’Atlantique et c’est le même amour qui nous réunit ici. Votre présence est la preuve tangible de ce lien indéfectible. Elle montre aussi que rien ni personne ne peut effacer 3000 ans d’histoire et de présence juive au Maroc. Elle est la preuve que la symbiose qui a été la nôtre, juifs et musulmans, nous pouvons la recréer, même à des milliers de kilomètres de cette terre baignée de soleil, et bénie des dieux. Vous avez vécu votre exode comme un déracinement, un arrachement à la terre de vos aïeux, nous l’avons vécu comme une immense perte, une amputation d’une partie de notre être et de notre identité. Nous vous avons perdu comme voisins, comme amis au quotidien mais nous vous avons gagné comme ambassadeurs, ici et ailleurs.
Je suis ici pour vous transmettre un message, celui d’une génération élevée dans l’oubli et le déni de sa part juive et qui aujourd’hui réclame la vérité. La vérité sur les raisons de votre départ, sur votre contribution à l’édification du Maroc historique et contemporain.
J’ai eu la chance inestimable, contrairement à la majorité des jeunes de ma génération, de côtoyer des Juifs marocains, au Maroc, en Europe et en Israël. Ils sont devenus mes amis, mes frères et sœurs, ma famille. J’ai des mères juives et des pères juifs à Casablanca, Paris, Ashdod, Jérusalem et maintenant Los Angeles. J’ai partagé avec eux leurs joies et leurs peines, des dafina, des bar mitsvoth et des brit mila, des seoudoth et des hilloulot. J’ai appris à connaitre le peuple juif, sa générosité, son génie, sa force admirable face aux épreuves, sa résilience, ses capacités d’adaptation, sa mélancolie joyeuse et sa nostalgie fertile.
Ce que je savais vaguement hier encore, j’en ai aujourd’hui la certitude: je suis berbère, de parents musulmans, et comme tous les Marocains, j’ai du sang israélite qui coule dans mes veines. Le judaïsme est partout en nous: dans notre cuisine, dans notre musique, dans notre parler et nos valeurs fondatrices. Ces valeurs, vous les connaissez d’autant plus que vous avez réussi à les préserver dans les sociétés qui vous ont accueilli: la gentillesse, l’humilité et l’hospitalité. Vous transportez partout le Maroc avec vous, vous êtes les plus fiers et fidèles représentants de notre culture et de notre marocanité. Vous languissez le Maroc multiconfessionnel de votre enfance, le Maroc juif nous manque…
Mais aujourd’hui, je pense que la nostalgie ne suffit plus. Car un autre danger guette cette même jeunesse marocaine qui n’a jamais connu de compatriotes juifs et qui perçoit tout ce qui a trait au judaïsme sous le prisme d’un conflit israélo palestinien rapporte de manière partiale et déformée par les medias panarabes. Ce danger a un nom; l’antisémitisme déguisé en antisionisme. J’ai personnellement été agressée verbalement sur les réseaux sociaux pour avoir diffusé les photos de mon voyage en Israël. J’ai été accusée de collaboration avec les ‘assassins du peuple palestinien frère’ et traitée de prostituée à la solde des Sionistes. J’aurais pu prendre peur, craindre pour ma vie, mais la peur ne fait pas partie de mon vocabulaire. Ces menaces m’ont en fait conforté dans l’idée que c’est de la méconnaissance de l’Autre que se nourrit la haine et fait prendre conscience de l’urgence d’agir pour rétablir la vérité.
Je n’ai pas la prétention de changer à moi seule cet état de fait, mais j’ai l’ambition d’y contribuer grandement d’autant plus que je connais le poids des mots et des images auprès de la génération biberonnée aux nouvelles technologies. Ma grand-mère me racontait comment, entre voisines musulmanes et israélites, elles allaitaient chacune le bébé de l’autre. Nous avons tété les seins de nos matriarches juives comme le judaïsme a été la mère nourricière de tous les monothéismes et de l’Islam marocain en particulier. Cet islam ouvert et populaire, festif et serein.
Ce sera là l’objectif de mon livre et de mon documentaire : montrer, à travers les portraits de femmes juives d’origine marocaine, que Juifs et Musulmans, Berbères et Arabes, ont vécu en symbiose et que celle-ci est toujours possible. Que nous pouvons, par ce modèle de cohabitation trois fois millénaire, envoyer un message de Paix au reste du monde, et au Proche-Orient en particulier.
Mon choix s’est porté sur les femmes car elles représentent, je pense, le temple et le porte-flambeau du judaïsme. Ce sont elles qui, au Maroc et dans la diaspora, préservent et transmettent le judaïsme marocain, ses traditions et ses rites, ses croyances et tous ses singularismes qui font sa beauté et son authenticité. Elles contribuent aussi à définir les rapports au sein de la cellule familiale, de la communauté et au dehors de celle-ci. Les femmes sont les gardiennes de la Mémoire judéo-marocaine, et c’est par elles que je veux contribuer à transmettre ce legs formidable et jeter les ponts d’une Paix Future.
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